En choisissant de prolonger l’histoire du romancier américain décédé dans la plus absolue des détresses, Verne souhaitait évidemment rendre un hommage vibrant à un écrivain qu’il vénérait. Il donnait aussi une preuve de goût incontestable, même si le talent de Poe était déjà grandement reconnu en France depuis les traductions de Baudelaire.
Situation par ailleurs étrange, puisque Poe ne bénéficiait pas obligatoirement d’un tel statut, même après sa mort, dans son pays. On notera aussi, qu’aujourd’hui encore, de nombreux critiques anglo-saxons n’hésitent pas à proclamer que cet auteur doit beaucoup plus à la traduction française du brillant poète qu’aux qualités réelles de son propre style. Soit et halte aux débats de spécialistes !
Les éditions Omnibus ont eu l’excellente idée de publier ces deux romans en y adjoignant un appareil critique des plus complets.
Comme le souligne justement Claude Aziza dans sa préface, aucun des deux talents ne vient phagocyter ou perturber l’autre. Poe reste un écrivain fantastique totalement novateur alors que Verne crée du “réel” avec de l’imaginaire.
Le roman de Poe est du pur Poe, le roman de Verne est du Verne tout craché ! Le reste n’est qu’allusions, clins d’œil érudits, extrapolations et bouillonnements littéraires de l’un vers l’autre. Verne rend hommage, s’inspire, sans se renier une seconde. Et le tour de force est là. Réussir à saluer sans baisser stylistiquement le front une seule fois.
Outre le fait que le célèbre romancier français tente le pari difficile et risqué d’intégrer une histoire imaginaire issue d’un roman de Poe dans une œuvre de fiction qui va la prolonger,le postulat de départ étant que l’aventure de “l’autre” était en fait réelle, il y a tant de différences stylistiques dans le travail de ces deux auteurs que la démarche paraît encore plus incroyable.
Mais passons sur la réussite d’une entreprise littéraire qui ne connut pas un succès commercial d’envergure, « Le Sphinx des Glaces » fut même un relatif échec, pour revenir aux compléments forts utiles de la présente édition.
La préface de Claude Aziza résume brillamment le génie de la démarche “Vernienne” tout en présentant très sobrement et justement les spécificités révolutionnaires du style fantastique de Poe. La mise à disposition des textes analytiques de Baudelaire et de Verne sur Poe complètent idéalement le volume. Quant aux repères chronologiques et bibliographiques, ils viennent conclure en beauté un ouvrage remarquablement conçu.
Une fois de plus, Omnibus effectue un travail parfait qui classe cette collection irréprochable au rang des éditions dont on ne peut décemment se passer. Que vous ayez lu ces deux romans ou pas, que vous soyiez un amateur éclairé de Poe ou de Verne ou des deux auteurs, ce livre est pour vous.
Évidemment, les passionnés des littératures “Imaginaires” sauteront aussi sur l’occasion, c’est une évidence.
Titre : L’étrange Histoire de Arthur Gordon Pym
Auteurs : Edgar Allan Poe, Jules Verne
Ouvrage présenté et commenté par : Claude Aziza
Textes additifs, appareil critique : Baudelaire, Jules Verne, Claude Aziza
Couverture : Atelier Didier Thimonier
Documents : Collection Jonas/Kharpine-Tapabor
Éditions : Omnibus, 12, avenue d’Italie, 75013 Paris
Site Internet : http://www.omnibus.tm.fr
Dimensions (en cm) : 13 x 3 x 20
Pages : 992
Dépôt légal : octobre 2005
ISBN : 2-258-06954-8
EAN : 9 782258 069541
Prix : 23 €
