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Nouvelle Sparte
Erik L’Homme
Gallimard Jeunesse, roman (France), dystopie, 315 pages, octobre 2017, 13,50€

Le Monde-d’avant s’est écroulé. Dans le Monde-d’après, il y a l’Occidie, décadente, le Darislam... La Fédération de Baïkalie s’est reconstruite, loin au nord, sur le modèle de l’Antique Grèce et de Sparte. Avec sa jeunesse formée à la guerre, ses redoutables squalines de chasse et ses satellites-tueurs, la petite fédération tient tête à ses voisins, qui tous la redoutent.
Valère et Alexia se connaissent depuis leur enfance et leurs années d’agogé, cet apprentissage loin de leur famille. Valère pourrait devenir diplomate, comme son père assassiné au Darislam, mais à l’institut Lycurgue il a préféré Ikarios et la carrière de pilote de squaline, pour suivre Alexia.
Avec leurs amis Dris, forte et sensuelle, et Skelios, grand et sec, ils vont affronter la kryptie, le rite initiatique qui les fera entrer dans l’âge adulte et la pleine citoyenneté.
Mais un attentat frappe Nouvelle Sparte. Pendant les 9 jours où ils doivent survivre, seuls, sur l’île sacrée de la kryptie, Valère est pris en chasse par des hommes armés. Puis un autre attentat pendant les Jeux de Déméter.
C’est alors que le Commandeur et les Recteurs confient une mission à Valère : prétendre vouloir quitter la Fédération et rejoindre la famille de sa mère, en Occidie, pour découvrir l’origine de ses attentats. Après le déchirement de devoir faire semblant de trahir sa patrie, de devoir quitter Alexia à qui il vient à peine de révéler ses sentiments, Valère va affronter un monde auquel il n’est pas préparé : une société individualité, régie par l’argent, et sans dieux. Avec ses multiples tentations.



Erik L’Homme fait partie des auteurs pour la jeunesse qu’on apprécie même adulte. Son œuvre a ceci d’immensément appréciable qu’elle aide à grandir, à se construire, à s’interroger sur soi-même, comme dans « Le Regard des princes à Minuit ». Même dans sa dernière trilogie de fantasy, « Terre-Dragon », habilement négociée en quelques centaines de pages, il va à l’essentiel, s’emparant du genre pour interroger notre humanité, nos choix.

« Nouvelle Sparte » est de la même veine. Quatre personnages qui entrent dans l’âge adulte, formés par leur société, brûlant de l’enthousiasme de trouver leur place. On suivra surtout Valère, et un peu Alexia ; leur déclaration d’amour mutuelle, leurs convictions...

Valère, donc : fils d’un diplomate assassiné à l’étranger et d’une Occidienne qui a abandonné son pays pour la Fédération, Valère n’en est pas moins un excellent exemple de la jeunesse néospartiate, idéalisant sa république, prêt à beaucoup pour la servir. Seule la force de ses sentiments pour Alexia peut rivaliser. Ce qui rendra sa mission d’autant plus dure : abandonner son amour, même pour 3 mois, pour servir sa nation. Et en Occidie, dans la famille de son oncle Carl, il découvre une autre vie, qu’il réprouve initialement avant de céder sur quelques points, parfois à son corps défendant. Je n’en dis pas plus, ni sur l’intrigue, peut-être un rien simpliste, digne de « La Menace Fantôme » (« Oh, mais qui a le plus intérêt à déclencher la guerre ? Qui a tout à y gagner ? ») mais qui de fait s’efface devant les rencontres et l’évolution intellectuelle de Valère, le vrai thème de cette histoire.
Car cette expérience dans le camp ennemi va dessiller le jeune homme, pas tant sur les excès de Nouvelle Sparte que sur l’exercice du pouvoir et de l’information. Ses découvertes autour de la mort de son père vont le forcer à nuancer sa perception des autres nations, et en cela le livre, en douceur, diffuse un message de tolérance et démonte les amalgames entre religion(s) et terrorisme.

Le roman peut sembler violent, et nécessitera de la part des plus jeunes lecteurs quelques connaissances en histoire antique, sur la vraie Sparte. Erik L’Homme saupoudre quelques termes grecs (l’agogé, la kryptie...) et transpose dans sa dystopie post-apocalyptique ces rites : une éducation « à la dure » coupée de la famille, une épreuve finale de survie en pleine nature, des cérémonies d’intronisation dans d’autres formes de famille. Sans quelques détails de-ci de-là, on pourrait se croire en pleine Antiquité, d’autant que la vie spartiate, faite de dépouillement, contraste avec les technologies notamment militaires auxquelles les personnages ont accès : avions de chasse amphibies à longue portée, satellites de communication et d’attaque (la Guerre des Étoiles, la vraie, historique, est toujours d’actualité - quoi de plus dissuasif que des missiles en orbite ?) côtoie une vie humble, communautaire, égalitaire, un idéal grec qui ne s’embarrasse pas de superflu, pour se concentrer sur le bien-être de l’individu et du groupe. Le je-suis et le nous-ensemble, pour citer Valère.

Et on aborde là la grande idée du roman : Erik L’Homme adapte la langue à sa société. Outre un effet grammatical intéressant, qui impose le présent aux actes et pensées de Valère dans tout le reste est au passé, ce qui crée un décalage intéressant, « Nouvelle Sparte » déploie une novlangue quasi orwellienne : plutôt qu’un vocabulaire riche et compliqué, les mots sont en adéquation avec le mode de vie et de pensée des Fédérés. Les phrases sont très souvent courtes, l’auteur n’hésite pas non plus à hacher sa prose pour la faire coïncider avec le rythme cardiaque ou le souffle de son héros. Sauf lorsqu’on croise des philosophes ou des diplomates, plus prolixes. Et le vocabulaire, plutôt que se compliquer, accole deux mots simples et explicites. Plus proche dans son immédiateté des sensations, du ressenti. Sourire-bonheur. Tristesse-douleur. Le je-suis et le je-fais.

Cela permet aux Néospartiates comme à l’auteur de parler de psychologie, de philosophie, de concepts abstraits poussés avec des mots et des concepts simples, et le lecteur de s’y immerger naturellement, sans cette barrière des mots. Un principe antique qui ouvre la réflexion à chacun, d’autant plus appréciable à notre époque d’abrutissement sous les discours abscons, verbeux, aux éléments de langage transparents et creux.

On peut ou non adhérer aux concepts spartiates, très durs, et ne pas partager le constat de Valère sur la mollesse de ses cousins, auxquels l’argent apporte tout sans effort, et au vide de leur existence, toute en futilités et en consommation effrénée. La société spartiate vantait la force des corps et des esprits, et l’auteur, ou sa Nouvelle Sparte, passe sous silence le devenir des faibles. Nous en saurons peu sur le destin de Skelios, blessé à la jambe et handicapé à vie. Déjà privé de kryptie, il démontre néanmoins sa valeur, et ne saurait être écarté d’une société qui n’est pas seulement militaire. D’autres aspects pourront également heurter, surprendre, dans notre culture imprégnée de morale chrétienne pudibonde, comme la liberté des corps, la pudeur, la sexualité. C’est tant mieux.

En conclusion, si les ressorts de l’intrigue ne surprendront pas les plus expérimentés, tous apprécieront la dénonciation, frontale ou plus nuancée des différentes sociétés de « Nouvelle Sparte ». Les échanges de Valère avec ses amis autour de la religion, des religions (monothéisme, polythéisme, animisme) et de l’athéisme sont très éclairants. Enfin, cette novlangue participe pleinement de l’immersion et du rythme de la lecture, et là encore, en cette période actuelle de débats sur l’origine des mots de la langue française, la féminisation et des noms et l’écriture inclusive, elle poussera les adolescents à réfléchir sur son usage et ce qu’elle reflète de notre société.

Un très bon roman, une aventure palpitante, immersive et effrénée, et bourré de questionnements très contemporains. Dans son œuvre, Erik L’Homme donne aux ados d’aujourd’hui les clés d’une meilleure compréhension d’eux-mêmes et des outils pour affronter le monde d’aujourd’hui. Afin d’en faire des adultes responsables demain.


Titre : Nouvelle Sparte
Auteur : Erik L’Homme
Couverture :
Éditeur : Gallimard Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 315
Format (en cm) :
Dépôt légal : octobre 2017
ISBN :
Prix : 13,50 €



Nicolas Soffray
12 janvier 2018


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