Dans la partie rédactionnelle, la parole est donnée à des éditeurs, ceux de L’arbre Vengeur. David Vincent explique que Nicolas Étienne et lui-même exercent toujours une activité salariée à côté et que leur mode de fonctionnement leur permet de ne publier que ce qui leur plaît.
L’éditorial d’Olivier Girard s’avère dense et expose l’érosion des chiffres de vente des livres de science-fiction. Alors que la moyenne des ventes est en baisse, les droits des romans anglo-saxons explosent. Les coûts de traduction rendent alors l’opération risquée en terme de rentabilité. Publier des auteurs francophones permet donc de minimiser les frais, encore faut-il trouver des candidats potentiels ! C’est là tout le paradoxe.
En septembre, Le Bélial’ sortira « Bonheur TM » de Jean Baret, le premier volet de la trilogie « Trademark », qui est justement le titre de la nouvelle au présent sommaire. L’auteur nous plonge dans le monde de l’hyper consommation dans lequel consommer est un devoir, sous peine de lourdes sanctions. C’est particulièrement lourd et plutôt pénible à lire. Parfois le lecteur a droit à une avalanche de marques (certaines semblent n’avoir aucune place dans le futur), d’autres fois à un déluge décrivant la population de la ville.
Comme il s’agit en quelque sorte d’une introduction à son univers, cela laisse pensif. À voir si le premier tome sera d’un autre niveau...
En tout cas, il s’agit d’une illustration des propos d’Olivier Girard quant à la recherche d’auteurs francophones. On se souviendra d’ailleurs de la remarquable « Tétralogie des Origines » de Stéphane Przybylski.
Les apparitions d’Olivier Caruso sont rares, mais marquantes à chaque fois. “Ex silentio” flirte du côté de la hard science avec des extraterrestres découverts par le plus grand des hasards et surtout grâce au génie d’une jeune étudiante. Lors d’une expérience, l’irréparable est commis.
L’histoire est étonnante, car on peine un peu à croire en l’existence de ces aliens. Ils nous sont si étrangers que l’effet malheureux de l’expérience semble lointain, que l’importance qui y est attachée apparaît exagérée. Les sentiments entre deux protagonistes prennent le dessus et donnent une prise à quoi se raccrocher. Le récit est très bien mené et intriguant jusqu’au bout. Olivier Caruso est vraiment un auteur à suivre !
Ça, les amateurs le savent depuis longtemps pour Michel Pagel qui, hélas, se consacre essentiellement à la traduction à présent. Galène III est vouée à la destruction du fait de l’arrivée imminente d’une météorite. La fin approche et pourtant ils sont encore nombreux à s’y trouver. Besoin d’en finir, croyance d’une secte, envie de rester jusqu’au dernier moment... les raisons diffèrent, mais un homme riche ne peut accepter que sa fille y meure.
Dans un cadre science-fictif, Michel Pagel apporte une touche de fantastique avec la figure du vampire et aussi une bonne dose de polar avec la recherche de la fille du magnat. Le mélange des genres fonctionne très bien et donne un ensemble riche et très prenant. “La mort de John Smith” est un régal à lire et le lecteur ne peut que prendre son mal en patience dans l’attente d’un autre texte dans cet univers.
“Écouter plus fort” s’apparente à une quête initiatique, celle de Simet Deux-Doigts Renard-d’un-Été qui se rend, en compagnie d’un cochon, dans les ruines d’une ville. Le style, tout comme l’histoire de Léo Henry, ne manquent pas de surprendre et d’interloquer. Il faut faire un effort d’imagination pour accepter le déroulement et apprécier le périple formateur. Une voix originale !
“Souvenirs de ma mère” ne couvre que 3 pages, mais Ken Liu ne laisse personne indemne. La mère d’une petite fille n’a plus que deux ans à vivre, mais elle souhaite malgré tout la voir grandir. Sans s’étendre, Ken Liu dont un second recueil d’ici fin 2019 est annoncé au Bélial’ fait mouche, il touche en chacun de nous une corde sensible. Quelle maestria !
Dernière nouvelle : “Voyage avec l’extraterrestre” de Carolyn Ives Gilman. Il s’agit d’une road story en bus. Une femme est chargée de convoyer un mystérieux alien et son traducteur, c’est-à-dire un humain enlevé dans son plus jeune âge. Quel lien les unit ? Que veulent ces extraterrestres que personne n’a jamais vus ? Sont-ils dangereux ? Le traducteur se révèle une énigme, humain par ses origines, mais étranger par son expérience. Le déroulement est plaisant à suivre et ne manque pas de soulever des questions. Comment appréhender des êtres qui nous sont si différents ? Dans un autre registre, cette nouvelle n’est pas sans points communs avec celle d’Olivier Caruso.
De son côté le professeur Roland Lehoucq nous amène sur la Lune. Elle a inspiré de nombreux auteurs mais aussi cinéastes. C’est très instructif de voir comment certains ont touché le futur du doigt. Moins de sciences pour ce trimestre, mais toujours le même bonheur à plonger dans “Scientifiction”.
Quatre auteurs français pour deux américains au sommaire, voilà qui est assez rare pour être souligné. À une exception près, ce numéro estival fait très fort en terme de nouvelles. Un plaisir !
Titre : Bifrost
Numéro : 91
Rédacteur en chef : Olivier Girard
Couverture : Manchu
Type : revue
Genres : SF, études, critiques, nouvelles, entretien, etc.
Sites Internet : le numéro 91, la revue (Bifrost) et l’éditeur (Le Bélial’)
Dépôt légal : juillet 2018
ISBN : 9782913039889
Dimensions (en cm) : 14,9 x 21
Pages : 196
Prix : 11€
Pour contacter l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr