Nouvelle comète dans la galaxie des pseudo-space-opera plus ou moins réussis (« Marquer les Ombres » de Veronica Roth, récemment, mais Star Wars ça marche aussi), « Le Trône des Étoiles » ne nous surprendra pas par son réalisme. Encore une fois, l’univers, là heureusement restreint à un système solaire, est étriqué, les planètes réduites à une portion congrue, une ville... Bref, cela n’a les atours de la SF que pour varier de la fantasy, du steampunk ou du post-apo, et tant pis pour certaines incongruités scientifiques, comme une planète Wraeta à moitié détruite (et pas en totalité comme dessiné sur la carte bien bi-dimensionnelle), un zeppelin interplanétaire...
Si, ne soyons pas mauvaise langue, la SF a un double usage ici : présenter un monde connecté, à la diffusion ultra-rapide de l’information, grâce aux machines mais surtout au Cube, une puce implantée à la population (enfin, pas toute), qui remplace avantageusement nos smartphones actuels. Grâce au Cube, on peut stocker ses souvenirs pour les revisionner, intacts, quand on veut. Mais on soupçonne aussi que certains groupes (le gouvernement de Kalu, les dissidents de Wraeta) pourraient en faire mauvais usage : aller piocher dans votre vie privée, voire vous implanter des souvenirs modifiés... Et bien sûr vous géolocaliser. C’est pour cette raison que Rhi coupe son Cube, définitivement, dès les premières pages. Elle expérimente alors le difficile exercice de se servir de sa mémoire naturelle, qui a tendance à déformer certaines images, ne permet pas de zoomer, et fait parfois remonter des souvenirs tristes aux moments inopportuns. Tant d’inconforts bannis par le Cube, qui permettait de vivre en se berçant de ses propres illusions.
On apprend cependant que le cube divise. Certaines sectes, comme celle de Dahlen, le moine-soldat qui sauvé Rhi, le refusent, et l’implantation dès l’enfance ne se fait que dans les zones « civilisées » de l’Empire. Donc pas dans les populations pauvres. Ou les sous-espèces. Il y a certes quelques créatures non-humanoïdes, pas forcément appétissantes, mais les humains sont majoritaires, et « forcément » du racisme.
Celui-ci s’exerce sur les Wraetans, à la peau plus foncée que sur Kalu. Aly a la « chance » d’avoir le teint assez clair, et c’est en cachant ses origines qu’il a pu s’enrôler dans les forces de police spatiale. Mais les Wraetans sont surtout les perdants du dernier grand conflit, et on découvre au fil des pages qu’ils étaient peut-être un peu trop intelligents pour leur propre bien, et l’Empire les a remis à leur place en détruisant la moitié de leur planète, obligeant une bonne part de la population à migrer ailleurs, où ils sont toujours mal reçus. Un bon petit mix entre Noirs et Juifs... Bref, Aly passe de star à fugitif, et tous les soucis sur lesquels il pensait avoir fait une croix lui reviennent en pleine face.
Nos deux héros vont être « pilotés » par leur entourage pour s’extirper de leurs ennuis, les dessillant sur l’unité de l’univers. Rhi découvre un peu tard que le régent n’était peut-être pas le coupable qu’elle haïssait. L’autrice joue avec nous et Rhi pour nous faire douter de la justesse du point de vue de son héroïne : et si le régent était un meilleur gouvernant, plus éclairé que le père de Rhi ? Si l’univers se portait mieux depuis la mort de l’empereur ? Aly apprend quant à lui que Vinz est un espion, et ne sait pas trop qui est en fait visé par leurs récents ennuis. Néanmoins, seul à savoir que la princesse est en vie, il ne compte pas se laisser faire. Mais que faire, justement ? Grâce à Kara, il apprend l’existence d’un relais qui permet de diffuser sur tout le réseau DroneVision. Encore faut-il l’atteindre sans encombre...
Je vous passe les multiples péripéties, guère originales (oh, devinez qui est Kara, en fait ?) mais menées à un rythme trépidant. La narration alterne entre les deux héros, et Rhoda Belleza ne se prive pas de nombreuses ellipses qui laissent parfois penser (jusqu’à un petit flash-back) qu’on a raté quelque chose. L’intrigue s’enrichit à mesure que les vrais enjeux se révèlent et qu’une nouvelle guerre s’annonce imminente, et autour des Cubes l’autrice nous pousse à réfléchir aux dangers des excès des technologies de l’information, du câblage direct cerveau-machine, des dérives inévitables lorsque de tels outils sont utilisés sans garde-fous et par l’armée. Le pouvoir de manipulation des médias est aussi fortement critiqué.
Ce premier roman n’est donc pas inintéressant, soulevant de nombreuses questions de société très actuelles. Son écriture nerveuse, assez visuelle, offre un découpage proche de ce que proposent les séries télévisées (dans ce cercle sans fin d’auteurs facilitant la possible adaptation de leur œuvre, et eux-mêmes étant culturellement nourris par ces nouveaux formats narratifs). On passera donc sur les faiblesses du fond et les quelques poncifs, qui donneront des repères nécessaires aux plus jeunes lecteurs, pour apprécier ce que l’autrice en tire de bon à défaut de neuf.
Terminons sur l’objet en lui-même : la très belle illustration de Lorenzo Mastroianni, assez sobre, est rehaussée par cette large typo rouge de biais, et un vernis sélectif du plus bel effet. Les couleurs sont interverties sur le dos, et le livre accroche systématiquement le regard.
Titre : Fugitifs (Empress of a thousand skies, 2017)
Série : Le Trône des étoiles, tome 1
Auteur : Rhoda Belleza
Traduction de l’américain (USA) : Samuel Loussouarn
Couverture : Lorenzo Mastroianni
Éditeur : Nathan
Collection : Grand format
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 381
Format (en cm) :
Dépôt légal : avril 2018
ISBN : 9782092574072
Prix : 17,95 €