Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Extraordinaires & Fantastiques enquêtes de Sylvo Sylvain, détective privé (Les), tome 3 : Confessions d’un Elfe Fumeur de Lotus
Raphaël Albert
Mnémos, Dédales, roman (France), fantasy, 280 pages, 2014, 18€

Tandis que la révolte se déchaîne dans Panam, Sylvo fume et rêve. Rêve de son passé, de sa Forêt, de son enfance, de ses anciens proches. de tout ce qui l’a conduit ici, en exil.
Dans un troisième volet phénoménal, Raphael Albert fait toute la lumière sur les origines de son anti-héros. Et cela va être douloureux...



« Confessions d’un elfe fumeur de lotus » est radicalement différent de « Rue Farfadet » et « Avant le déluge », sur le fond comme la forme. Si les deux précédents étaient des romans de fort bonne facture dans un univers très riche, détaillé, pensé jusqu’au vocabulaire quotidien, bref, des merveilles, « Confessions... » va encore plus loin.

Sur la forme, déjà. C’est une confession (vous l’aviez compris), donc un long discours rapporté, interrompu de temps en temps par de brefs éclairs de lucidité dans les vapeur du rêve et du lotus noir. Tout sort de la mémoire de Sylvo. Donc pas question de dialogues et la ponctuation qui va avec. A peine quelques retours à la ligne, au point qu’il nous sera parfois difficile d’identifier avec certitude certains locuteurs, ajoutant à la confusion de la drogue. Une idée de génie.

Et ce n’est pas la seule, car sur le fond, ce retour dans la Forêt est aussi original que le Panam dans lequel nous prenions nos aises jusqu’alors. Loin de se contenter des archétypes des elfes dans la fantasy, Raphaël Albert invente, innove au-delà de nos espérances. On avait tiqué lorsque Sylvo parlait de lui comme d’une plante, d’un organisme végétal, mais c’est bien ce qu’il est. Né d’un bourgeon, il est d’un bois qui vibre en harmonie avec la Forêt. Qui ressent sa chanson. Qui fait partie d’un tout avec elle et les siens.
On assistera à sa rencontre avec Mélios, le seul autre elfe que nous connaissions à Panam. Son histoire serait presque plus dramatique encore, puisqu’il a grandi loin de la Forêt, captif des hommes, et il n’entend pas son Chant. Jugé handicapé par ses semblables, il ne devra son intégration qu’à l’amitié de Sylvo. Mais à avoir grandi près des hommes, il ne saura jamais s’en détacher vraiment, captivé par leurs innovations techniques (comme la photographie). Diminué par rapport aux autres, ballotté par les événements, il va vivre dans le giron de Sylvo, assister et participer à son ascension, puis sa chute.

Il y a Fraxinelle, aussi. Au cœur de tout, en fait. Son nom avait déjà filtré, aussitôt suivi d’un tabou entre Sylvo et Pixel. On en avait déduit un grand malheur, une culpabilité de l’elfe, une plaie encore à vif. A les voir grandir, se tourner autour, filer un amour d’abord timide, on en viendrait presque à oublier cette issue qu’on sait fatale. Pourtant, toute l’intrigue y conduit naturellement. La mort de la Médiane, les avancées des humains, la nécessité de faire renaître la chanson de la Forêt, la sensibilité de Fraxinelle...
Parallèlement, s’enchainent les joies et malheurs de Sylvo. Décès de sa mère, rites réussis, trahisons d’amis, rencontre avec les hommes, nouvelles trahisons, missions réussies... L’ascension de Sylvo en héros, jusqu’à sa nomination au rang de Servant (un terme là encore déjà lu, sans en comprendre les implications), ne masque pas son mal-être profond.
Car c’est de cela que nous parle « Confessions d’un elfe fumeur de lotus » : d’un mal de vivre d’autant plus douloureux qu’on est amené à vivre des siècles. L’incapacité des siens, de la Forêt à guérir sa mère met le petit Sylvo devant la terreur de cette mort inéluctable et parfois aveugle. Dès lors, pour oublier cette terreur, il va se donner corps et âme à la Forêt, dans un engagement qui confine au sacrifice. Oui, il est un héros, parfois. Mais à son corps défendant. Soit parce que le hasard et la chance l’ont bien servi, soit parce que son sacerdoce l’a rendu aveugle aux risques. Mais c’est tout simplement qu’il défie la Mort de venir le prendre, et de mettre ainsi fin à ses souffrances et ses tourments.

Chouette ambiance, hein ? Et les années passant, entre les incursions humaines, les catastrophes naturelles et le danger intérieur qui menace, rien ne nous sortira la tête de ce pessimisme.
Si. Fraxinelle. Elle est sa seule raison de vivre, et encore, parfois on en doute. Dans les ultimes chapitres, quand se profile la terrible vérité, on soupçonne donc le crime qui vaudra à Sylvo son bannissement. Un acte désespéré, une folie comme ultime preuve que son désespoir l’a coupé de la réalité. Car on lui a demandé un sacrifice de trop, on lui demande de renoncer à Fraxinelle, de la partager avec tous les autres. On lui ravit sa seule récompense. Comment être surpris que sautent les derniers verrous ? Comment, alors même que nous assistons, horrifiés et voyeurs, à son geste, ne pas le comprendre, au fond de nos tripes ?
Dans cet acte de destruction, Sylvo se révèle beaucoup plus humain qu’il ne le croyait, égoïste. Le Servant est effacé, oubliant l’intérêt général pour le sien seulement.

C’est un étrange bilan qu’on peut dresser de cette société sylvo-végétale, utopie forestière vaincue par les réalités avoisinantes. Si elle semblait bien fonctionner jusqu’alors, c’est du fait de l’aveuglement de ses membres, leur obéissance absolue à ses règles, ses rites, ses traditions, et l’on en mesure toute la fragilité en la voyant s’écrouler, victime de son enfant chéri dont elle n’aura jamais su lire les faiblesses et les failles, dont elle aura cru prendre soin en le couvrant d’honneur, en le montrant en exemple lorsque lui ne demandait au contraire que la tranquillité et l’oubli.

On sort sonné, assommé de ce livre, rincé, à l’image de son héros que ses amis, finalement, sans qu’on sache combien de temps a passé, viennent le tirer de sa fumerie. Pour une dernière épreuve. Maintenant que toute la lumière a été faite sur ce passé, la drogue ayant déverrouillé les barrières de la honte, il va falloir l’affronter. Tenter de réparer.
Ce sera l’objet de l’ultime volume sorti cet automne, « De Bois et de Ruines ».

Même empreint d’une profonde mélancolie, « Confessions d’un elfe fumeur de lotus » est un récit fabuleux, solaire dans sa tristesse, paradoxalement une bouffée de vert, couleur d’espoir, alors qu’on sait la chute inexorable. Une inoubliable lecture, qui vous marquera durablement.

A lire de préférence l’été, au soleil, voire à l’automne ; et déconseillé en cas de déprime, sauf à se rendre compte qu’on peut tomber plus bas encore.


Titre : Confessions d’un elfe fumeur de lotus
Série : Les Extraordinaires & Fantastiques enquêtes de Sylvo Sylvain, détective privé, tome 3/4
Auteur : Raphaël Albert
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Mnémos
Collection : Dédales
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 280
Format (en cm) : 23,5 x 15,5 x 2,5
Dépôt légal : juin 2014
ISBN : 9782354081799
Prix : 20 €

Édition Poche
Éditeur : Mnémos
Collection : Hélios
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 390
Format (en cm) : 18 x 11 x 3
Dépôt légal : juin 2017
ISBN : 9782354085704
Prix : 11,90 €



Nicolas Soffray
13 janvier 2018


JPEG - 98.7 ko



JPEG - 58.2 ko



Chargement...
WebAnalytics