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Mind Games
Teri Terry
La Martinière, Fiction J., roman (G-B), anticipation, 432 pages, mai 2017, 17,50€

Dans un avenir proche. Le gouvernement anglais a délégué l’éducation à la CoPra, une société privée, qui fait la part belle aux univers virtuels comme terrains d’apprentissage ludique. La plupart des élèves sont donc allongés sur des bases de connexion. Pas tous : il y a les Refusants, bon nommés, pour lesquels on maintient, au grand dam des enseignants, des cours traditionnels. Luna en fait partie : se connecter lui provoque des nausées violentes. L’adolescente est aussi traumatisée par la mort suspecte de sa mère, une étoile des mondes virtuels. Elle dissimule son génie en cumulant les mauvaises notes, malgré les encouragements de ses proches, dont le père de son amie, au gouvernement.
Elle est donc très surprise quand, malgré des épreuves sur papier, elle est sélectionnée parmi les élèves les plus brillantes de sa génération et conviée à un stage spécial. Elle y est témoin de choses étranges, notamment une sorte d’hallucination collective contre laquelle elle semble une des rares immunisés. Mais elle rencontre surtout Gecko. Il n’est pas un simple hacker comme les amis de Luna, mais un Hargens : dans le Vide de l’espace virtuel, il est capable de nager, de créer. Les gens comme lui sont très recherchés... et lui n’est visiblement pas venu de son plein gré.
Lorsque des stagiaires disparaissent, et qu’un malheureux événement contraint Luna à tenir sa promesse d’aller sur l’Île des Merveilles, Gecko fait tout pour qu’elle s’échappe, l’envoyant se jeter à sa place dans les bras de la Résistance. Luna découvre que sa mère en était une dirigeante, et sa mort n’en devient que plus suspecte...



Teri Terry nous avait favorablement impressionnée avec sa trilogie dystopique « Effacée », « Fracturée », « Brisée » (à laquelle elle adresse un clin d’œil, en en faisant un des mondes virtuels). Sa nouvelle anticipation n’est guère plus riante que ses Lorders.
Son point de départ est cruellement réaliste et actuelle : délégation de l’enseignement à une entreprise privée, remplacement des cours magistraux (barbants, vous en conviendrez tous) par des jeux dans des mondes virtuels avec de grandes licences (le petit frère de Luna commence par « Harry Potter »). Apprendre n’est plus une corvée mais un jeu !
Très vite cependant, Luna, qui ne passe pas ses journées ni ses nuits enchaînée à sa base de connexion, une couchette ergonomique, réalise l’impact social : les écoles ferment, les quartiers se désertifient. Cela va empirer, car si il faut encore aller à l’école se connecter, la prochaine étape est de se connecter chez soi...
Mais le grand danger, c’est bien sûr l’emprise de l’entreprise CoPra sur les gens. Se faire poser un implant de connexion devient vite indispensable tandis que le gouvernement confie de plus en plus de missions de service public à ce conglomérat. Une question brûlante d’actualité, avec les dérives qu’on connaît : si l’entreprise doit produire des résultats, son principal intérêt reste le profit. On comprend vite, dès le stage, qu’elle siphonne la ressource qu’elle produit : les meilleurs élèves intègrent ses rangs, pour la rendre encore plus performante, plus attractive, plus omniprésente...
La position des Résistants et la difficulté de leur combat sont évidents. Mais comme la simple dénonciation du système ne suffit pas, Teri Terry rajoute plusieurs couches à son intrigue.

Et à mon goût, c’est de trop.
Sans trop en révéler, Luna se révèle avoir hérité des talents d’Hargens de sa mère Astra. Découvrant tardivement les cachets anti-nausée, elle fait quelques pas dans le Vide. Inexpérimentée, elle ne réalise pas qu’elle fait d’instinct ce qui a demandé un implant et un apprentissage à ses amis. Ce sont les résistants hargens qui vont la former, lorsqu’elle exprime la volonté d’aller sur l’Île sauver Gecko. Mais la soi-disant amie de sa mère se révèle en fait une ambitieuse rivale, et sous couvert de la protéger, efface une partie de sa mémoire (dont l’aveu de sa duplicité). Luna débarque donc complètement déboussolée et, contrairement à nous, ignorante des risques qui l’attendent.
Ce nouveau jeu sur la mémoire, au centre de la trilogie « Effacée », amené de manière assez maladroite et plutôt superflu, rend la troisième partie du roman très étrange. Luna venait de sortir de sa coquille, ses nouvelles connaissances et ses talents l’avaient rendue forte, et la voilà rabaissée à une gamine timide et ignorante. Bête. Le dépaysement de l’Île, un endroit sauvage, hors du monde (et de ses lois) n’en est que plus ubuesque et hallucinant. Tout s’y passe très vite, trop (en une semaine des stagiaires ont acquis un niveau incroyable), le flot d’ados est quasi continu, et la révélation finale, certes bien trouvée, ne suffit pas à tout expliquer. La temporalité est mise à mal, avec une héroïne droguée, plongée dans le virtuel, et dont le talent particulier seul nous indique que passent parfois quelques heures, parfois des jours.

La façon d’aborder le virtuel, les mondes ludiques et le Vide autour est parfois laborieuse. Si on y était allé à tâtons au début, puisque Luna y accédait avec réticence, l’immersion dans des cours accélérés, avec du code, des schémas de pensée (une « grille » symbolisant l’esprit et la façon de concevoir les choses) peut vite perdre le lecteur. Teri Terry fait de gros efforts pour rendre cela très visuel, et c’est le problème : c’est très visuel, comme cet enseignement promu par la société.
On s’interroge aussi sur l’utilité des tests en groupe : faire s’affronter deux équipes, à mort, sur un monde virtuel... heureusement, l’autrice ne nous refait pas « Hunger Games », et ces « jeux » ne durent pas. Il n’en demeure pas moins que cette troisième partie, ultra-visuelle, exubérante, « science-fictionnelle » par rapport aux deux premiers tiers, ne m’a pas convaincu. Trop clinquante, trop « commerciale », dans le canon des productions cinéma. Son histoire n’en avait pas besoin.

C’est donc un avis un peu mitigé qui ressort de ma lecture, une amertume en fin de dégustation, mais une expérience finalement très intéressante. La plume est toujours très belle, l’analyse sociale très fine, le point de départ très réaliste. On se serait sans mal passé de la trame de jalousie/rivalité chez les Hargens, et de la violence des épisodes superflus dans les mondes virtuels. La sobriété visuelle convient davantage à Teri Terry. « Mind Games » est malgré cela passionnant, très sombre et pessimiste, et ce qui m’a déplu pourrait au contraire satisfaire les attentes des lecteurs adolescents, pour mieux leur faire exploser la conclusion à la figure.


Titre : Mind Games
Auteur : Teri Terry
Traduction de () :
Couverture :
Éditeur : La Martinière
Collection : Fiction J
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 432
Format (en cm) :
Dépôt légal : mai 2017
ISBN : 9782732472249
Prix : 17,50 €



Nicolas Soffray
2 septembre 2018


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