Connaissant Sylvie Huguet par ses nouvelles fantastiques « (Rouge Alice », « Avec Elle », « Point final ») et ses romans de fantasy féérique (« Le dernier roi des elfes », « Les Licornes de Thulé ») parus à La Clef d’Argent, sa plume habituellement crue(elle) et sans concession se teinte, dans ce roman pour la jeunesse, d’une naïveté (au sens premier du terme) sur le fond comme la forme.
Les indices explicites sont rares (le prénom Ghislaine, l’ouverture du centre équestre), et le lecteur novice mettra quelques pages à comprendre que cette histoire démarre il y a quelques années déjà, dans ce monde simple, dépouillé d’écrans et de technologie, ce passé un rien désuet et intemporel auquel appartiennent les aventures du Club des Cinq, Clan des Sept et autres bandes de la Bibliothèque Rose. Il ne faut que la rudesse du moniteur équestre pour commencer à en douter - car personne, hormis les Méchants, n’était vraiment méchant dans la Rose.
Si on apprécie, en très peu de pages, de voir le rapport de forces du groupe basculer, le leardership passer d’Anne à Ghislaine, on regrettera le retour des choses « à la normale » sitôt le trio passé à Roquémeraude, comme une vengeance mesquine d’Anne, ravie de se retrouver sur « son » terrain, dans le terreau de ses histoires, des romans qu’elle adore, un lieu où elle n’est pas faible ni raillée, un lieu où c’est la foi en la magie qui prime.
Et, parce qu’il me semble difficilement concevable que Sylvie Huguet ait écrit une historiette pour enfants totalement innocente dans un ton totalement suranné, c’est bien évidemment là qu’on trouvera tout le message de « Glaive de Jais » : métaphore classique du passage à l’âge adulte, incarné par Lucas et Ghislaine, qui changent dans leur corps, leurs sensations, leurs relations, leurs centres d’intérêt, tandis qu’Anne, dans sa quête pour sauver Glaive de Jais, cherche envers et contre tout à demeurer dans ce cocon sûr et confortable de l’enfance. Vu la rudesse de ses premières expériences de l’adolescence, on la comprend : la perte de repères, de contrôle est rude.
Si la quête peut paraître elle aussi simpliste, semblable à d’autres voyages merveilleux (on pensera au « Magicien d’Oz » tout comme au « Seigneur des Anneaux », entre les monstres ailés et l’araignée qui garde l’entrée), le Méchant offre une réflexion plus originale, exploitant cette faille entre les mondes, là encore un thème un peu tombé en désuétude dans la fantasy (depuis les « Chroniques de Krondor » de Raymond Feist à « La Tour Sombre » de Stephen King. J’ai souvenir, il y a vingt ans, des « Aventuriers du monde magique » d’Andre Norton, une très belle série jeunesse chez Pocket hélas aujourd’hui épuisée). Il ne s’agit pas seulement de dominer le monde, mais de l’avilir, de le souiller irrémédiablement par cet antagoniste de la Nature qu’on appelle la Modernité. Si ses arguments sont charmeurs, on ne se laissera pas envoûter.
Enfin, la conclusion est intéressante, puisqu’après le choix évident d’Anne de rester liée à Roquémeraude, on retrouve notre trio des années plus tard. Lucas et Ghislaine sont restés dans le monde des chevaux, Ils ont « réussi », sont devenus des adultes responsables, parents... tandis qu’Anne semble mener une petite vie triste et un peu misérable, autrice pour la jeunesse (attention, apprentis auteurs, message explicite). Cette grisaille n’a bien sûr aucune importance à ses yeux puisqu’elle peut retrouver quand elle veut dans le pays de ses rêves auprès de ses chevaux ailés tant aimés. Métaphore à peine voilée de la richesse que procure une vie intérieure épanouie, loin des satisfactions matérielles.
Mais c’est un regard d’adulte que je porte sur « Glaive de Jais ». Par son ton et son rythme un peu désuets, je crains qu’il ne rebute la plupart des lecteurs d’aujourd’hui, habitués au bruit et à la fureur, ou à une densité d’intrigue toute autre, ces 130 pages ne rivalisant en aucune façon avec « Harry Potter » et les sagas de fantasy dont nous sommes inondés depuis.
Il faudra aimer les chevaux autant que les trois protagonistes pour s’attacher à leurs pas, probablement être une fille du profil d’Anne tant elle relègue vite ses amis au second plan, et sans doute également ne pas les dépasser en âge, 10-12 ans, pour apprécier les qualités littéraires du texte et ne pas s’attacher au seul fond, assez classique comme vu plus haut. Néanmoins, le traitement des thèmes principaux nécessitera une certaine maturité, ou participera à la faire grandir.
Un petit roman non dénué de qualités, mais qui aura donc bien du mal à se faire une place, tant il dissone dans le paysage éditorial jeunesse actuel.
Titre : Glaive de Jais
Auteur : Sylvie Huguet
Couverture : (non crédité)
Éditeur : Assyelle
Site internet : page roman (site éditeur)
Pages : 131
Format (en cm) : 20 x 14 x 1,2
Dépôt légal : novembre 2017
ISBN : 9782378550004
Prix : 12 €