Né le 12 janvier 1876, l’année du centenaire des Etats-Unis, reconnu à l’âge de six mois par John London mais fils génétique de l’astrologue William Chaney et d’une mère hystérique qui faisait tourner les tables et s’adonnait elle aussi à l’astrologie, Jack London est à la fois né sous une bonne et sous une mauvaise étoile. Une bonne étoile parce qu’il aura une existence exceptionnelle, une mauvaise parce qu’il s’éteindra à l’âge de quarante ans. Existence brève, mais quelle existence !

« J’aimerais mieux être un météore superbe, et que chacun de mes atomes brille d’un magnifique éclat, plutôt qu’une planète endormie. La fonction propre de l’homme est de vivre, non d’exister. Je ne perdrai pas mes jours à essayer de prolonger ma vie. Je veux brûler tout mon temps. »
Des petits boulots dès l’âge de dix ans – reflet d’une époque difficile ou plus d’un million et demi d’enfants américains sont contraints de travailler – conduisent rapidement London à la délinquance : il est tout d’abord pilleur d’huitres, activité fort lucrative, avant de rejoindre le droit chemin et de passer de l’autre côté de la barrière, hélas insuffisamment payé. Il part alors dans les glaces à la chasse au phoque. Au retour, inspiré par cette expérience, il écrit son premier texte et remporte son premier prix. Il vient d’avoir dix-sept ans. Puis c’est la découverte des mouvements sociaux et du chômage avec une longue marche de protestation à travers plusieurs états, suivie d’errances et de vagabondages : London découvre la misère absolue et, à dix-huit ans, décide de reprendre ses études. Travaillant d’arrache-pied, lisant Marx, Spencer, Darwin, il accède à l’université qu’il quittera au bout de six mois : il connaît déjà trop le monde réel. Il essaie d’écrire, encore et encore, sans réussir – partie remise. Il doit, surtout, gagner sa vie

On connaît la suite : la ruée vers l’or, les splendeurs glacées du grand du grand Nord : ce sera « Radieuse aurore » et « Bellio la fumée ». Le scorbut le ramène à la civilisation, il se replonge dans l’écriture, connaît un temps de galère avant de voir ses nouvelles acceptées puis réunies en recueil. Il est devenu le « Kipling du grand nord ». Des débuts littéraires qu’il retracera plus tard dans un formidable roman à échos autobiographiques, « Martin Eden ».
Commence alors véritablement sa vie d’écrivain. Il se marie, s’impose ses milles mots par jour, travaille pour la presse, part à Londres écrire sur les miséreux de l’East End. C’est « Le Peuple d’en bas » agrémenté de ses propres photographies. Puis il rencontre la reconnaissance et la gloire avec « L’ Appel de la forêt ». Il part comme correspondant de guerre en Asie en 1904 en 1904, écrit d’autres « Le Loup des mers » et « Croc Blanc ». Il s’est séparé de sa première femme, a épousé dès le lendemain de son divorce Charmian, jeune femme progressiste, intelligente, curieuse, se fait construire un bateau pour faire le tour du monde. 1907 et 1908 sont deux années de splendeurs, d’avaries, d’équipages à moitié fous, de parenthèses divines, de moments où le bateau n’est plus qu’un hôpital. À contrecoeur, après vingt sept mois d’absence, le couple rentre en Californie.
Mais il est bien difficile pour Charmian et Jack, qui s’est lancé dans l’élevage et la culture, de rester longtemps en place. Croisières, voyage en attelage à travers Californie et Oregon, puis départ en 1912 sur un immense voilier, le Dirigo, en direction du Cap Horn. En naîtra « Les Mutinés de l’Elseneur », le roman de plus sombre de London.
Roman sombre, car, déjà, pour London l’âge d’or s’achève. En 1913, Charmian et lui comprennent qu’ils ne pourront avoir d’enfant, l’ex-épouse de London, Bessie, en veut toujours plus, son ranch le mène à la ruine, il cède à la boisson (ce sera « John Barleycorn ») sa santé se dégrade, la demeure de ses rêves, à peine achevée, est détruite par un incendie. Il pense que des nouvelles opportunités s’ouvrent à lui avec le cinéma : ce sera la naissance des « Films Jack London ». Pas de succès critique, ni public, aucun impact financier, des combats juridiques : une nouvelle déception. Et déjà la fin : Jack London meurt à quarante ans d’insuffisance rénale.

On le devine : dans ces quelques lignes, nous avons occulté des pans entiers de l’existence de London, dont la brève existence aura été d’une densité peu commune. Est-il possible de résumer la vie d’un tel homme, nourrie d’histoires et d’expériences, d’aventures, de luttes politiques, de voyages, d’écriture ? C’est en tout cas avec un texte à la fois clair, aéré, et riche en précisions historiques que Michel Viotte – grand spécialiste de l’auteur, dont il a traduit plusieurs œuvres, et ex-président de la Jack London Society – et le documentariste Noël Mauberret sont parvenus à établir une biographie à la fois complète et passionnante. Une biographie brève mais nourrie et supportée par un incroyable fonds iconographique qui donne à ce très bel ouvrage solidement relié l’indiscutable statut de beau livre. Pages manuscrites, couvertures d’éditions originales, reproductions de presse de l’époque, clichés de Jack London mais aussi pris par Jack London lui-même, l’ouvrage se feuillette, puis se dévore avec un intérêt sans cesse croissant. On l’aura deviné : cet ouvrage, véritablement exceptionnel, ne pourra manquer de ravir tous ceux qui se sont un jour ou l’autre plongés dans l’œuvre de Jack London. En ces périodes de fêtes de fin d’année, on peut difficilement rêver d’un plus beau cadeau.
Les Vies de Jack London
Auteur : Michel Viotte, avec la collaboration de Noël Mauberret
Couverture : Carole Amrane d’après © La Compagnie des Indes
Éditeur : Éditions de la Martinière
Site Internet : page volume (site éditeur)
Pages : 254
Format : 24,5 x 29,3 cm
Dépôt légal : octobre 2016
ISBN : 9782732475837
Prix public : 35 €
Les Éditions de la Martinière sur la Yozone :
Sherlock Holmes, détective consultant, par John Bastardi Daumont
Oscar Wilde, splendeur et misère d’un dandy, par Daniel Salvatore Schiffer
Photos © Éditions de la Martinière et ayants droits (2016)