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Iconographe (L’)
Collectifs
La Table Ronde, beau-livre, 106 pages, octobre 2017, 24€

C’est au départ une très belle idée : donner carte blanche à cinquante artistes de tous bords pour rêver l’illustration de couverture d’un de leurs ouvrages favoris, celui qui les a le plus marqués, celui qu’ils emporteraient sur une île déserte, en l’agrémentant d’un texte précisant les raisons de leur choix. À l’arrivée, un beau-livre dont l’intérêt ne réside pas exclusivement dans le graphisme, mais aussi dans la sélection des œuvres représentées et la description de leur impact sur des vies de lecteurs.



Avec Philip K. Dick, George Orwell, William Hope Hodgson, Mikhaïl Boulgakov, Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy-Casares, les littératures de genre, ou à leurs marges, apparaissent abondamment représentées : « Ubik  » sous forme d’un concaténation tridimensionnelle de lettres qui n’est pas sans évoquer les vertiges mentaux pour Eric Bricka qui a gardé le fort souvenir d’un“ roman puissant et déstabilisant”, tête de cochon sur fond rayonnant évoquant les illustrations anciennes, publicitaires ou politiques, pour « La Ferme des animaux » vue par Jean François Martin, qui, fort justement, explique avoir “traité cette illustration comme une affiche de propagande”, illustration à la fois minimaliste et cosmique de «  La Maison au bord du monde  » par Kevin Lucbert pour qui “ce roman agit comme un réservoir de visions”, dessin tragico-comique pour « Cœur de chien  » que Julie Le Barazer considère comme “une locomotive folle qui défonce les barrières et traverse les genres littéraires sans jamais se laisser enfermer”, suggestion de topographie et de labyrinthes entrecroisés pour les « Fictions  » en lesquelles Icinori voit “des objets littéraires en diagonale, des textes piégés, jouant des paradoxes entre absurde et hallucinations”, ou encore géométrie art moderne pour « L’invention de Morel » vue par Félix Demargne, fasciné par “la monstruosité dans le raffinement de Morel, l’amour univoque, la communication impossible, l’immortalité, l’autre, le sentiment d’étrangeté, l’acte de créer…” Autant de titres dont le mention parmi les œuvres marquantes n’étonnera personne.

Aux frontières du genre et de la littérature classique, avec des ambiances à la limite du fantastique, on trouvera « Monsieur de Phocas  » de Jean Lorrain illustré avec bonheur par Benoît Préteseille, grand amateur du “goût particulier, entêtant, âcre, étouffant” de “ces romans étranges de la fin du XIXème, début du XXème, à l’écriture souvent ronflante et ampoulée, remplis de meurtres, de fantômes et de personnages perdus dans leurs costumes trois pièces au milieu de salons trop lourdement décorés, qui pour moi ont le goût de poussière des cauchemars fiévreux et du papier jauni” , mais aussi « Le Livre de Monelle » de Marcel Schwob, joliment illustré par Chloé Poizat qui avoue être fascinée par “ses visions horrifiques et surréelles”.

Du classique, donc : illustration en noir et blanc du « Temps retrouvé » de Marcel Proust pour Stéphane Manel, polychromie façon illustration satirique dles « Œuvres poétiques » de Théophile de Viau pour Placid, gravure d’un mouvement pour les « « Grandes espérances » de Dickens vu par Jean-Michel Perrin, ou illustration minimaliste et peu parlante pour Léa Maupetit qui avoue “éprouver de la difficulté” à illustrer « L’Iliade » et « L’Odyssée ».

Parmi ces ouvrages que l’on emporterait sur une île déserte, il était inévitable que viennent se glisser quelques-uns des plus célèbres romans consacrés à ces îles : le « Robinson Crusoé » de Daniel Defoe pour Anne-Lise Boutin, une belle illustration stylisée avec colibris, lépidoptères, reptiles et arrière-plan de faune nocturne ; le naufrage et le cochon sauvage en premier plan pour « Sa Majesté des mouches » de William Golding, roman dont Tight admet que“ c’est à l’adolescence qu’a le plus de force” ce “mélange d’exaltation, d’esprit d’aventure à l’idée de ce que nous réserve la vie, et de trouble à l’égard de ce que l’on découvre sur soi et les autres”, et enfin « Vendredi ou les limbes du Pacifique » de Michel Tournier, que Martin Jarrie, après une enfance solitaire, a choisi parce qu’il se sentait “proche de cet homme seul sur une île.”

Iles, mais aussi exotisme et voyages aussi avec le « Moby Dick » de Melville retenu pour ses images fortes par Thomas Danthony qui a choisi de “mettre l’accent sur la traque et non sur l’affrontement comme c’est généralement le cas”, un élégant « Livre de la jungle  » pour Lucille Clerc qui y a découvert “ la famille, le groupe, la meute, multiple et recomposée, les liens du cœur et du sang qui nous lient à tous ceux qui nous aident à grandir”, le fameux récit de voyage « En Patagonie » de Bruce Chatwin vu par Loustal, soif de liberté et de nature que l’on retrouve dans le choix de Léa Taillefert, «  Into the Wild » de Jon Krakauer, dramatique récit d’un homme parti “à la recherche du réel”.

Exotisme et îles encore, mais par d’autres biais. On se souvient de ces littératures invisibles – prospectus, manuels, catalogues – qu’aimait James Graham Ballard : pourtant c’est animé par une autre démarche que Stéphane Trapier choisit avec originalité d’illustrer le catalogue Manufrance 1978, une année qui pour lui “marque le début de la fin” et à partir de laquelle il se voit très bien sur une île déserte, en train d’insérer des bons de commande dans des bouteilles jetées à la mer.

Des atypiques, donc, et du contemporain, du vingtième, ou de ce début du vingt-et-unième, certains connus de tous, d’autres moins. C’est ainsi que l’on retrouve un « mélange de peur et de curiosité » pour Liza Zordan avec « Le K » de Dino Buzzati, symbolisé par un homme vu de dos devant une mer nocturne, un parfum d’interdit déçu mais un enchantement pour sa “palette d’amis pénibles et fous” au sujet du « Sexus  » d’Henri Miller auquel Aline Zalko propose une illustration elle aussi un brin trompeuse, la musicalité pour « L’Écume des jours » de Boris Vian que Beax représente par une image bondissante, empathie et humanité, mais aussi “équilibre entre la réalité et le mystère” pour le « Kafka sur le rivage  » de Murakami, illustré avec douceur par Tania Baudouin, épures et tons nuancés pour Geneviève Gauckler et le « Livre de l’intranquillité » de Pessoa, ou très beau dessin de portes à l’ancienne, en noir et blanc, avec titrage par la ferronnerie, pour « La Nuit n’a pas de nom » de Bruno Gay-Lussac, lu et symbolisé par Gaëlle Callac.

Cinquante livres, cinquante présentations, cinquante illustrations : il n’est pas possible de les citer ou de les présenter tous. Comme pour toute anthologie, on pourra faire la fine bouche sur quelques-unes des contributions, qui en tout subjectivité, semblent bien peu inspirées, ou plus objectivement, dont les auteurs peinent à trouver quoi que ce soit à dire sur un ouvrage qui aurait prétendument marqué leur existence – à tel point qu’on se demande si, n’ayant en réalité jamais lu grand-chose, ils n’ont pas choisi un volume au hasard. Si l’on excepte ces quelques maillons faibles, heureusement en nombre réduit, et inévitables dans toute œuvre collective, ce beau-livre séduira par sa variété, tant au niveau de l’éventail de ses illustrations que par celui des œuvres abordées. Peintures, dessins, gravures, tableaux, ces couvertures, figuratives ou stylisées, minimalistes ou fouillées, soignées ou désinvoltes, éclatantes ou sobres, polychromes, en nuances de couleurs, ou encore en noir et blanc, apparaissent représentatives de la diversité des littératures et sont d’autant plus intéressantes que, non destinées à figurer in fine sur le livre imprimé, elles ne sont pas passées sous les fourches caudines des impératifs commerciaux. On peut donc penser qu’elles sont plus intimes, plus spontanées, plus viscérales que celles que l’on voit habituellement en mosaïques sur les tables des libraires. Une démarche intéressante également dans la mesure où certains ouvrages de littérature classique peuvent n’avoir que rarement, ou même jamais, bénéficié d’une illustration de couverture (ce serait un joli défi qu’un volume exclusivement consacré à ceux-là) et où, tout effort pour s’affranchir du poids des prédécesseurs étant inutile, la liberté d’illustration devient plus grande. Autre intérêt encore, la liberté pour les illustrateurs de faire eux-mêmes le choix des lettrages et de leurs emplacements sur la couverture, liberté qu’ils n’ont pas toujours dans le cadre de commandes classiques.

Mais l’intérêt de ce volume, on l’aura compris, ne réside pas seulement dans ses illustrations, ni dans ses invitations à la lecture ou à la relecture. Sous la couverture, sous la surface, derrière les motifs, derrière les couleurs réside quelque chose de plus profond, l’écho secret que trouvent les livres dans l’âme des lecteurs, cette puissance unique de l’écrit qui fait qu’un roman, un poème, un essai, à tous les âges de la vie, soient capables de venir marquer durablement les esprits. Une puissance dont les illustrations, en cherchant à restituer l’empreinte, la singularité, la magie, composent un indéniable reflet, et dont les textes introductifs constituent une ébauche d’explication, ou plutôt mille et une ébauches d’explications qui sont les mille et un reflets des fascinations sans fin que peut exercer la littérature.


L’Iconographe, 50 livres rêvés par 50 illustrateurs
Auteur (préface) : Jean-Christophe Napias
Couverture : non créditée
Éditeur : La Table Ronde
Illustrations : Tamia Baudouin, Beax, Anne-Lise Boutin, Michel Bouvet, Eric Bricka, Steffie Brocoli, Lucia Calfapietra et Nicolo Giacomin, Gaëlle Callac , Edith Caron, Léa Chassagne, Chez Gertrud, Lucille Clerc, Remi Courgeon, Thomas Danthony, Felix Demargne, Gérard DuBois, Léonard Dupond, Jacques Floret, Geneviève Gaucker, Héloïse Heritier, Icinori, Marie Jacotey, Martin Jarry, Jules Le Barazer, Loustal, Kevin Lucbert, Stéphane Manel, Jean-François Martin, Léa Maupetit, Antoine Meurant, Sébastien Mourrain, Tom de Pékin, Jean-Michel Perrin, Mathieu Persan, Aude Picault, Emmanuel Pierre, Alain Pilon, Placid, Chloé Poizat, Benoît Preteselle, Anne-Margot Ramstein, Thomas Rouzière, Kebba Sanneh, Lorraine Sorlet, Sheina Slamzka, Léa Taillefert, Tight, Stéphane Trapier, Aline Zalko, Lisa Zordan
Pagination : 106 pages couleurs
Format : 19,3 x 27 cm
Dépôt légal : octobre 2017
ISBN : 9782710384373
Prix public : 24 €


L’art des couvertures sur la Yozone :
Cent titres, de Cémentine Mélois
Les Livres introuvables de Thomas Brissot


Illustrations © Éditions Le Chêne et ayants droits (2017)


Hilaire Alrune
2 juillet 2018



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