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L’Effet Domino
François Baranger

Faut-il présenter François Baranger ? Artiste reconnu, il est responsable de l’esthétique somptueuse du long métrage « La Belle et la bête » de Christophe Gans (2014). Sur le plan littéraire, il est déjà l’auteur du deux romans de science-fiction, « Donimum mundi » tomes I et II (éditions Critic, 2013 et 2014, rééditions Pocket, 2016). Avec « L’Effet Domino », il s’intéresse pour la première fois au thriller.



Nous sommes en 1907. Lacinière, un inspecteur qui s’est déjà taillé quelques succès dans l’investigation criminelle en province, est convoqué à Paris pour prendre la direction d’une nouvelle enquête. Officiellement, il n’est là que pour évaluer l’insécurité parisienne. Officieusement, et en compagnie de la jeune féministe Albertine de la Roche-Dufresse et du non moins jeune, mais parfaitement débrouillard, Thomas Abeille, il est chargé de mettre la main sur un criminel en série, surnommé Domino, responsable d’assassinats multiples, spectaculaires et aux résonances ésotériques. Officieusement car rien se semble capable d’arrêter ce monstre qui s’en prend non seulement aux policiers qui enquêtent sur son cas, mais aussi à leurs amis et à leur famille. Si Lacinière, Albertine, et Thomas ont été choisis par le préfet Lépine, c’est en raison de leurs compétences, mais aussi parce qu’ils n’ont pas de proches. Et ils devront conduire leurs investigations dans le plus grand secret.

« À ma connaissance, les crimes satanistes n’existent que dans l’imagination populaire. Je ne crois pas que, dans les annales de la police française, un seul crime de cette nature ait jamais été répertorié. »

Bientôt flanqués du journaliste Paul Saint Alexis, qui en sait déjà trop et qu’il vaut mieux avoir à leurs côtés, et soutenus sur le plan logistique par Jean-Joseph, secrétaire du Préfet, les trois investigateurs enquêtent en secret. Se faisant passer tour à tour pour des curieux, des journalistes ou des gouapes, ils tirent les vers du nez des uns et des autres, visitent les scènes de crimes, compulsent les dossiers, interrogent divers experts dans une affaire qui semble bien trop complexe. Complexe parce qu’elle comprend, comme en parallèle, des crimes ritualisés et des crimes improvisés, complexe parce qu’ils sont bientôt eux-mêmes la cible de l’assassin, complexe parce qu’ils n’en finissent pas de découvrir de nouveaux détails qui les obligent à consulter maints experts.

« Certes, l’assassin semble éprouver un intérêt particulier pour les mathématiques, mais ce n’est pas à cause d’elles qu’il tue. Elles constituent une partie de son rituel, mais les écrits de Crowley les ont aussi, et probablement d’autres choses qui nous échappent encore. »

Très rapidement, la piste désignée par la police et la presse, celle d’André Delga, dit « double-six », un remarquable forçat qui a non seulement réussi à s’échapper du bagne, mais à revenir de Guyane, qui plus est aidé par les loa du vaudou karib, commence à prendre l’eau. Il n’est pas clair dans cette affaire, mais il n’est pas non un tueur en série. L’affaire va bien au-delà d’une simple vengeance.

« Dans le faisceau lumineux, les langues de brume translucide qui tourbillonnaient autour de nous revêtaient une allure fantomatique, presque démoniaque, produisant par moments l’illusion très convaincante que nous étions assaillis par des créatures surnaturelles, liguées pour renverser notre esquif. »

Pouvait-on écrire un épais roman de plus de cinq cents pages se déroulant dans le Paris des années 1900 sans y faire figurer cette figure emblématique qu’est celle du dirigeable ? Nos héros sortiront peu de Paris, mais ce sera l’occasion d’un magnifique chapitre nocturne, une tempête vécue à bord d’un aeronef suivie d’un crash, une course folle vers Calais, pour s’y entretenir, à bord d’un navire, au cours des ultimes instants avant son départ, avec le non moins emblématique Alesteir Crowley. Très belles réussites que ces scènes nocturnes et que cet entretien avec un personnage entre tous mystérieux, et sans doute lui-même en proie à des puissances mystérieuses qui le dépassent.

Un aspect feuilletonesque avoué, un rythme trépidant, des dialogues bien sentis, mais aussi une belle recréation du Paris de l’époque. En mettant en scène un inspecteur d’origine rennaise, François Baranger permet au lecteur de découvrir la capitale à travers des yeux neufs sans que ses procédés descriptifs n’apparaissent jamais artificiels. Si l’aspect Belle-époque n’est pas oublié – brasseries, restaurants, belles demeures – l’auteur prend soin de reconstituer également, avec âpreté et minutie, l’envers du décor : la capitale est également en proie à la criminalité et à la misère, bien des bâtisses sont sordides, non chauffées, le tramway est humide et glacial, les abattoirs et le marché aux bestiaux ne sont pas véritablement fréquentables – l’East End de Jack l’Eventreur n’est jamais très loin.

« Le continuum étrange qui semble exister dans son esprit entre mathématique et mystique, voire occultisme, trouve ici son effroyable application. »

Avec astuce, François Baranger emmène le lecteur – qui soupçonne tour à tour chacun des membres de l’équipe – sur toute une série de fausses pistes, dans une énigme de plus en plus sanglante, mais aussi de plus en plus subtile. Outre son soigneux travail de recréation de ce début de siècle, l’auteur fait graviter son intrigue autour de quelques grandes figures du moment telles que Marie Curie, Claude Monet, le commandant Charcot ou encore Hector Malot – ou du passé comme Evariste Galois. Ne sont pas oubliés les tourments sociaux de cette décennie – grèves, luttes politiques, loi de séparation de l’Église et de l’État de 1905 – qui donnent un arrière-plan solide à la fois à l’intrigue et à la psychologie des personnages.

Pour décrire cette aventure tendue entre le 15 février et le 20 mars 1907, François Baranger use d’une prose suffisamment simple et fluide pour que les plus de cinq cents pages s’avalent quasiment d’une traite. S’il se laisse ici et là tenter par un soupçon de vocabulaire d’époque (aéronat, rodomont, automedon, nummulaire, et une belle utilisation transitive de vitupérer), il ne le fait qu’avec une parcimonie telle que ces quelques mots plaisants ne viennent jamais gêner la lecture. Et que l’ombre du grand Joris-Karl Huysmans vienne planer sur cette intrigue ne gâche rien à l’affaire, bien au contraire.

Dire de « L’Effet Domino » qu’il n’est qu’une histoire de serial-killer de plus serait donc injuste. Si ce roman sacrifie en effet aux rituels du genre avec les détails macabres, la tentation ésotérique, les inspecteurs à leur tour pris pour cible, la psychopathologie, les asiles d’aliénés et la scène finale très cinématographique (magnifique idée de décor, soit dit en passant), il le fait avec intelligence et bonheur, et dans un cadre toujours crédible. Un roman qui mériterait une adaptation sur grand écran, et un premier thriller bien plus qu’honorable pour François Baranger, dont on espère qu’il reviendra rapidement sur ce genre de terrain.

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Titre : L’Effet Domino
Auteur : François Baranger
Éditeur : Bragelonne
Collection : Thrillers
Couverture : François Baranger d’après Paul Gooney
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 564
Format (en cm) : 15 x 24
Dépôt légal : février 2017
ISBN : 9791028101138
Prix : 21,50 €

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Hilaire Alrune
1er mars 2017


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