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Abbaye blanche (L’)
Laurent Malot
Bragelonne, collection thrillers, polar nerveux, 333 pages, août 2016, 21,50€

Après « De la part d’Annah » et « Lucky losers », une première tentative réussie pour Laurent Malot dans le domaine du polar.



« À l’intérieur, c’était plein de corniauds en train de roucouler devant des sculptures en plâtre qu’un débile aurait pu chier si l’idée lui avait traversé l’esprit. »

Nantua, dans le Jura, une petite ville de province un peu trop calme ? Sans doute, jusqu’à ce que les morts suspectes s’y accumulent. Pas vraiment le moment idéal pour l’inspecteur Gange, dont la femme vient de filer à l’anglaise, et qui ne sait plus où donner de la tête alors qu’il doit s’occuper de sa fille. Un type mort dans une chambre d’hôtel, puis un second cadavre. Pas de lien évident, mais tout de même : une jeune femme blonde dans les deux cas. Puis un cadavre au fond des bois, avec des traces de tortures. Deux cyclistes attaqués par des moines qui s’enfuient sur leurs bicyclettes. Toujours pas de lien, mais des indices qui mènent à une galerie d’art fréquentée par des individus qui ne ressemblent pas vraiment à des esthètes. Et une jeune journaliste qui, au sujet de cette galerie d’art, mais aussi sur bien trop de gens, en sait toujours plus que Gange lui-même, est-ce vraiment normal ?

« Je suis très fier que nous soyons opposés, vous et moi. Ce n’est pas que je vous voie comme l’ennemi brave et valeureux, mais, à mes yeux, vous êtes la forme la plus aboutie de la connerie ; ça me rassure d’être à l’autre extrémité. »

Un peu de clichés, un peu de convenu ? Dans ce personnage de flic abandonné par sa femme, qui souffre, qui se retrouve seul avec sa fille, qui s’acharne sur des pistes délirantes, qui n’est pas trop scrupuleux vis à vis de la loi et des méthodes d’investigation, et qui est en permanence à deux doigts de commettre l’irréparable, on sent bien une petite odeur de poncif. Pourtant, là où un auteur américain commencerait par déverser soixante-dix pages de mélasse psychologique, l’auteur s’impatiente, prend des raccourcis, présente les personnages et installe l’ambiance à coups de réparties sèches et même de non-dits qui laissent tout deviner. Si les palabres sont souvent l’occasion d’épaissir les thrillers, « L’Abbaye blanche » démontre que l’inverse est également possible. Laurent Malot ne donne pas l’impression de composer ses dialogues en tapotant sur une machine à écrire, mais plutôt en s’entraînant sur un sac de frappe. Les échanges sont secs, nerveux, râpeux, on retrouve ce mélange d’esprit, d’ironie mordante et de désabusement archétypal du polar qui fonctionne ici à plein et permet, dès les premiers chapitres, d’accrocher le lecteur.

Il faut dire aussi que les Michelet, les Etienne, les Badel et autres collègues ont eux aussi du mordant, que la jeune étudiante qui garde sa fille n’a pas tout à fait sa langue dans sa poche, et que la journaliste Helena Medj, qui arrive ici et là à prendre un temps d’avance sur Mathieu Gange, a elle aussi le sens de la formule. Que les autres personnages, notamment les véreux de tout poil, pâlissent un peu en regard de ces personnages brillants et incorruptibles devient dès lors inévitable, mais d’une certaine manière, leurs actes parlent pour eux.

« Un prof de droit m’a dit un jour que, en matière de crime, tout ce qu’on pouvait imaginer de pire avait déjà été commis quelque part. Ça aide à relativiser.  »

Des véreux de tout poil, il y en a, dans « L’Abbaye blanche », suffisamment pour faire non pas un, mais plusieurs sacs de nœuds. Entre la secte de faux moines pratiquant le lessivage mental à la hussarde, les notables corrompus jusqu’à l’os, les juges et procureurs vérolés jusqu’à la moelle, les inspecteurs beaucoup plus préoccupés par leur carrière que par la justice, et jusqu’aux politiques couvrant tout ce qu’ils peuvent couvrir pour des raisons pas forcément avouables, Mathieu Gange et ses comparses auront affaire à un panier de crabes comme on en voit rarement. On s’en doute : leur cote dermatologique ne sera pas longue à s’effondrer, on essaiera d’avoir leur peau de mille et une manières. Il ne faudra pas hésiter à rester vigilant, à sortir les flingues, et à prendre avec la loi de véritables libertés.

« En attendant, il s’offrit un panoramique de ce qui se faisait de plus luxueux dans la région : lustres de cristal, dorures de bois précieux, vases exotiques, tapisseries murales, comptoir en zinc suffisamment bien chromé pour que les vieilles peaux qui y remplissaient leurs chèques puissent contempler l’horreur de leur visage retouché. »

On a donc affaire avec « L’Abbaye blanche » à un thriller nerveux, tendu, et finalement assez musclé. Peu de défauts pour ce premier polar, si ce n’est ce chapitre où Gange et la journaliste s’introduisent dans l’abbaye qui nous semble bien peu vraisemblable – un chapitre où l’on sent l’auteur lorgner vers la scène cinématographique ou le feuilleton télé, mais qui ne convainc pas vraiment. Si les dialogues l’emportent sur les descriptions, Laurent Malot parvient à rendre les ambiances, à faire surgir les lieux en une ou deux phrases. Un exemple “L’épaisse moquette feutrait le bruit des pas. Un buffle aurait pu charger sans réveiller les clients.” En quelques mots, tout est dit. Une technique qui permet à ce roman d’emporter le lecteur de péripétie en péripétie sur un peu plus de trois cents pages, en un format suffisamment court pour éviter toute longueur et tenir le rythme sans jamais s’essouffler. On suit donc avec plaisir les aventures de ce flic intègre et jusqu’auboutiste, et l’on espère que l’auteur viendra ajouter d’autres épisodes à ce premier polar.

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Titre : L’Abbaye blanche
Auteur : Laurent Malot
Couverture : Plainpicture / Danel
Éditeur : Bragelonne
Collection : Thriller
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 333
Format (en cm) : 15 x 23,7
Dépôt légal : août 2016
ISBN : 9791028101084
Prix : 21,50€

Les thrillers Bragelonne sur la Yozone :

- « De mort naturelle »
- « Le Livre des âmes »
- « Seul sur Mars »


Hilaire Alrune
15 octobre 2016


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