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Contrat Salinger (Le)
Adam Langer
Super 8, traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), thriller, 311pages, août 2015, 20€


Langer, le principal narrateur, après avoir été journaliste, et auteur d’un unique roman, « Neuf pères », s’occupe de ses deux enfants en bas âge en attendant de retrouver un travail. Son épouse, en attente de titularisation, est employée à la fac de Bloomington, une petite ville universitaire paisible où tous deux attendent des jours meilleurs. Un jour, Langer décide d’aller retrouver sur une séance de dédicaces un auteur de romans policiers du nom de Conner Joyce qu’il avait côtoyé et interviewé quelques années auparavant. Un Conner, qui, après avoir connu le succès, est lui aussi un peu sur le retour, voyant les rangs de ses admirateurs s’éclaircir jusqu’au néant et ses ventes dégringoler de manière irrémédiable.

Conner se souvient parfaitement de Langer et tous deux passent un moment agréable ensemble. Mieux encore : Conner recontacte bientôt Langer pour lui confier une histoire incroyable. Le roman commence alors sa double narration, une alternance de chapitres narrés par Langer et de chapitres où, au gré des rencontres entre les deux hommes, l’auteur de romans policiers prend la parole. Un roman consacré au roman ou plus exactement aux romans, car l’histoire contée par Conner est celle d’un contrat absolument unique qui lui est proposé : un richissime mécène lui commande un roman, pour une somme considérable, à la condition que nul autre que ledit mécène ne puisse jamais être amené à le lire, et que Conner garde le secret plein et entier sur ce contrat.

Un contrat singulier, donc, mais dont les termes ne sont pas réservés à Conner. Car c’est bien d’une véritable collection, d’une bibliothèque secrète qu’il s’agit. Et le mécène d’expliquer à l’auteur de romans policiers qu’il possède des manuscrits uniques d’auteurs comme J.D. Salinger, Thomas Pynchon, Truman Capote, Norman Mailer ou Harper Lee. En mêlant avec habileté ces auteurs réels à des écrivains entièrement fictifs (comme Conner, Dudek et Margot Hetley), ou oscillant à la frontière entre les deux (Langer lui-même), « Le Contrat Salinger » apparaît donc d’autant plus prometteur que l’on devine que quelque chose d’autre qu’un simple contrat les lie à leur mécène, que derrière les arrangements financiers se dissimulent quelques clauses informulées, quelques conséquences inattendues qui évoqueraient un pacte faustien.

Malheureusement, le roman est desservi par toute une série d’éléments qui n’ont pas grand-chose de crédible. Ainsi, par exemple lorsque le mécène et son garde du corps, conscients de la réticence qu’a Conner à le suivre dans sa demeure – seul endroit où, lui expliquent-t-ils, il pourra lui faire comprendre sa proposition – ils lui prêtent une arme chargée pour qu’il se sente rassuré. Comment croire qu’un auteur de romans policiers, un spécialiste des manipulations en tous genres, un bâtisseur d’intrigues retorses et de machinations cérébrales irait poser ses mains, empocher et pour finir laisser ses empreintes sur une arme qui lui est prêtée par deux individus dont il se méfie et dont il a l’impression qu’ils sont en train de lui tendre un traquenard ? Le lecteur n’y croit pas une seconde. Il y aura, hélas, d’autres éléments de ce genre. Une adolescente toxicomane, qui ne connaît pas les règles de base de l’orthographe, qui écrit des romans de bit-lit à la chaîne et qui est mise sur le même plan au niveau des qualités d’écriture que Norman Mailer et les plus grands ? On essaie vainement d’y croire. Une universitaire dont la situation professionnelle ne tient qu’à un fil et qui crée un blog sur lequel elle véhicule les pires rumeurs et vilenies au sujet de ceux dont elle attend le soutien, qui plus est à partir d’un ordinateur de l’université même, qui serait assez idiot pour faire ça ? Et la scène chez l’éditeur, lorsque Conner s’y entend signifier la fin de son contrat, pourquoi faire si grossier, si caricatural ? Quel lecteur peut laisser passer de tels éléments sans tiquer ?

On ne peut que déplorer de telles maladresses, d’autant plus qu’aucune d’entre elles n’était absolument indispensable à l’histoire, et qu’il était facile, à chaque fois, de trouver plus crédible et plus cohérent. De fait, le roman mélange deux facettes distinctes : une part sobre intimiste, très humaine, une part de thriller qui fonctionne parfaitement – les meilleurs moments sont sans doute ceux où Conner se confie, ceux où il raconte une partie de son histoire, par exemple lorsque les deux hommes, après une promenade dans la nature, sont réfugiés sous l’averse dans leur véhicule – et une part grand public, outrancière, assez camelote, qui évoque beaucoup plus le feuilleton télé que la création littéraire, laquelle est pourtant à la base même du récit.

Des qualités, pourtant, sont indiscutablement là. L’auteur s’y entend pour accrocher le lecteur sans que les ficelles ne soient trop visibles : pas de véritable « cliffhangers » en fins de chapitres, mais quand même toujours un petit quelque chose que l’on attend et qui pousse à tourner les pages. Les personnages, même s’ils n’ont pas tous énormément d’épaisseur, vont au-delà des stéréotypes obligés des thrillers sans âme. Et, surtout, l’intrigue réserve de véritables trouvailles, avec en particulier quelques révélations finales totalement inattendues, qu’on met au défi quiconque – y compris les lecteurs chevronnés du genre – de voir venir.

Mélange de rouerie et de maladresses, de véritables astuces et d’artifices de feuilleton télé bricolé à la va-vite, « Le Contrat Salinger  » apparaît donc comme un roman inabouti qui aurait sans doute gagné à rester plus sobre. En l’état, « Le contrat Salinger » correspond donc exactement à la ligne directrice des éditions Super 8 et apparaît comme ce qu’il prétend être : du bon série B, sérieusement fait et souvent efficace, mais avec quelques-uns des défauts classiques du genre. Lecture distrayante, « Le Contrat Salinger  » orientera sans doute plus d’un lecteur vers un autre roman d’Adam Langer traduit en français, « Les Voleurs de Manhattan », qui mêle lui aussi le thriller à la thématique de l’écriture et que l’on trouvera dans la collection « Americana » des éditions Gallmeister.


Éditions Super 8
Titre : Le Contrat Salinger (The Salinger Contract, 2015)
Auteur : Adam Langer
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Emilie Didier
Couverture : Reilika Landen / Arcangel Images
Éditeur : Super 8
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 311
Format (en cm) : 14 x 20
Dépôt légal : août 2015
ISBN : 9782370560292
Prix : 20 €


Édition 10 x 18
Titre : Le Contrat Salinger (The Salinger Contract, 2015)
Auteur : Adam Langer
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Emilie Didier
Couverture : Reilika Landen / Arcangel Images
Éditeur : 10x18
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages :288
Format (en cm) : 10 x 18
Dépôt légal : octobre 2016
ISBN : 9782264068682
Prix : 7,80 €



Hilaire Alrune
21 août 2017


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