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Le cyberespace de l'imaginaire




Star Marx
Maximilien et la moitié
Leha, Guide de voyage de l’aventurier imaginaire, guide imaginaire (France), 160 pages, novembre 2017, 23€

Imaginez... L’URSS a remporté la guerre froide. L’avenir du monde en a été chamboulé. Le communisme s’est répandu sur la terre et dans toute la galaxie... mais pas n’importe lequel, le plus beau, le plus noble, le communisme soviétique !
C’est-à-dire aussi le plus inégalitaire, le plus bureaucratique, le plus politisé. Celui qui vous pousse à dénoncer le premier votre voisin, à apprendre à vous contenter de peu, voire de rien - ça tombe bien, du rien, vous en avez tellement que vous seriez tenté de le déclarer au Parti pour le partager avec vos Kamarades.
Ah, mais c’est là le discours séditieux des exilés de la Border Zone, où sévit un grand laissez-aller, voire des poches de capitalisme !
Kamarade, sois un bon communiste, et délecte-toi des beautés que propose notre beau régime, par-delà les étoiles, et voyage à bord de son Soyouz Lada sur les traces de nos guides suprêmes et de leurs clones, visite les planètes à l’architecture règlementairement bétonnée, ébaubis-toi de tant d’égalité ! Mais fais attention quand même, on ne sait jamais...



La SF nous propose nombre de mondes imaginaires comme cadre à de grandes aventures, épopées, quêtes,... choses (comme dirait Pérégrin Touque). Mais que trouver de mieux qu’un univers en relative paix, sans guerre ni dragon ou génie du mal, à visiter ?
Certes, ce n’est pas le premier essai du genre. Mais c’est un des rares qui s’y tient. Combien ont été déçus que « H2G2, le guide du rout... voyageur galactique » soit finalement un roman ? Douglas Adams mériterait le goulag. Combien d’ouvrages atypiques ne se sont pas astreints à cette contrainte formelle, pour dériver vers ces formes artistiques qu’on qualifie de littéraires ? J’ai encore en mémoire « La Cité des Fous et des Saints » de Jeff VanderMeer...

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Nous pourrions multiplier les exemples. Il faut donc le clamer haut et fort, en bombant notre torse de fier prolétaire : « Star Marx » est un vrai guide touristique. Le grand guide de l’URSSS, l’Union des Républiques Sidérales, Socialistes et Soviétiques.
À ce titre, et malgré la lâcheté des éditeurs qui s’en dédouanent, il recense lieux remarquables et attractions à ne pas manquer dans un univers rouge d’égalité entre les formes de vie intelligentes, du moins celles classées de A à J (en-dessous, vous pouvez les abattre à vue, les faire cuire à la flamme du réacteur...). Il fourmille de bonnes adresses pour réserver une place dans un goulag sidéral, d’astuces pour échanger souvenirs inoubliables contre tickets de rationnement excédentaires, expériences que vous ne ferez qu’une fois dans votre vie (qui risque de s’achever dans les secondes suivantes, à moins que la déportation dans une mine ne rende simplement vos décennies suivantes très monotones)...

Bref, vous l’aurez compris, dès la couverture, dès le nom de l’auteur, cet ouvrage est un concentré d’humour corrosif où l’on va railler le communisme, non pas son essence mais la version dévoyée que les hommes ont appliquée, à travers ses clichés les plus tenaces et sans doute pas totalement immérités. Pour les plus jeunes, relisez « Spirou et Fantasio à Moscou », on est dans le même ton, les références SF en plus. Et elles sont légions (oui, avec un s, y’a besoin), donnant un sel particulier à un comique qui s’essoufflerait sans doute vite à force de répétition.

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LAAAAA ! La La La la... La, lalala, la, lalala, la, lalalala...

Après un avant-propos et mise en garde en forme de menu déroulant sur fond étoilé, - ah, il ne manque que la musique de John Williams par les Chœurs de l’Armée Rouge, tiens -, le guide s’ouvre sur une brève présentation des intervenants qui égayeront l’austérité de cet ouvrage de référence avec leurs anecdotes rapportées du terrain. Valérian (rassurez-vous, le récent film de Luc Besson sera écorché vif), le capitaine Kirk, John Difool, Ellen Ripley et même, truculent, JarJar Binks. Panel représentatif de la SF, et surtout de la culture SF en France. D’autres suivront, plus subtiles, aussi si l’un des noms ci-dessus vous est inconnu, sachez déjà que vous risquez d’être régulièrement « laissé au bord du chemin ». Dune, Star Wars, Star Trek, mais aussi les Pokémons, Super Mario, McDonald’s... L’inattendu, trop long à énumérer, vous guette !
Nos intervenants voient tous leur noms russisés, un procédé qui sera là encore systématique, question de cohérence, comme tous les noms propres et quelques noms devenus communs.

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Vous aussi, arrachez-vous les yeux sur le plan pour décrypter le nom des stations. De Loisir productif à la Place du Grand Bond en Avant, de Pal Patinovitch à Lyuk Skywalkersky en passant par Laïka (et Gagarine, Jeff Noonsky ou Mario Brosky... sans oublier Mao Doudoune et Marx Brothers !

Lisez-vous un guide touristique de bout en bout ? Non, bien sûr. mais « Star Marx » gagne à être lu ainsi, tout autant qu’à y picorer un article au hasard.
D’abord pour bien saisir la qualité du travail de son auteur, qui suit la maquette de ses concurrents réalistes : un bref rappel historique préalable, un glossaire minimal, et un découpage géographique : Stalingrad 2, la capitale ; le reste de l’Union ; la Border Zone (un peu d’exotisme !) ; Cimetière, une planète-agrégat-poubelle, et enfin certains lieux poliment déclarés « inclassables », semi-mythiques ou à accès aléatoire. À chaque entrée, autant que faire se peut, les lieux à voir, où manger (enfin... manger, c’est vite dit), où dormir... Le contrat est rempli, et chaque article recèle potentiellement :
- une critique plus ou moins déguisée d’un système politique (d’autres formes coexistent hors de l’Union),
- une référence à la culture SF et/ou geek, souvent la plus inattendue par rapport au contexte,
- du comique de répétition (les trois quarts des contacts locaux semblent cousins, avec le même patronyme).

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Citons quelques œuvres populaires autorisées comme la saga Youri Poter, héros de l’idéologie communiste : « Youri Poter et le Serpentard Monétaire », « Youri Poter et la Chambre des Banquiers »...
Les autres seront traitées par le Comité de Conformité du Parti et la brigade Bradbursky 51.

Les vannes pleuvent donc sur le communisme, avec ses inégalités loin de son idéal. On compte le temps en plans quinquennaux. On vous encourage à mettre des majuscules partout, au cas où ; le moyen de voyager le plus vite et le plus loin, à défaut de pouvoir s’offrir un Soyouz Lada, c’est encore de se dénoncer aux autorités pour être déporté dans une galaxie très lointaine... Le parti-pris initial de l’ouvrage est que malgré un millénaire de domination galactique, le communisme reste profondément enraciné dans le XXe siècle, et ce XXXe siècle semble rouillé, archaïque, fait de bric et de broc. Le Parti bridant la science, on ne sait pas trop comment les choses fonctionnent, et on évite de se poser la question, tant qu’elles fonctionnent ou se réparent avec de l’adhésif ou de la vodka. Nous nageons donc en pleine rétro-uchronie. Les années 80, l’espace et les aliens en plus.

Au titre du bestiaire, citons les très bureaucratiques Hjorts, qui ne sont pas, déjà physiquement, sans rappeler les Vogons ; les Klons, lézards barbares et sanguinaires ; les Vulgains, clones de Spock à la vulgarité proverbiale, dont le salut traditionnel est le majeur brandi. Et les Xénomorves...

Références nombreuses, humour souvent premier degré, l’ouvrage recèle néanmoins nombre de passages truculents, de traits d’esprit joliment amenés, et si on se départit rarement de son sourire, le meilleur comme le pire déclenchent régulièrement des éclats de rire plus francs. On pouffe souvent, selon ses connaissances et sa culture SF et au-delà, à des jeux de mots qu’on a pas senti venir, des patronymes ou des titres sympathiquement distordus.

Mon coup de chapeau va à l’improbable croisement entre les Wookies et IKEA qui, quand on le lit, nous semble, comme tant d’autres articles, tellement couler de soi qu’on s’en flagellerait de ne pas l’avoir vu venir. Surtout dans l’espace où s’est réfugiée l’ancienne famille impériale des Tsars Ouares.

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Comme un vrai guide, les illustrations sont parfois éclairantes, mais prennent souvent la forme d’encarts publicitaires destinés à vous pousser à la consommation comme à faire baisser le coût d’impression du bouquin. L’illustrateur David Cochard, qui officie habituellement davantage dans les jeux de société modernes, s’en donne ici à cœur joie tant il semble dans son élément. Les similitudes entre règles du jeu et ce guide sont fortes, la principale étant ce besoin de paratexte, cette matière nécessaire à l’immersion, au roleplay, et pas la simple illustration descriptive. Dans cet univers décalé, tout est prétexte à pasticher la propagande de l’URSS comme de détourner les créatures emblématiques de la SF.

L’ouvrage a été réalisé de façon très soignée, et entre le fond et la forme, fera un cadeau qui comblera tout amateur d’Imaginaire de plus de 25 ans (je crains que les plus jeunes ne détiennent pas tous les codes, moi-même je pense que certains passages m’ont échappé). C’est peut-être son défaut : c’est presque un trop beau petit livre rouge, relié et à couverture rigide, papier glacé, de fait loin de son principe de guide touristique à trimballer dans sa poche, le truc qui finit corné, gondolé, et à la poubelle une fois rentré de ses 2 semaines règlementaires de congé. Mais on peut comprendre le choix de l’éditeur d’en faire aussi un bel objet. Malgré son petit format, du fait de cette qualité matérielle, papier glacé et impression couleur, le prix s’en ressent un peu. Néanmoins, au contraire d’un roman ou d’un beau livre trop grand format, « Star Marx » gagnera à traîner sous la main, pour y piocher régulièrement.
Mon autre regret, plus personnel, tient à la typo employée pour les titres, très anguleuse, quasi cyrillique, mais pour le coup souvent mal lisible (U et V, D et O, A et B, , H et X mal différenciables). Mais c’est une peccadille, et à chipoter je vais finir au goulag, voire pire, à un poste haut placé au Politburo...

S’il faut encore vous convaincre, cette petite vidéo de présentation par les auteurs donne bien le ton de leur ouvrage. En restant sérieux. Je sais pas comment ils font.


Titre : Star Marx
Auteur : Maximilien et la moitié
Couverture et graphisme : Julien Dejaeger
Illustrations : David Cochard
Éditeur : Éditions Leha
Collection : Guide de voyage de l’aventurier des mondes imaginaires
Pages : 160 pages couleurs
Format : 22 x 16 x 1,5 cm
Dépôt légal : novembre 2017
ISBN : 9791097270124
Prix public : 23 €


Illustrations © David Cochard et Éditions Leha (2017)


Nicolas Soffray
22 juin 2018



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