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Malédiction (la)
Henri Lion Oldie
Lingva, nouvelles traduites du russe (Ukraine), fantastique et SF, 100 pages, janvier 2017, 14€

Et si on pouvait échanger ou vendre un sentiment ?
Et si les portes du métro avaient des dents ?
Et si Charon faisait passer le dernier mort ?
Et si un corbeau empêchait la renaissance du monde ?
Et si la malédiction n’en était pas une ?
Telle est la 4e de couverture, et je ne saurais dire mieux en moins de mots. Donc je vais en employer beaucoup plus.



Nous avons peu de traductions d’Imaginaire des pays de l’Est, et c’est bien dommage, parce que quand il en arrive... Dans les classiques, les frères Strougaski. Plus récemment, le Russe Dmitry Glukhovsky à l’Atalante, le Polonais Andrzej Sapkowski chez Bragelonne, pour n’en citer que deux.
On connaît déjà les époux Patrice et Viktoriya Lajoye pour leur « Dimension Russie » chez Rivière Blanche. Le couple poursuit son œuvre de diffusion de la littérature russophone au travers de leur petite maison d’édition Lingva.
Derrière le nom de Henri Lion Oldie écrivent deux auteurs ukrainiens prolofiques, et les cinq nouvelles choisies ici donnent un bel aperçu de la variété dont ils savent faire preuve.

Relève-toi, Lazar

Entrée en matière avec du fantastique. Un homme, visiblement un cadre, vient dans divers bas quartiers, recommandé et aiguillé par un collègue, demander l’aide de « spécialistes » peu orthodoxes pour... rebooster son couple. Mais point de petites pilules, il cherche à revivifier des sentiments, ceux de son épouse, les siens... ou bien à les faire disparaître définitivement. Une errance d’un lieu à l’autre, d’une rencontre à l’autre, dans des lieux atypiques, parfois nus, tantôt foisonnants, à l’image de leur hôte. On est frappé, d’entrée, par la sécheresse du style, pauvre en détails et descriptions superflus, allant droit au but tandis que le protagoniste tourne autour du pot, au grand dam de ses interlocuteurs, au fil de dialogues tout en sous-entendus, assez ubuesques. Idéal pour nous plonger dans un malaise similaire à ce Lazar venu quémander, et qui se perd dans des mondes qui ne sont pas le sien.

Le huitième cercle du métro

Une course folle dans un métro rempli de pièges mortels. Descente aux enfers ? Le narrateur laisse quelques indices laissant à penser qu’il s’agit d’un jeu, bien macabre, ce que confirmera la chute. Une nouvelle qui m’a fortement rappelé les récits d’horreur de Serge Brussolo au Fleuve Noir Anticipation, tant par le côté excessif des dangers, du monde contre l’Humain, que le ton noir et cynique du personnage.

Viens me voir dans ma solitude

Un passeur, bien seul, car les clients se font rares, ressasse sa solitude tranquille, parfois inquiétée par ce doute lancinant : et s’il n’y avait plus personne à faire traverser ? Mais son sens du devoir l’interdit d’abandonner son poste, sa barque. Peut-être aller promener le chien ? Jusqu’à la visite d’une femme. Moment de gêne, politesse empruntée de deux étrangers qui n’ont pas communiqué avec leurs semblables depuis des lustres, qui hésitent. Finalement, elle ne veut pas traverser, mais préfère continuer à chercher s’il reste des vivants sur cette rive. Des siècles s’il le faut. Vous aurez reconnu les personnages, pour un texte hommage à Roger Zelazny, toute en douceur et en poésie.

Nevermore

Apocalypse. A force de guerres et d’atome, l’Humanité s’est réduite à un champ de cadavres, un festin pour les corbeaux. Quand la nourriture se met à manquer, les os blanchis, une corneille débouche une bouteille. Un génie en sort. Que va-t-elle souhaiter ? L’esprit magique a beau l’inciter à de grandes choses, à ne pas renouveler les erreurs du passé, l’animal n’est pas bête... « Plus jamais » ! Noir à souhait, et d’une dimension quasi lyrique.

La Malédiction

Terminons sur une note franchement humoristique et une nouvelle de pure fantasy dans la tradition de Terry Pratchett. Un mage prometteur est envoyé par son grincheux supérieur enquêter sur une malédiction proférée un siècle plus tôt par le sorcier le plus sage et le plus gentil que le pays ait connu. C’est la seule malédiction qu’on lui connaisse, à ce seul titre, cela vaut le déplacement. Et notre homme de tomber sur le pire village de bouseux possible, un ramassis d’aigris et de geignards, la lie des défauts des hommes et des femmes. Et de comprendre le bon tour qui leur a été joué, et de s’en débarrasser à son tour d’une pirouette, pressé de partir en vacances. Nul doute que les auteurs ont dû s’inspirer de faits réels pour dépeindre ce village d’affreux, sales et méchants, et nous en connaissons tous, à qui nous voudrions donner une telle bonne leçon. Truculent à souhait.

En cinq textes et une centaine de pages, il y a de quoi renvoyer une bonne quantité de l’imaginaire anglo-saxon prendre la poussière. Il y a du fond, très loin de nos habitudes, marqué par cet esprit slave et les mythes qui vont avec, de la forme, du style qui sait se faire doux comme sec.
Une très très bonne surprise, à découvrir avec délectation.


Titre : La Malédiction (nouvelles)
Auteur : Henri Lion Oldie (Dmitri Gromov et Oleg Ladyjenski)
Traduction du russe (Ukraine) : Viktoriya et Patrice Lajoye
Couverture :
Éditeur : Lingva
Collection : Nuits blanches
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 100
Format (en cm) :
Dépôt légal : janvier 2017
ISBN : 9791094441329
Prix : 14 €



Nicolas Soffray
23 juin 2017


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