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Mur dans la peau (Le)
Luce Marmion
Corsaire éditions, Pavillons Noirs, policier/thriller (France), 332 pages, octobre 2017, 14€

« Aucun homme ne devrait se marier avant d’avoir étudié l’anatomie et disséqué au moins une femme. » Cette citation de Balzac, extraite de la « Physiologie du mariage » et placée en incipit au roman, donne d’emblée le ton d’un polar enlevé dont les chapitres sont consacrés alternativement aux efforts des investigateurs et aux loisirs d’un tueur en série sérieusement dérangé, pour qui les êtres humains sont tout au plus des objets.



Adrien Magadur, enquêteur déjà rencontré dans « Le Vol de Lucrèce », premier roman noir de Luce Marmion, est contacté par Enora Kerneur, une amie d’enfance dont la colocataire vient de disparaître. Avec ses collègues Alice et Franck Vermois, hacker de talent, sous la direction de leur boss Demorsy, patron de l’agence d’investigation privée, et avec l’aide d’un jeune lieutenant de police judiciaire, un de ses collègues du temps où celui-ci appartenait à la police, le voilà lancé sur plusieurs pistes parallèles : le milieu des Graffeurs, les sites de rencontres, et l’ex-époux d’Enora Kermeur, un architecte d’origine iranienne installé aux États-Unis.

« Anges à têtes de gargouilles, lutins au cœur rouge, les chimères fantastiques de Bault, entre Bosch et Dali, éclatantes de couleur, de sublimes visages ou des masques horripilants : la galaxie de Ménilmontant (…) »

On ne dévoilera aucun secret en précisant, histoire de mettre le lecteur en appétit, que le serial-killer écumant les sites informatiques de rencontres aime bien avoir ses proies dans la peau, au sens propre du terme. Il les tue rapidement, les écorche, puis utilise leur épiderme comme support pour ses œuvres d’artiste urbain, offertes aux regards de tous du côté de Ménilmontant ou de la Butte-aux-Cailles. Ce matériau, il est vrai, résiste mieux aux intempéries de la rue que la toile ou le carton, et est plus doux à utiliser que les murs bien trop rugueux. Aucun secret, donc, car l’identité et le modus operandi du tueur sont dévoilés dès les premières pages de ce roman dont le chapitres sont consacrés alternativement au serial-killer et aux investigateurs, avant que leurs trajectoires ne convergent.

Le lecteur, au fil de chapitres assez techniques, en apprendra donc beaucoup sur le tannage et la mégisserie, même si, compte tenu de la nature et de l’origine des peaux employées, il n’avait pas forcément envie d’en savoir trop. Rien de très gore pour autant, une approche esthétique et clinique qui – c’était le but recherché – fait passablement froid dans le dos, et même ici et là une petite pointe d’humour noir, notamment lorsque l’on apprend que le commissaire en charge d’enquêter sur les jeunes femmes disparues en a sans le savoir une en permanence sous les yeux, sous forme d’une œuvre d’art urbain en peau humaine dérobée à la rue et affichée dans son bureau.

Magadur et ses acolytes ne tardent pas à réaliser que la disparition sur laquelle ils investiguent est liée à d’autres disparitions de jeunes femmes mais peinent à suivre la trace d’un tueur parfois impulsif mais suffisamment méthodique pour effacer systématiquement ses propres traces, que ce soit dans la monde physique et dans le monde virtuel. Mais un grain de sable viendra bientôt gripper sa mécanique de précision en la personne d’une jeune graffeuse de talent en train de se faire un nom dans le milieu de l’art urbain, une toute jeune adolescente… qui n’est autre que Marie, la fille d’Alice, une des investigatrices de l’équipe de Magadur.

« Au sous-sol, les poissons l’avaient fêté avec un tapage hagard. Elles mouraient de faim, les pauvres bestioles. Les plus gros piranhas avaient dévoré les petits, il en manquait bien une dizaine. Pas si grave après tout, la gamine était toute menue. »

L’intrigue est suffisamment dense pour emmener le lecteur sans temps mort tout au long des trois cents pages du roman, sur un rythme bondissant et avec des personnages suffisamment haut en couleurs pour séduire. Alors que d’autres auteurs du genre auraient choisi, comme c’est assez à la mode dans le registre du thriller, de chercher à faire passer horreur, effroi et psychologie déviante au tout premier plan, Luce Marmion n’utilise ces ingrédients qu’en tant que ressorts d’une traque qui se transformera en course contre la montre. Si les lecteurs les plus exigeants pourront faire la fine bouche sur deux ou trois détails (la coïncidence mentionnée ci-dessus, le caractère trop construit des éléments amenant, un peu artificiellement, les deux principaux protagonistes à New-York, le fait que Magadur, dont les premiers soupçons sont précoces, continue à tout ignorer de l’assassin alors qu’il lui aurait été facile, compte tenu de la virtuosité de Vermois et de ses autres associés, d’en apprendre rapidement et beaucoup à son sujet), les autres seront emportés par cette aventure qui, par le biais des personnages et des dialogues, reste au fond de tonalité très française, et où le caractère et l’humour des protagonistes (y compris des éditeurs, car la couverture du livre est créditée au nom du tueur) viennent contrebalancer les aspects les plus macabres. Et l’on aura droit, au terme de ce qui apparaît comme un petit polar/thriller sans prétention mais joliment troussé, à un dénouement passablement haletant dans lequel la psychologie, pour une fois, n’est pas utilisée comme gruau et brouet servi à la louche et sans âme, mais, malgré son aspect classique (les déterminants chez l’enfant encore jeune des dérives futures), comme un ressort parfaitement intégré à la fois aux motivations du tueur et à la mise en scène finale.

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Titre : Le Mur dans la peau
Auteur : Luce Marmion
Couverture : Geneviève Belissard / Art Seine
Éditeur : Corsaire éditions
Collection : Pavillon noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 332
Format (en cm) : 11,7 x 20
Dépôt légal : octobre 2017
ISBN : 9782367990279
Prix : 14€


Corsaire éditions sur la Yozone :

- « L’Héritage mortel de la Vouivre » de Jean-Pierre Simon
- « De sucre et de sang » de Pascal Grand
- « In vino veritas » de Robert Reumont
- « Les Tigres ne crachent pas le morceau » de Michel Maisonneuve


Hilaire Alrune
11 novembre 2017


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