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Maison des reflets (La)
Camille Brissot
Syros, Hors série, roman (France), gestion du deuil, 344 pages, février 2017, 16,95€

Futur proche. Grâce aux Maisons de départ, on peut faire modéliser le Reflet d’un défunt en 3D pour le revoir et prendre le temps de lui dire adieu. Daniel, 15 ans, est le fils et petit-fils des concepteurs de la Maison Edelweiss. Son grand-père, formé à l’animation pour le divertissements, a créé les Reflets les plus crédibles. Grâce à une IA, son père les a doublés d’une personnalité, bâtie sur les souvenirs de la famille. Un jour, Daniel aura a prendre leur suite. Pour le moment, il voit peu son père, accaparé par son travail, et suit les cours de Mme Elia, l’autre pilier de la maison, une amie de son grand-père. Ses amis Elliott, Matthias et Mona sont des Reflets.
L’arrivée de Daphné Maris, une journaliste travaillant sur les maisons de départ, et la proposition de son père que Daniel réalise un nouveau décor pour les salons vont marquer le début d’une année cruciale pour l’adolescent.



Parler du deuil n’est pas chose facile, et pourtant Camille Brissot nous propose ici un roman magnifique de maîtrise sur ce thème, à des années-lumière de la « sick-lit » anglo-saxonne menée par John Green.

Sur le fond, elle s’empare du sujet avec toutes les armes que lui offre la SF : des technologies que nous faisons déjà un peu plus qu’effleurer, modélisation 3D, projection holographique, intelligence artificielle, s’éloignent du champ du divertissement pour envahir autrement la société de nos petits- et arrière-petits-enfants, en proposant d’adoucir un décès survenu trop tôt, trop brutalement, en offrant à la famille du temps pour dire adieu. Louable idée, et l’autrice saupoudre également quelques garde-fous, comme la Dernière nuit, cérémonie où la famille clôt son deuil et que le Reflet est effacé. Ils n’ont pas vocation à durer éternellement, et condamner au chagrin leurs proches.

Certains romans reposent sur les rebondissements de leur intrigue. Ici, rien de tout cela, la trame sera, on le devine dès les premières lignes, sans la moindre surprise. Mais ce n’est pas un reproche que je fais à Camille Brissot, ni un regret, bien au contraire : tout l’intérêt de « La Maison des Reflets » (au-delà de l’originalité de sa situation, et même grâce à cela) se trouve dans l’évolution psychologique de son héros, de son rapport à la mort, lui qui croit la côtoyer quotidiennement.

Si la vie de Daniel semble heureuse, on voit vite le vernis s’écailler : à l’abri dans la Maison, il envie la « normalité » des ados qui passent chaque jour dans la rue ; ses amis ne vieillissent pas, aussi s’éloigne-t-il d’Elliott, éternel enfant de 8 ans, pour se rapprocher de Matthias et de la belle Mona, quand bien même il sait qu’elle n’est pas tangible. Sa mère, qu’il n’a jamais connu, est elle aussi toujours présente s’il a besoin d’elle : il lui suffit de prononcer son nom à haute voix et elle apparaît, comme les autres reflets. Sa seule expérience de la mort est la Dernière nuit, et lorsqu’elle le touchera personnellement, sa nécessité ne lui en paraîtra que plus injuste et cruelle.

Quand l’intrigue prend un tour amoureux, avec une rencontre furtive, un coup de foudre suivi d’une irrémédiable séparation, et que la belle, nous le savons depuis le prologue, a une maladie héréditaire qui peut la tuer d’un jour à l’autre, Camille Brissot nous balise le chemin, nous invite à anticiper les espoirs et les déceptions, les choix de son héros, ses rebellions. Le roman, composé de chapitres parfois très courts, ne laisse place à aucune divagation superflue. Quand bien même (ou justement parce que) nous devinons comment les choses finiront, il se dévore pages après pages.

L’autrice joue des contraintes imposées et des contrastes : on oubliera souvent la débauche technologique de la Maison puisque, pour Daniel, c’est avant tout son chez-lui, une magnifique demeure, au charme ancien, au parc où il fait bon flâner. Pour Violette qui n’a ni tablette ni réseau, et sous l’impulsion de Mme Elia, il revient au papier et aux enveloppes, gracieusement transportées par les clients des villes où la fête fait étape, ce mode de communication hors d’âge, loin de l’instantanéité d’Internet, oblige à la patience, lâche la bride aux plus grands espoirs et aux pires craintes. Contraste également entre les relations de Daniel avec les Reflets (une trame « secondaire », qui marque davantage la fin de l’histoire, et là aussi un grand thème de SF fort bien traité) et les vivants, sur lesquels il aura la sensation de toujours s’interroger ou réaliser les choses avec retard, y compris parfois sur nous lecteurs.

Si les plus jeunes pourront frémir et s’émouvoir aux rebondissements et chamboulements qui agitent la vie de Daniel, les lecteurs plus mûrs savoureront la qualité de la plume de Camille Brissot qui, par la finesse du portrait psychologique de son personnage, et une économie d’effets, nous touche droit au cœur pour nous parler d’amour et de mort. Brisant toutes les défenses qu’elle nous aura dès le début suggérer de forger, elle explore son sujet sans faillir, dans l’inexorable voie qu’elle s’est fixée, à la fois simple et évidente. N’espérez nul hasard bienheureux qui conduirait à un happy end avant la fin : le propre d’un bon roman est de ne pas être l’objet du hasard. Tout est ici logique, maîtrisé, mais tellement limpide, évident, et c’est ce qui ne l’en rend que plus beau, jusqu’à la dernière ligne.

De son propre aveu, « La Maison des reflets » est le fruit d’un long travail. Cela se voit. Ou plutôt, preuve ultime, cela ne se voit pas.
A mettre entre toutes les mains.

MAJ 04/2018 : Le roman a remporté le Prix Imaginales des Collégiens 2018 ! (entre autres)


Titre : La Maison des Reflets
Auteur : Camille Brissot
Couverture : (photomontage)
Éditeur : Syros
Collection : Hors série
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 344
Format (en cm) : 23 x 16 x 3,5
Dépôt légal : février 2017
ISBN : 9782748523249
Prix : 16,95 €



Nicolas Soffray
6 mai 2017


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