« Le talent de la presse à scandale, c’est l’art de vendre du vent, de se nourrir des peurs, de réveiller des fantasmes, d’alimenter ls rumeurs, un art qui a ses règles, ses artistes, ses professionnels, ses génies (…) »
Quatre parties principales pour ce « Scandale à la une » qui fait la part belle à l’image. Dans la première partie, intitulée « Un peu d’histoire », Gérard Aimé retrace l’histoire du genre, que ce soit outre-Manche et outre-Atlantique avec les guerres entre Hearst et Pulitzer et les outrances du magnat de presse Murdoch, ou en France avec les précurseurs flattant le goût du public pour le mélange de curiosité « gens du monde » (traduire « people ») et de voyeurisme comme le « Mercure galant » de 1672, puis le « Petit Journal » lancé en 1863, les « Faits divers illustrés (1905-1910), « L’œil de la police » (1908-1913), avant le lancement du fameux « Détective » en 1928 et du « Radar » illustré, entre 1949 et 1972, par le grand Angelo Di Marco.
Seconde partie, quelques centaines de premières pages de la presse française, classées par ordre chronologique, « Avant 1914 », « Entre les deux guerres », et « Après 1945 ». Une belle promenade riche en imaginaire qui nous fait découvrir ou redécouvrir les titres cités plus haut et ses illustrations sinistres, terrifiantes, parfois magnifiques, souvent caricaturales et pleines d’humour. La troisième partie, intitulée « Et c’est pire aux USA », en constitue l’équivalent américain, avec des centaines de premières pages faisant la part belle au sexe, au crime et aux orgies – et qui ne choqueraient plus grand monde aujourd’hui – mais aussi à l’étrange, à l’horreur et à l’imaginaire. On appréciera des gros titres anglo-saxons délirants tels que « Gay aliens found in ufo wreck », « With no arm or legs : human caterpillar », « Charles Manson is illegitimate son of Adolf Hitler » ou encore « Hillary Clinton adopts alien baby » (Pour ceux qui ne lisent pas l’anglais, Gérard Aimé donne systématiquement les traductions : « Des extra-terrestres gays découverts dans l’épave d’un soucoupe volante », « Il n’a ni bras ni jambes : la chenille humaine », « Charles Manson est le fils d’Adolf Hitler » ou encore « Hillary Clinton adopte un bébé extra-terrestre. » (Notons, pour les amateurs du genre, l’excellent roman policier de William Kotzwinkle, « Midnight examiner, » dont le héros travaille pour un journal de ce type.) Enfin, quatrième volet, Gérard Aimé termine son volume sur un texte de deux pages rappelant les grandes lignes directrices pour créer de toutes pièces des informations de ce genre.
Si la plupart des titres, sexe et crime, flattent habituellement les goûts les plus bas du public, la dernière catégorie, celle des titres les plus délirants, qu’ils soient anglo-saxons ou hexagonaux, souvent très « pulps » n’a jamais manqué de faire les délices des amateurs d’imaginaire. En reproduisant plusieurs pages d’ « Infos du Monde », avec des titres tels que « La Femme aux trois cerveaux » ou « Jésus apparaît dans les nuages », Gérard Aimé nous rappelle ce qui fut sans doute la plus drôle et la plus parodique de ces publications, riche en annonces fantastiques (citons par ailleurs « Elle n’a pas dormi depuis 32 ans », « La mère à deux têtes et son bébé à deux têtes », « Quatre jambes et un mari », « Ce Bordelais n’a que des pouces », « Un chat sur trois est un extra-terrestre », « Le village où tout le monde a le même visage », « Son chien d’aveugle est aveugle », « Ce serveur prend les commandes par télépathie », « Il vit depuis huit ans avec une hache dans la tête », « Ils font empailler leur patron mort » et mille autre trouvailles.) « Infos du monde » fera paraître 52 numéros en 1994 et 1995 puis repartira pour un petit tour de piste en 1998 avant de disparaître à nouveau et de revenir en un ultime soubresaut en un numéro trimestriel en 2000.
On pourra regretter que l’auteur ne mentionne pas « Actualités hebdo » qui a fait suite à « Infos du Monde » le temps de quelques numéros. Basé exactement sur le même modèle (format identique, présentation similaire mais avec les gros titres de couleur bleue), il n’aura pas duré mais aura tout de même livré quelques perles dans le registre des titres mémorables et des photos truquées. « Enceinte dans le dos », « L’homme qui a des mains à la place des pieds », « On a retrouvé le crâne du cyclope », « La chienne fidèle se suicide à la place de son maître », « Apprenez à mesurer votre vide cérébral » : les – déjà – nostalgiques d’« Infos du Monde » se sont un moment consolés avec cet hebdomadaire un brin inférieur et malheureusement éphémère.
« Vide de sens, le mot scandale reste pourtant magique, trône toujours dans les titres sans qu’il soit nécessaire de préciser en quoi réside ce scandale. »
Éphémère – là est le mot clef. Le scandale, par essence, est éphémère. On s’indigne, on oublie. Une nouvelle indignation efface la précédente, le fait-divers du jour chasse celui d’hier. Il semble en aller de même pour ceux qui, dans son illustration, trouvent à la fois une source d’intérêt et un véritable témoignage artistique. Le très beau Musée Di Marco, créé à Troyes par André Antoine en 2004, n’aura pas vraiment reçu de soutien et n’aura duré, sous sa forme physique (il en existe à présent une version virtuelle sur le réseau, que quelques années. Les éditions Sombre Crapule, qui ont publié en 1990 un très beau « C’était dans Libé » (textes de Marie Ange Guillaume et illustrations de Ted Benoit pour d’inénarrables faits divers comme « Il ne remontait pas assez vite de sa cave : sa femme lui tranche la carotide à coups de hache », « Une Japonaise se suicide dans un lave-vaisselle » ou encore « Le Restaurateur chinois enterre sa femme vivante »), ont connu elles aussi une existence particulièrement éphémère.
Reste que si le scandale est passager, le goût du scandale, lui est immortel. Tout comme sont immortels le goût pour l’« hénaurme », l’exagération, la caricature, le délire. Il y aura toujours des amateurs ou des journalistes pour se délecter d’un fait divers grossi, d’un détail macabre volontairement mis en avant, d’une supercherie bien sentie, d’une information volontairement outrancière ou même surréaliste.
Éphémère, donc, pas tant que cela, et il se pourrait bien que ce public d’un même genre dont Gérard Aimé souligne très justement la dualité (ceux qui croient, et il s’en trouve, même parmi les amateurs de délires façon « Infos du monde, que tout est vrai, et ceux qui se délectent de l’imaginaire de ces fictions évidentes) l’empêche de totalement disparaître. Et Gérard Aimé de souligner que si bien des titres ont disparu, d’autres perdurent, et que presse à scandale et presse people, en France, totalisent vingt-cinq titres faisant entre 300 000 et 500 000 exemplaires alors que parmi la presse généraliste seuls six quotidiens dépassent les 100 000 exemplaires. Si la disparition de revues telles qu’ « Infos du monde » anticipe le destin de la presse écrite, celle-ci ne se porte donc pas si mal, du moins pour ce type d’information.
En conclusion, Gérard Aimé s’interroge sur l’avenir du genre : d’une part l’explosion des technologies de la communication permet désormais à tout un chacun de véhiculer rumeurs et théories du complot qui sont des ingrédients majeurs de ce genre de presse, d’autre part les terroristes diffusent à l’envi des vidéos qui relèguent les couvertures de genre au rang d’images d’Epinal. Nous ajouterons, pour notre part, que le gorafi contemporain peut apparaître comme l’une des déclinaisons les plus modernes de la presse à scandale parodique, et que certains « documenteurs » peuvent en apparaître comme de véritables héritiers naturels.
Il est trop tôt, sans doute, pour pouvoir anticiper pleinement les mutations d’un genre qui en saurait disparaître. En attendant de voir ce que l’avenir nous réserve, que ce soit dans la presse écrite ou sur le réseau, ce « Scandale à la une » de Gérard Aimé constitue un joli tour d’horizon de l’histoire passée du genre. Une lecture instructive et plaisante qui, tour à tour, effraie, intrigue, fascine, fait sourire, et déclenche ici et là quelques véritables crises d’hilarité.
Scandales à la une
Auteur : Gérard Aimé
Couverture : Jef Cortes
Conception graphique et Iiconographie : Jef Cortes / Thierry Freiberg / Pixl
Éditeur : Hugo et Cie
Pagination : 159 pages
Format : 17 x 24 cm
Dépôt légal : 20 avril 2017
ISBN : 9782755622195
Prix : 16,95 €