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Autre apocalypse (L’)
John Shirley
Black Coat Press, Rivière Blanche, roman traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 276 pages, août 2017, 20€

Swift est en plein reportage journalistique. Il fouine du côté d’un camp de mobile-homes, un coin dangereux, et l’irruption de trois hommes armés lui prouve que ce n’était vraiment pas une bonne idée d’aller vérifier une rumeur de trop près.
Alors qu’il pense passer un sale quart d’heure et même y rester, un phénomène lumineux change la donne. Ses agresseurs changent soudain de comportement et se mettent même à pleurer. Deux déverrouillent les constructions à l’air abandonné mais qui abritent en réalité une multitude de clandestins enchaînés, dans l’attente d’un paiement pour leur passage.
Ce cas n’est pas isolé, d’autres prises de consciences de la sorte se produisent ailleurs dans le monde. Ce n’est qu’un début, plus jamais rien ne sera comme avant.



Né en 1953 à Houston, John Shirley n’est pas un inconnu en France, mais il faut tout de même chercher pour trouver ses titres traduits. Le premier « La balade de City » l’a été en 1982 dans la collection Titres SF chez Jean-Claude Lattès, puis une longue éclipse avant la traduction d’un roman de la franchise « Predator » en 2007. Lumen reprend en 2015 un titre sur l’univers du jeu « Watch Dogs » et l’année d’après, Bragelonne s’intéresse à l’univers du jeu vidéo « BioShock » : « Rapture ». Il est dommage que, même s’il a beaucoup écrit dans le cadre de telles franchises, ce soient justement ces récits qui ont en majorité attiré les éditeurs français.
J’aurais presque tendance à dire que le meilleur de John Shirley par chez nous est à chercher dans sa première traduction « La balade de City » et dans le présent « L’autre apocalypse ».
La traduction n’est pourtant pas la vocation première de Rivière Blanche qui publie avant tout des auteurs français, mais à l’occasion elle ne dédaigne pas des œuvres étrangères boudées par les éditeurs traditionnels (par exemple : « Le pacte des suicidés » de John Everson en 2016)

John Shirley nous propose ici une critique de notre société. Il se rend bien compte que la Terre fonce dans un grand mur cosmique, que tout va de mal en pis et que ceux qui ont le pouvoir de vraiment changer les choses préfèrent poursuivre ainsi, car ils n’y voient que leurs propres intérêts. Une très faible minorité détient la richesse et ne pense qu’à l’augmenter plutôt que de modifier les choses et d’agir pour le bien du plus grand nombre. Et si une mystérieuse puissance se manifestait et offrait la possibilité du changement, d’un nouveau départ ? Voilà tout à fait la question qui motive ce roman.

John Shirley décrit un changement radical de la société en trois étapes : la première ouvre les yeux de nombreux malfaiteurs et autres personnes malhonnêtes - il n’oublie bien sûr pas le monde des affaires ! -, ce qui pousse la majorité d’entre eux à changer radicalement de comportement, puis un grand coup de balai pour éliminer les cas désespérés, avant de laisser le choix aux restants.
Dans les principaux protagonistes figurent deux journalistes, un travaillant pour une presse sérieuse et l’autre pour les magazines voyant du surnaturel partout. Les têtes pensantes de la multinationale OBM cherchent à éviter ce nouveau phénomène, surtout son PDG avide de conserver toutes ses prérogatives. L’église de la Révélation en Dieu voit là la preuve irréfutable de l’existence du Divin. C’est là que l’histoire est cocasse, car si en un sens ils ont raison, ils ont tort. Ama est une femme normale manifestant contre les expériences sur les animaux ; dans sa lutte, elle rencontre un allié de taille qui donne les clés des évènements arrivant sur Terre.

John Shirley nous livre un étonnant roman. La couverture de Mike Hoffman restitue très bien l’étrangeté du propos : le bras de la femme lui fait comme une auréole sur la tête, les couleurs tiennent du psychédélique et puis l’inspiration n’est pas sans rappeler l’art visionnaire. Tout du long, le lecteur se demande où l’amène l’auteur. Ce dernier donne une méthode pour tout recommencer et prendre un nouveau départ, mais il est réaliste, affichant un certain pessimisme sur la nature humaine. Pour lui, le déclencheur ne peut qu’être extérieur, la majeure partie de la population ayant une vue à court terme. Il dénonce à juste titre beaucoup de travers, n’hésitant pas à marquer les esprits. Pour évoluer, il ne faut pas faire dans le sentimentalisme, l’efficacité doit être de mise et rien ne doit être offert sur un plateau mais gagné.

Au passage, il égratigne aussi bien les grosses sociétés que les religions. D’ailleurs il n’épargne personne, chacun dispose d’une place en ce monde et se doit faire en sorte de ne pas le détruire, afin que les générations futures ne soient pas condamnées à vivre (survivre ?) sur une terre qui aura été dévastée pour le confort de chacun. Sous couvert de science-fiction, John Shirley lance un cri d’alerte. L’ensemble peut mettre mal à l’aise, car personne ne peut s’estimer innocent.

« L’autre apocalypse » dénonce le règne de l’argent, les dérives religieuses, la traite des êtres humains, la violence... John Shirley entremêle habilement science-fiction et sacré, permettant ainsi plusieurs interprétations et entretenant toujours un certain doute. Ce roman peut agacer, mais il ne laisse personne insensible, il fait réfléchir, en appelle à la responsabilisation, sans se faire d’illusions. Une faible minorité décide pour la majorité, mais si chacun fait des efforts, la solution radicale ne sera peut-être pas de mise...

John Shirley livre un roman engagé, peut-être parfois outrancier, mais qui met le doigt là où ça fait mal. On ne peut que féliciter Rivière Blanche, un petit éditeur, de nous offrir un tel plaidoyer. Dérangeant mais salutaire !


Titre : L’autre apocalypse
Auteur : John Shirley
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Marie-Joëlle Moll Bouyat
Couverture : Mike Hoffman
Éditeur : Black Coat Press / Rivière Blanche
Collection : Blanche
Directeur de collection : Philippe Ward
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 276
Format (en cm) : 20,3 x 12,7
Dépôt légal : août 2017
ISBN : 978-1-61227-538-3
Prix : 20 €


John Shirley sur la Yozone :
« BioShock » : « Rapture »

Pour écrire à l’auteur de cet article :
francois.schnebelen[at]yozone.fr


François Schnebelen
9 septembre 2017


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