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Soudaine Apparition de Hope Arden (La)
Claire North
Milady, science-fiction / thriller / littérature générale, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), 657 pages, novembre 2017, 8,20€

De Claire North, alias Catherine Webb, alias Kate Griffin, nous avions précédemment chroniqué « Les quinze premières vies de Harry August », un roman imparfait mais qui recelait suffisamment de trouvailles pour pousser le lecteur à revenir vers ses œuvres. Avec « Touch », l’auteur confirmait son talent. Dans « la soudaine apparition de Hope Arden », Claire North développe une fois encore un imaginaire singulier.



Elle se nomme Hope Arden. Son nom, pourtant, n’a aucune importance. Vous la rencontrez, vous l’oubliez. Si vous la rencontrez de nouveau, c’est la première fois que vous la voyez. Ce qui n’a aucune importance : vous l’oublierez.

Des individus qui se plaignent d’être invisibles, et qui d’une certaine manière le sont, nous en connaissons tous : ceux que les serveurs ne voient jamais à la terrasse d’un café ou qui, après être allés passer commande au comptoir, peuvent attendre à leur table aussi longtemps qu’ils le voudront. Ceux que l’on oublie lorsque l’on remonte en voiture pour s’en retourner chez soi après le pique-nique. Ceux dont en réunion l’on oublie la présence pour se mettre à parler d’eux comme s’ils n’étaient pas là. Autant d’expériences authentiques et désagréables qui ne doivent pas grand-chose au hasard – ce sont toujours les mêmes individus qui en font les frais. Une propension à devenir invisible et presque instantanément oubliable, ou, plus exactement, une incapacité à être aussi présent et aussi visible que le commun des mortels, voilà le point de départ de « La soudaine apparition de Hope Arden ». Une capacité / incapacité que Claire North imagine portée progressivement à son paroxysme chez une jeune femme dont tous, à commencer par ses proches, oublient peu à peu l’existence.

À partir de cet argument de nature fantastique, Claire North développe deux trames parallèles, deux temporalités légèrement décalées et qui finiront par fusionner en une seule. D’une part, le passé de Hope Arden, son effacement progressif du monde à mesure que son handicap s’aggrave. D’autre part son présent, un récit de science-fiction consacré à une autre thématique, et dans laquelle son handicap est considéré sous l’angle d’un super-pouvoir.

«  Ils ont pris Google, Amazon, Bing, Yahoo, Twitter, Facebook, Weibo – tous les algorithmes, toutes les données, et ils ont cherché ce qui était considéré comme parfait. Ils se sont dit que le Cloud saurait, parce que le groupe a toujours raison. »

Cette autre thématique, celle d’un futur très proche et quasiment contemporain, nous la connaissons déjà : c’est celle du « Big Brother » de George Orwell, un « Big Brother » utilisé non pas dans un but politique mais dans celui de faire de vous un être standardisé et un esclave absolu du système mercantile. Un individu soumis aux diktats commerciaux et aux décisions du « cloud », un cloud animé par le seul dessein de vendre, encore et encore. Un « cloud » dont la dangerosité, déclinée sous d’autres formes, avait déjà été envisagée par Frédéric Delmeulle dans « In Cloud we trust »

« Elle écoute vos coups de fil, lit vos mails, accède à votre compte bancaire, enregistre votre historique de recherches, utilise votre GPS pour vous localiser, espionne vos cartes de fidélité pour connaître vos habitudes d’achat, a accès au micro de votre téléphone et de votre appareil photo, surveille votre sommeil, votre travail et vos loisirs. »

« Perfection », application informatique qui à chaque instant vous aide et vous conseille dans l’optique de faire de vous un être meilleur (mais aussi de tout savoir sur vous pour vous connaître dans le moindre détail et faire de vous le pantin d’un système omnimercantile) apparaît comme la dénonciation assez transparente des dérives informatiques déjà existantes, non seulement consenties, mais aussi recherchées par une partie non négligeable de la population, qui accepte que de telles applications aient accès, par exemple à ses mails et à ses pièces jointes pour lui proposer les « services » les mieux adaptés. Claire North, dans la grande tradition science-fictionnesque de dénonciation de dérives déjà en place, enfonce donc des portes plus qu’entrebâillés. De même, elle nous alerte sur les handicaps induits dont les plus lucides d’entre nous ont déjà abondamment constaté les ravages : personnes devenant subitement incapables de choisir un restaurant dans leur propre ville sans l’aide d’une « application » ou errant dans la rue en échouant à trouver un bâtiment à l’aide de leur téléphone alors qu’il leur suffirait de lever la tête pour voir les numéros sur les façades.

« D’un point de vue purement idéologique, la vérité, c’est que Perfection impose son idée de la perfection, et que, de son point de vue, être parfait, c’est être beau, arrogant, riche, gâté et obscène.  »

Après le décès d’une jeune femme ayant souscrit à Perfection, Hope Arden, qui n’a pas vraiment de but dans la vie, persuadée du caractère à la fois inhumain et nuisible de cette invention, décide de le détruire. Attaquer une multinationale ? Elle pourrait bien en avoir les moyens. Sa capacité à être totalement oubliée quoiqu’elle ait pu faire quelques minutes après avoir disparu du champ de vision des personnes à qui elle a eu affaire lui a permis de multiplier impunément les vols – et pas des moindres. Son super pouvoir va lui permettre de remonter à la source de Perfection, tout en échappant à un inspecteur de police et à divers hommes de main, lesquels, grâce aux enregistrements vidéo, ont fini par accepter l’incroyable : la voleuse est une jeune fille dont nul ne conserve le moindre souvenir. Et qui ont fini par deviner qu’ils l’ont eux-mêmes déjà rencontrée à plusieurs reprises.

« J’ai créé des traitements pour rendre les gens meilleurs. Je pensais les utiliser pour devenir courageuse. Mais les gens ne veulent pas devenir courageux, d’après Rafe. Ils veulent être parfaits. Alors c’est ce que font les traitements. Ils effacent leur âme et font d’eux quelqu’un de nouveau. »

Comme dans « Les quinze premières vies d’Harry August », comme dans « Touch », Claire North parvient, avec une imagination débordante, à tirer le maximum de son postulat de départ, tant sur le plan émotif et psychologique que sur le plan de l’action. Il n’est guère difficile de produire une bonne première impression même quand vous venez de rater votre essai, puisque votre interlocuteur vous oublie aussitôt et que vous pouvez retenter votre chance un aussi grand nombre de fois que vous le souhaitez. Il n’est guère difficile de s’introduire dans un complexe où les gens que vous croisez, même s’ils s’étonnent de vous voir, vous auront oubliée dès que vous serez sortie de leur champ de vision. Se faire coincer dans une pièce par une bande de vigiles ? Il suffit d’attendre quelques minutes, au terme desquelles ils auront oublié votre présence. Mais comment diable peut-on traquer un individu que l’on oublie sans cesse ? Comment diable construire un projet avec un individu que l’on oublie dès qu’il a le dos tourné ?

« J’ai tué l’humanité. J’ai fourni aux gens l’outil nécessaire pour aspirer hors d’eux tout ce qui était laid, amer et défectueux, et il s’avère que tout ce qui reste, c’est une création marketing. »

On l’aura compris : il y a dans « La soudaine apparition de Hope Arden  » deux romans distincts. Le premier, qui comporte plusieurs chapitres extraordinaires, est celui de l’effacement, de son vivant, d’une jeune femme de la mémoire de ses proches. De sa disparition progressive. D’une formidable réflexion sur les liens entre existence et mémoire. De l’impossibilité d’être quand les personnes que vous rencontrez, ou avec qui vous entamez une liaison, vous oublient dès lors que vous disparaissez quelques minutes. En toute subjectivité, nous estimons que Claire North aurait pu en rester là. Un roman bref qui, développé à part entière, aurait pu être faire une de ces œuvres indémodables et bouleversantes qui frappent à jamais, et qui aurait pu s’inscrire dans la lignée des classiques, à la manière du célébrissime « Des fleurs pour Algernon » de Daniel Keyes.

Second roman dans « La soudaine apparition de Hope Arden » : un bon thriller avec un super pouvoir encore jamais vu. Un ouvrage passionnant et trépidant, avec ses qualités et ses défauts (à côté d’une inventivité constante, les recherches scientifiques et traitements expérimentés sur Hope, dans leur description, relèvent plutôt de romans écrits par des tâcherons, et certaines jamesbonderies, que d’aucuns pourront trouver répétitives, lorgnent un peu trop du côté cinématographique), et avec cette multiplication des lieux et des situations qui fonctionnait déjà parfaitement dans les précédents romans de l’auteur.

Que conclure, en définitive ? On pourrait être tenté de reprocher à Claire North d’avoir voulu en faire trop, d’avoir mêlé un thriller science-fictionnesque et un peu commercial à une œuvre plus profonde qui aurait pu se suffire à elle-même, d’avoir écrit un pavé de six-cent-cinquante pages alors que beaucoup moins auraient suffi. Mais ce serait aussi lui reprocher de construire un roman particulièrement riche et imaginatif ou d’avoir des idées nouvelles qui souvent manquent à la littérature de genre. Et l’on soulignera que l’ensemble, grâce à une construction soigneuse, compose un tout homogène qui est aussi un véritable « page-turner ». Avec «  La soudaine apparition de Hope Arden », Claire North poursuit l’élaboration d’une œuvre à part, à l’intersection entre fantastique, science-fiction et littérature générale, et avec une générosité qui donne envie de la suivre dans ses romans à venir.


Titre : La soudaine apparition de Hope Arden ( The Sudden Appearance of Hope, 2016 )
Auteur : Claire North
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Isabelle Troin
Couverture : Shutterstock
Éditeur : Milady (édition originale : Delpierre, 2015)
Collection : science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 657
Format (en cm) 11 x 18
Dépôt légal : novembre 2017
ISBN : 9872811230951
Prix : 8,20 €



Claire North sur la Yozone :
- « Les quinze premières vies de Harry August »
- « Touch »


Hilaire Alrune
25 décembre 2017


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