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Petit répertoire des Légendes Rationnelles (Le)
Ugo Bellagamba
ActuSF, nouvelles (France), imaginaire, 236 pages, mai 2017, 5,99€

Des dieux, des hommes qui se prennent pour tels, des idées qui vivent, qui meurent, des légendes qui naissent et sont oubliées... Du rêve, de l’espoir.
Il y a tout cela chez Ugo Bellagamba.



S’il est un nouvelliste qu’on aura toujours croisé avec plaisir (littéraire) depuis le début du siècle, c’est bien Ugo Bellagamba. ActuSF produit un ouvrage aussi exhaustif que « Fidèle à ton pas balancé » de Sylvie Laîné, et offre un large panorama du talent de l’auteur, dans des thèmes très variés.

Les Années d’orichalque”, parue dans « Dragons » (Calmann-Levy), mixe subtilement fantasy nordique avec annonce du Ragnorök et SF, pour un récit dramatique autant qu’épique. Voilà pour les grandes orgues.

Vient ensuite “Écrire l’humain”, plus ancien des textes présentés, publié dans Étoiles vives en 1998 et pour ma part découvert dans une petite anthologie il y a des années, « Le Dernier Livre ». Dans une grande bibliothèque, nuitamment, les livres descendent de leurs rayonnages et philosophent sur leur relation à l’Homme. Qui influence l’autre ? Façonnent-ils les Hommes ? Certains provocateurs prétendent que ce sont les hommes qui les ont créés, eux. Avec le temps (et le désherbage), le discours évolue, les classiques s’effacent au profit de nouveaux titres. L’un d’eux va faire entendre une nouvelle voix, celle de la SF, de l’avenir... Ce texte très brillant ravira tous les lecteurs du genre, et les bibliothécaires plus encore. On y trouve le goût de l’auteur, docteur en droit, pour la dispute argumentative, qui ressurgira dans d’autres textes.

Dans “La fin de toutes les fêtes”, il confronte un petit garçon, futur politicien au début du XIXe, à la Befana, une sorcière qui équivaut en Italie à notre Père Fouettard. La vieille femme ne se présente pas sous son vrai visage, et pousse l’enfant à choisir entre ses désirs et ce qui est bon, entre sa peur et sa raison, accompagnant son entrée dans le monde adulte. Un conte d’hiver empreint d’une magnifique poésie.

Un hiver avec Fermi” donne la parole à un narrateur non-humain, une conscience qui deviendra l’Univers, qui va nous raconter son histoire, et celle de l’Humanité, sa naissance, sa dissémination, en la présentant sur une échelle de temps différente : une année. Eh bien, nous sommes bien peu de choses quand nos 30 siècles, du paléolithique aux balbutiements spatiaux, sont réduits à moins d’une seconde. Un excellente mise en perspective et encore une fois, un très beau texte.
L’Icare hermétique”, écrit pour l’anthologie « Vampires à contre-emploi », nous expédie sur Mercure, où les condamnés sont expédiés par le gouvernement terrien chrétien. Là, changés en vampires pour supporter les conditions locales et la rudesse du travail, les bagnards extraient du titane. Et quelques-uns fomentent une action d’éclat. La liberté ? Peut-être, sous une forme ou une autre. Pure ambiance SF, entrelacée d’allusions aux classiques du vampirisme, et toujours un fond très humain.

Journal d’un poliorcète repenti” est un peu plus long, et a été couronné du prix Rosny-Aîné 2012. Son narrateur est membre d’une société secrète, trouvant ses origines avec Vauban (dont ils ont adopté le nom comme substantif), et s’efforçant de garantir la paix dans le monde au moindre prix. Au XXIe siècle, leurs outils ont évolué, ils peuvent compter sur les nanites, des nano-machines, pour « influencer », convaincre, faire changer d’avis leur cible. Mais notre personnage, vieux briscard, commence à se poser des questions sur leurs assassinats préventifs, et doute de la probité de l’ordre, qui se vend à des dictateurs. Intervenir au Maghreb en plein Printemps arabe achève de le convaincre que la paix ne vaut parfois pas quelques vies d’innocents... Il retourne alors sa veste. Si la nouvelle n’est pas écrite comme un journal à proprement parler, on y suit l’introspection du narrateur, l’ébranlement de ses certitudes, de sa croyance pourtant éclairée en un dogme pragmatique. Mais les meilleures intentions du monde ne sont rien entre les mains de mauvais hommes...

Ma petite reine des neiges” est un hommage à Kipling, le met en scène dans un récit de voyage en dirigeable. Un texte presque davantage vernien, teinté de sciences et de patine fin XIXe, presque onirique et très émouvant. Tout aussi émouvant, “La Maladie d’Alice”, paru dans « Mission Alice », mélange l’héroïne de Carroll et Alzheimer, confrontant la liberté de l’imaginaire et le carcan de cette maladie qui vous vole tout.
Retour à Jules Verne avec “Non-Absinthe”, une nouvelle fantastique qui s’appuie sur « Le Rayon vert », et ce phénomène optique après lequel court son personnage. Côtes normandes et bretonnes oblige, tout un folklore visuel rejaillit à la lecture de cette course après un amour perdu. Pour ma part, la patte de Guillaume Sorel s’est imposée, depuis « Algernon Woodcock » à son tout récent « Bluebells Wood ».

Purple Brain” narre non seulement le premier contact d’une sonde avec Titan, mais met en scène un décor qui sera familier aux lecteurs : les Utopiales, grand’messe du genre à Nantes, où les mots science et fiction ne sont pas galvaudés, au contraire. C’est un port, également. Et c’est d’un port qu’on se lance vers l’inconnu, vers l’Autre, parfois sans espoir de retour. Un texte d’autant plus touchant qu’il s’ancre dans notre quotidien avant de nous expédier à l’autre bout du système solaire.

Quand il y aura des pommiers sur Mars” devait être une pièce radiophonique, et est finalement une uchronie communiste aux accents d’espionnage façon années 50. Surprenant, presque léger avant le surréaliste et moins accessible “Réducteur de possibilités” qui traite de la perception collective de la réalité.

Conte métaphorique très bref, “le Suicide de la démocratie” est à la fois posé et empressé, comme tout texte à chute. Tout sonne cruellement vrai à cette veillée funèbre où les formes politiques s’incarnent, divinités en plein essor ou bientôt déchues. Il fait un bel écho à “Écrire l’humain”, ainsi placé en quasi fin de volume.

Restent “Le Tigre de la lune”, voyage dans le temps hommage à Barjavel, très bel usage d’un thème classique, et “La Véritable histoire de messire Gauvain et du Chevalier vert”, fantasy arthurienne dans la pure tradition du genre médiéval, lui aussi renvoyant aux Années d’orichalque, mettant son chevalier au pied du mur, face au poids de sa quête et de son destin.

A chaque texte, Ugo Bellagamba surprend, fascine, mais surtout enchante. S’il n’échappera à personne que sa production n’est pas innocente et pousse le lecteur à s’interroger sur lui-même, ses actes, leurs répercussions, voire sa place dans l’univers, malgré un penchant au pessimisme, c’est une poésie lumineuse, pleine d’espoir en la beauté, qui émane des textes d’Ugo Bellagamba. Comme une certitude profonde que quelle que soit la noirceur des choses, la lumière les transpercera toujours.

On regrettera un peu que ce « Petit répertoire des Légendes Rationnelles » n’existe qu’au format numérique, et on blâmera le désamour de la clientèle des librairies pour les recueils, une triste réalité économique hélas aussi criante en Imaginaire qu’en littérature générale.

A ceux qui en redemanderont, je ne saurais trop conseiller « L’Origine des Victoires » ou encore « Tancrède, une uchronie » (aussi en poche)


Titre : Le Petit répertoire des Légendes Rationnelles
Auteur : Ugo Bellagamba
Nouvelles :
Les Années d’orichalque
Écrire l’humain
La Fin de toutes les fêtes
Un hiver avec Fermi
L’Icare hermétique
Journal d’un poliorcète repenti (prix Rosny aîné 2012)
Ma petite reine des neiges
La Maladie d’Alice
La Véritable Histoire de Messire Gauvain et le Chevalier Vert
Non-absinthe
Purple Brain
Quand il y aura des pommiers sur Mars
Le Réducteur de possibilités
Le Suicide de la démocratie
Le Tigre de la Lune
Couverture : Yann Foucaud « Lylandra »
Éditeur : ActuSF
Collection : Les 3 souhaits
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 236
Dépôt légal : mai 2017
ISBN :
Prix : 5,99 € en numérique uniquement



Nicolas Soffray
7 septembre 2018


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