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Artémis
Andy Weir
Bragelonne, Thriller, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 332 pages, janvier 2018, 21,50€

Épais volume qui valait largement son pesant de pommes de terre (les lecteurs comprendront) et qui avait emporté le lectorat dès 2011 avant d’être mis en images par Ridley Scott en 2015 « Seul sur Mars », premier roman de l’auteur, s’était taillé un succès météorique. Dès lors, il était évident qu’un second roman ne pourrait être mesuré qu’à l’aune de cette réussite, et, sauf miracle, pâtirait de la comparaison. C’est en effet ce qui se produit à la lecture d’« Artémis », qui, s’il a beaucoup d’arguments pour séduire, n’atteint pas les sommets martiens.



Artémis, une cité lunaire constituée de cinq gigantesques dômes d’aluminium, née d’un conglomérat d’investisseurs et qui survit grâce à l’extraction de minerais et au tourisme spatial. Un avant-poste façon far-west, contrainte techniques en plus, ou vivent quelques milliers d’habitants. Parmi ceux-ci, Jasmine Bashara – Jazz pour les intimes –, qui vit sur la lune depuis l’âge de six ans. Elle a vingt ans, elle est surdouée, hyper-intelligente, astucieuse, mais hélas plutôt attirée par les mecs et les magouilles, et survit grâce à de petits trafics, des importations illégales depuis la Terre.

Surdouée, peut-être, mais finalement pas si intelligente que ça, et surtout pas futée : elle se laisse attirer, avec une bêtise évidente, dans des magouilles trop grosses pour elle, et se laisse emporter par une commande de sabotage dans une histoire qui devrait (tout comme au lecteur) lui paraître bien grossière dans la mesure où le commanditaire du sabotage en serait si ostensiblement le bénéficiaire qu’il ne manquerait pas de se désigner lui-même. Mauvaise, très mauvaise idée. Car si Jazz parvient, avec une inventivité et une débrouillardise dignes du Mark Watney de « Seul sur Mars », à mener à bien, ou presque, sa mission, le roman, jusqu’alors dans le registre « hard-science » un peu old-school (difficile de ne pas penser à des œuvres de l’âge d’or comme « Les Gouffres de la lune » d’Arthur C. Clarke) se transforme, avec l’assassinat du commanditaire et la traque de Jazz, en récit noir et en thriller économico-politique.

On s’en doute : après avoir, par appât du gain, œuvré du mauvais côté, Jazz reviendra dans le droit chemin, et sauvera la colonie non seulement de sa prise en main par des aigrefins et autres mafias, mais aussi de sa destruction, avec des derniers chapitres spectaculaires et une montée en tension écrits à l’évidence pour l’industrie hollywoodienne. On retrouve, mêlés à d’autres éléments, des qualités qui avaient fait le succès de « Seul sur Mars » : l’astuce du personnage principal, son aptitude à ne jamais se décourager et à toujours trouver une solution, la prise en compte des impératifs du lieu et des lois physiques et chimiques de l’environnement lunaire, le sens des rebondissements et des cliffhangers. La crédibilité scientifique de l’ensemble est à l’évidence particulièrement travaillée. On apprécie les schémas placés en tête de l’ouvrage qui aident le lecteur à visualiser les déplacements de l’héroïne, et la structure de la ville lunaire apparaît convaincante, même si l’on s’étonne, alors qu’elle ne comprend que deux mille habitants, soit l’échelle d’un village, qu’elle comprenne toutes sortes de guildes et que l’on y trouve mille et un de ces individus et de ces établissements que l’on s’attend plutôt à voir figurer dans une mégalopole.

Il s’en trouvera sans doute pour reprocher au final à « Artémis  » (plus léger, plus court de soixante-dix pages, et d’emblée moins dense que « Seul sur Mars », avec en particulier une proportion importante de dialogues), une intrigue un peu simpliste avec une résolution et une « happy end » trop hollywoodiennes. Ou d’autres défauts, par exemple le fait que si l’auteur reprend, comme nous l’avons vu plus haut, des éléments d’intérêt de « Seul sur Mars », il essaie aussi de s’en démarquer de manière peut-être trop visible. En mettant en scène une héroïne féminine issue d’une famille musulmane, Andy Weir fait indéniablement un bel effort, mais on se demande si, après avoir choisi un héros masculin, il n’essaie pas à l’avance de désamorcer par anticipation les critiques en donnant ostensiblement dans les idées larges et le politiquement correct. Auquel cas, se dit-on, les inévitables homosexuels ne vont pas être longs à pointer le bout de leur nez. Et en effet cela ne tarde pas – pour ne rien apporter à l’histoire, mais avec l’intention évidente de s’assurer le plus large public. Un registre racoleur dans lequel l’auteur ne cesse hélas pas d’en rajouter : ainsi, par exemple, si la plupart des dialogues sont bien sentis, nombre d’entre eux sont hélas – et de manière particulièrement artificielle dans la bouche d’adultes – si bas de plafond et si ostensiblement destinés aux adolescents boutonneux que les intentions sont évidentes : l’auteur fait tout, à chaque instant, pour ratisser son lectorat dans toutes les catégories.

C’est sans doute là où le bât blesse de la manière la plus flagrante, et où « Artémis » souffre le plus de la comparaison avec « Seul sur Mars ». « Seul sur Mars » était atypique, indépendant des modes, n’ayant que faire des clichés. « Seul sur Mars » se suffisait à lui-même. « Seul sur Mars » assumait pleinement sa nature de robinsonnade hard-science et ne s’abaissait jamais à faire le camelot. « Artémis  », de manière on ne peut plus transparente, et comme ces prétendus blockbusters hollywoodiens qui en mêlant des éléments pour plaire à tous finissent par ne plaire à personne, pourrait bien lui aussi, paradoxalement, souffrir de ses intentions ostensiblement commerciales, et laisser plus d’un admirateur de « Seul sur Mars » sur sa faim.

Nous l’avions dit en introduction : il est impossible de ne pas juger « Artémis  » à l’aune de « Seul sur Mars », récit mémorable qui avait donné lieu à une adaptation digne d’estime, mais qui ne pouvait, par essence, être aussi riche et aussi dense que le roman. En ce qui concerne « Artémis  », dont on sait que les droits ont été très tôt achetés par le cinéma, l’inverse pourrait être vrai : si le récit, certes prenant, rythmé, et riche en péripéties, ne convainc pas toujours, il apparaît à l’évidence écrit, taillé, séquencé pour une mise en images, et l’on se plaît à rêver à ce que ses éléments mêlés d’anticipation, de polar et de thriller, une fois dépoussiérés de leurs scories, pourraient donner sur le grand écran.

Titre : Artémis (Artemis, 2017)
Auteur : Andy Weir
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Nenad Savic
Couverture : Will Staehle
Éditeur : Bragelonne
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 332
Format (en cm) : 15 x 22,7 x 3
Dépôt légal : janvier 2018
ISBN : 9791028107222
Prix : 21,50 €



Andy Weir sur la Yozone :

- « Seul sur Mars »


Hilaire Alrune
25 janvier 2018


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