Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Gens sérieux ne se marient pas à Vegas (Les)
Serguei Dounovetz
French Pulp, collection polar, polar déjanté, 290 pages, février 2018, 8,50€


« Mais, à mesure que l’on se rapprochait du moment crucial, la cérémonie prenait l’allure d’une foire aux bestiaux, à l’image de la sœur du mort qui exhibait ses nibards au balcon en poussant des cris de truie. »

Abel Roc, du groupe les « Maîtres nageurs », ne supporte pas le décès de Patchwork, l’un de ses musiciens, qui sonne le glas de sa formation. Défoncé, au volant d’un corbillard Oldsmobile à moteur V6, il s’enfuit en emmenant avec lui cercueil et cadavre. Alors qu’il essaye de faire parler ce dernier, il est rejoint par Candie, son amour de jeunesse, qui est une férue de photographie. Complètement raides tous les deux, ils hallucinent un plan dément : faire une photo sur laquelle ils figureront en compagnie du macchabée, et qui servira de couverture à la pochette de leur tout dernier disque. Une couverture mémorable relançant la roue du succès, les transformant en légendes vivantes. Les effets de ce début de road-trip déjanté se feront encore sentir vingt-cinq ans plus tard, en une cascade d’évènement sanglants, sulfureux, farfelus, et on ne peut plus rock’n roll.

« – Pourquoi tu n’ouvres que 364 jours sur 365 ? Qu’est-ce que tu fous le reste du temps ? – Puisque tu veux savoir, ma seule journée annuelle de congés, je la prends le jour des morts, pour me recueillir sur la tombe de tous ceux que j’ai alignés. »

Il est vrai qu’une aventure ayant commencé dans la petite ville de Justiceburg, régentée par un flic authentiquement psychopathe, ne pouvait guère finir en happy-end. Un quart de siècle plus tard, son saloon, le Cactus rose, retapissé à la cervelle à l’occasion de faits divers, est rebaptisé en Cactus mauve, et l’on s’y trucide toujours aussi joyeusement. Il est vrai que nos rockeurs sont de retour, avec une idée de tous les diables : depuis plus de deux décennies, Abel Roc, malgré ses dérives, a créé un groupe de rock totalement mythique, les Exotics Lizards. Un groupe de femelles déchaînées, des apparitions ici et là, toujours underground, une légende, une rumeur. Rares sont ceux qui ont entendu ou vu ces rockeuses, et pour cause : elles n’ont jamais existé. Mais Abel est bien décidé à rafler la mise : après vingt-cinq ans de buzz, il va organiser un concert qui lui permettra enfin de toucher le jackpot.

« Et il martela le tableau de bord comme un dingue. Des larmes giclaient de ses yeux, éclaboussant la croûte de cuir du volant sans qu’il n’arrive à arrêter l’hémorragie. Trois jours d’abstinence lacrymale compensés par la méthadone et les amphétamines lui avaient sérieusement ravagé le cerveau.  »

Hélas, hélas, rien n’est simple. Entre shérifs psychopathes, losers en tous genres, criminels et obsédés de tous poils, faux imprésarios, politicien véreux, indien magicien et lubrique, prédicateur empaillé, authentique (et improbable) Mae West sur le retour, cadavres ambulants, morts pour de faux et véritables vampires, il apparaît difficile de mener à bien les plans les mieux préparés. La bière, le whisky, le cannabis et la coke aident, un peu. Mais parfois pas du tout.

« Booble hocha la tête et cracha sa chique dans le récipient en laiton posé à ses pieds. Le crachoir fit un tour sur lui-même avant de se stabiliser. Le flic venait de cracher un plombage déficient.  »

Avec Serguei Dounovetz, la référence littéraire est saignante (“ Le journaliste griffonna fébrilement le scoop sur son carnet Moleskine, le même qu’utilisait Ernest Hemingway avant de s’exploser le caisson avec son fusil de chasse”), l’humour est toujours noir et grinçant, parfois cru, et les dialogues oscillent entre Lautner et Tarantino. Côté surprises, côté rebondissements, côté idées retorses, le moins que l’on puisse dire est que Serguei Dounovetz assure, avec une générosité à travers laquelle on devine une forte dose de jubilation. Sans doute l’auteur a-t-il fait sienne cette phrase de Hunter S. Thompson, l’auteur de « Las Vegas Parano » : “Je n’ai pas encore trouvé de drogue qui défonce autant que de s’asseoir à sa table de travail pour écrire.” Du polar gonzo, donc. Avec une bonne dose de grands mythes américains, avec des gros cubes (Chevrolet, Thunderbird, Cadillac Eldorado 1959 ou Mercury 1967), et avec, au passage, un bon nombre de références musicales et cinématographiques.

Entre pop culture et pulp fiction, entre polar rock’n roll décomplexé et fantastique joyeusement horrifique, « Les Gens sérieux ne se marient pas à Vegas » assure jusqu’au bout. Un final inattendu (baptisé « Epilogue tiré par le scalp  »), non pas selon les règles de la très classique pyrotechnie, mais en feu d’artifice d’idées qui n’exclut une petite pointe de fiction se regardant elle-même s’élaborer en se nourrissant de sa propre chair, vient dessiner une conclusion digne de l’ensemble. Hypervitaminé, « Les Gens sérieux ne se marient pas à Vegas » remplit son contrat à cent à l’heure et à cent pour cent, et même au-delà.

_________________________________

Titre : Les gens sérieux ne se marient pas à Végas
Auteur : Serguei Dounovetz
Couverture : iStock / Louise Gatepaille
Éditeur : French Pulp
Collection : Polar
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 290
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : février 2018
ISBN : 9791025102992
Prix : 8,50 €



Hilaire Alrune
5 avril 2018


PNG - 56.7 ko



Chargement...
WebAnalytics