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Coeurs artificiels
Laura Lam
Bragelonne, traduit de l’anglais (États-Unis), science-fiction, 356 pages, août 2016, 20 €

Deux jeune filles rescapées d’un secte, toujours unies par une relation fusionnelle après avoir longtemps été siamoises, des drogues neurosynthétiques destinées à policer la population en lui offrant des loisirs à l’issue desquels leurs pulsions seront assouvies, un mystérieux empire du crime, des changements de personnalité. Un thriller nourri par une multitude de thèmes science-fictionnesques.



San Francisco, dans un futur non daté, mais relativement proche. Taema et Tila sont deux sœurs unies, l’une travaillant dans la haute technologie pour une grande firme industrielle (elle a mis au point un vêtement interagissant avec la brume), l’autre dans les night-clubs. Toutes deux sont parfaitement intégrées dans la société, ce qui, compte tenu de leur passé, est pratiquement miraculeux.

Taema et Tila, en effet, ne devraient plus être de ce monde. Initialement siamoises, élevées par leurs parents au cœur d’une secte, le Foyer de Mana, coupé du reste du monde par les zones marécageuses de Muir Woods, dans la baie de San Francisco, fonctionnant en quasi-autarcie, et où l’on refuse toute technologie postérieure à 1969, elles n’ont aucune chance d’atteindre l’âge adulte. Lorsque leur cœur commun montre les premiers signes de fatigue, alors qu’elles sont encore enfants, Taema et Tila comprennent qu’elles ne pourront survivre que si elles parviennent à s’échapper.

Chirurgicalement séparées après avoir réussi à gagner la ville, dotées chacune d’un cœur artificiel, elles voient s’ouvrir devant elles une vie longue et sans histoires. Mais, un jour, Tila débarque chez sa sœur couverte de sang et poursuivie par la police, qui bientôt l’emporte. Dans un monde au aucun meurtre n’a été perpétré depuis près de deux décennies, Taema comprend que la relation fusionnelle qui l’unit à sa sœur est sur le point d’être brisée : si elle est convaincue de meurtre, Tila sera mise en stase - en d’autres termes congelée.

Dans ce monde futur où chacun est libre s’assouvir ses pulsions grâce à la neurochimie du Zèle, qui offre à la fois exutoire et apaisement, on ne badine en effet pas avec la violence. Pourtant, une lueur d’espoir apparaît : il se trouve qu’avant le crime Tila enquêtait, pour son propre compte semble-t-il, sur un bien mystérieux trafic : le remplacement scélérat du Zèle par le Verve, une autre substance qui, bien loin d’apaiser les pulsions les aiguise. Pire encore, les personnes sous son emprise pourraient être espionnées par son intermédiaire, voire même soumises à des modifications de la personnalité. La Police, qui a arrêté Tila en toute discrétion, propose donc un contrat à Taema : en acceptant de se substituer à Tila pour continuer à récolter des informations, elle pourrait contribuer à la diminution de la peine de sa sœur jumelle.

Aux côtés d’un séduisant flic lui-même infiltré, qui l’initie aux techniques d’espionnage et de combat, Taema se voit donc lancée dans une trépidante aventure. Des rebondissements qui pour le lecteur attentif ne parviennent pas toujours à masquer des incohérences qui auraient pu être évitées. Ainsi, par exemple, la victime de ce premier crime depuis plusieurs décennies n’est-elle rien d’autre qu’un tueur à gages (mais si, mais si !), la première coéquipière du policier a elle-même été assassinée (mais si, mais si !) et San Francisco est gangrénée par l’essor d’un véritable empire du crime nommé le Ratel. Un empire du crime dont on ne sait pas trop bien ce qu’il fait là dans la mesure où l’auteur précise que la pauvreté a été éradiquée et que les inégalités sont à tel point mineures que les quelques personnalités très riches font profil bas – on ne saura donc jamais quels crimes les membres de cet empire organisent, hormis de timides tentatives de remplacement du Zèle par le Verve, et une habitude manifestement bien ancrée de s’assassiner entre eux. Des rebondissements qui masquent également une faiblesse de la trame de fond, l’univers de ce San Francisco du futur n’étant décrit qu’à travers les lieux fréquentés par notre héroïne, sans arrière-plan historique ni politique, ni même topographique. Il en va de même avec les avancées scientifiques notamment les interfaces drogues/informatique, qui demeurent particulièrement floues, et la manière dont les aptitudes au rêve lucide de Taema et Tila peuvent s’inscrire dans ces avancées. Une telle minceur d’arrière-fond fragilise le roman – on est loin des véritables créations du futur façon Peter F. Hamilton.

Si quelques-uns des rebondissements scénaristiques – la manière dont l’héroïne est amenée à soupçonner un lien possible entre le Ratel et le Foyer n’est guère crédible, tout comme les révélations finales – apparaissent discutables, le roman possède aussi des qualités dans la mesure où le rythme du roman permet au lecteur de ne pas décrocher. La double narration, tour à tour par l’une et par l’autre des jumelles, tour à tour concernant le présent et le passé, fonctionne à plein et les éléments finissent par venir s’emboîter les uns dans les autres en un tout qui, on l’aura compris, s’appuie sur bien des fantasmes adolescents : devenir à la fois courtisane, agent secret, policière infiltrée, changer d’identité, avoir des pouvoirs biomécaniques non négligeables, en acquérir d’autres, se voir « augmentée » de gadgets à la James Bond, tout en faisant tandem avec un flic séduisant, quelle jeune fille ne rêverait pas d’un tel avenir ?

Deux héroïnes à la fois déterminées et touchantes, un soupçon de polar, d’utopie, de thriller façon James Bond, de cyberpunk à la Matrix, Laura Lam ratisse assez large. En résulte un roman tout autant à la portée des plus jeunes que des adultes, et qui, s’il relève ouvertement de la science-fiction, semble non moins ouvertement cibler en priorité les adolescentes friandes d’aventures. D’où l’hésitation sur le titre français, « False Heart » ayant été initialement baptisé « Cœurs mécaniques » avant de devenir « Cœurs artificiels », et la couverture française, tout d’abord typée très science-fiction, ayant été finalement remplacée par un visuel « girly », sinon même « bit lit ».

Titre : Cœurs artificiels (False Hearts, 2016)
Auteur : Laura Lam
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Benjamin Kuntzer
Couverture : Shutterstock
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 356
Format (en cm) : 24 x 15,2
Dépôt légal : août 2016
ISBN : 9782352949442
Prix : 20 €


Hilaire Alrune
7 octobre 2016


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