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Mycroft Holmes
Kareem Abdul-Jabbar et Anna Waterhouse
Bragelonne, traduit de l’anglais (États-Unis), steampunk, 378 pages, septembre 2016, 28€

Avec deux mètres dix-huit, nul ne saurait nier que le basketteur et ambassadeur de la culture Abdul-Jabbar, né Fredinand Lewis Alcindor, soit un grand auteur. Est-il pour autant un auteur tout court, même avec l’aide d’une scénariste professionnelle ? Le verdict ci-après.



Il se nomme Holmes, Mycroft Holmes. Les amateurs de l’œuvre de Conan Doyle le connaissent car il apparaît à plusieurs reprises dans le corpus holmésien classique, tout comme dans les pastiches et autres œuvres de continuateurs. Mycroft, frère aîné de Sherlock (il a sept ans de plus que lui), est également plus doué encore que le fameux détective.

Dans ce récit, Mycroft Holmes a vingt-trois ans, son jeune frère n’est pas encore célèbre. Mycroft, qui travaille au Ministère de la guerre, est fiancé avec Georgina Sutton, originaire de la Trinité où ses parents ont longtemps exploité des plantations de canne à sucre. Parmi les amis de Mycroft, Cyrus Douglas, un noir de la Trinité également, qui fait le commerce de tabac. Les aventures de ce trio, on l’aura compris, n’auront pas lieu dans le fog londonien, mais sous la chaleur tropicale des îles.

À l’origine de ces aventures, des enfants que l’on retrouve sur la côte de la Trinité, assassinés, de toute évidence par magie. Des empreintes de pas inversées, des corps vidés de leur sang. Douen et ligahoo  : les maléfices de l’endroit. Lorsqu’elle a vent de l’affaire, Georgina Sutton, horrifiée, s’en retourne subitement à la Trinité. Son fiancé Mycroft qui a plus d’un tour dans son sac, parvient à convaincre ses supérieurs de l’y envoyer à son tour.

Commence alors une aventure dont les premiers coups de théâtre auront lieu sur le bateau, au cours d’une traversée qui dure huit jours. Mycroft et Cyrus Douglas auront fort à faire pour arriver entiers à bon port, et les choses ne feront qu’empirer une fois la Trinité atteinte. Des découvertes en rebondissements, de surprises en révélations, Mycroft en apprendra beaucoup sur le monde qui l’entoure.

Disons-le d’emblée : le roman n’est pas tout à fait exempt de défauts. Ainsi, le lecteur qui attendrait une prose fouillée, conforme à l’époque victorienne, sera déçu. Le style est obstinément simple, très grand public, et bien des chapitres sentent l’atelier d’écriture. Les dialogues apparaissent plus théâtraux que victoriens, avec un humour qui n’est pas toujours d’une finesse britannique. Les passages destinés à mettre en évidence les formidables capacités de déduction de Mycroft laissent parfois à désirer. Certains chapitres sont bien peu convaincants : ainsi, par exemple, celui dans lequel Georgina arrête le cab dans un quartier mal famé de Londres pour « mieux respirer » avant d’abandonner subitement Mycroft pour se précipiter vers la Trinité, comme s’il s’agissait de prendre un simple train, est à la fois invraisemblable et inutile. Des maladresses, des approximations, un certain simplisme font rapidement comprendre au lecteur que l’on a ici affaire à un roman destiné à la jeunesse.

Une fois cet élément accepté, le roman s’avère plaisant, rythmé, et l’on se laisse emporter par les aventures de Mycroft, qui, encore jeune, découvre la violence, la perfidie, les erreurs historiques de la Couronne et bien d’autres choses encore. Des aventures qui en définitive n’ont rien de surnaturel et permettent aux auteurs de faire preuve d’un politiquement correct dénonçant sans excès, mais avec un peu de platitude et de manière passablement convenue, les travers de l’époque victorienne : la discrimination des gens de couleur, le rang secondaire occupé par les femmes, les horreurs de l’esclavage.

On n’ira pas non plus se leurrer sur l’appartenance de ce roman à l’univers holmésien, dont la revendication pourra apparaître aux plus suspicieux comme passablement mercantile. Si une rapide rencontre entre Mycroft et Sherlock a bel et bien lieu en début de roman, si les toutes dernières phrases du récit viennent, in extremis, raccrocher le récit aux aventures holmésiennes encore à venir, tout ceci apparaît trop superficiel pour véritablement convaincre. Avec un autre titre, un autre personnage, le roman n’aurait pas été significativement différent – mais il n’aurait sans doute jamais attiré l’attention.

« Mycroft Holmes  » n’est donc ni un véritable récit victorien, ni un récit fondamentalement lié à l’œuvre ou au personnage de Conan Doyle, ni une fiction de tendance « steampunk », comme sa réalisation soignée (couverture avec inserts dorés, tranche argentée, motifs intérieurs), évocatrice du « mois de cuivre » de chez Bragelonne, pourrait le laisser croire. Il s’agit d’un roman plus simple, moins fouillé, moins documenté que ne le sont habituellement les récits appartenant aux genres précités. Avec son intrigue assez simple et linéaire et son style accessible à tous, « Mycroft Holmes », sympathique et plaisant, apparaît avant tout comme un récit d’initiation destiné à la jeunesse.

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Titre : Mycroft Holmes ( Mycroft Holme , 2015)
Auteur : Kareem Abdul-Jabbar et Anna Waterhouse
Traduction de l’anglais ( États-Unis ) : Benjamin Kuntzer
Couverture : Adèle Silly / Mark Owens / Arcangel Image
Désign intérieur : Adèle Silly
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 378
Format (en cm) : 15,2 x 23,6
Dépôt légal : septembre 2016
ISBN : 9791028100902
Prix : 28 €



Hilaire Alrune
19 novembre 2016


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