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Bienvenue à Night Vale
Joseph Fink et Jeffrey Cranor
Bragelonne, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique surréaliste, 379 pages, mars 2016, 17,90€

D’abord podcast puis pièce de théâtre, l’univers déjanté de « Welcome to Night Vale » n’en finit pas de se décliner : le roman, certes, mais aussi le « merchandising » habituel des univers à la mode : posters, badges, chemises, t-shirts, chaussettes, bonnets, mugs, et autres gadgets aux motifs et couleurs de Night Vale sont disponibles sur le marché. Le fan art lui-même s’en empare. Mais qu’est donc cette ville de Night Vale ? Une petite ville comme il en existe bien d’autres, avec son hôtel de ville, son bowling, sa salle de jeux, son restaurant, son supermarché et sa station de radio locale. Ordinaire ? Pas tout à fait. À Night Vale, il se passe des choses étranges. Vraiment très étranges.



« Après tout, et je m’exprime là en tant qu’assistant chercheur venu pour ce qui devrait être, en théorie, une courte collaboration avec l’université municipale de Pacotille, Night Vale est majoritairement constituée d’inexplicable. »

Jackie Fierro tient le mont-de-piété de Night Vale. Elle a dix-neuf ans, et ceci depuis de nombreuses, très nombreuses années. Diane est gestionnaire de bases de données dans une entreprise de la ville. Elle a un fils, Josh, un adolescent qui change sans cesse d’aspect : poils, plumes, fourrure, griffes, tentacules. Normal. Non, ce qui l’inquiète vraiment, c’est qu’elle avait un collège du bureau, Evan, qui a subitement disparu. Et dont ni Dawn ni Catharine, ses autres collègues, n’ont conservé le moindre souvenir.

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« L’étrangeté n’est jamais bien loin. Il y a des monstres, des vrais. La plupart des villes n’ont pas de monstres au sens premier du terme, mais la nôtre, si. »

Ce qui est étrange dans « Bienvenue à Night Vale », c’est son étrangeté même. Parce que ce qui est étrange dans un ouvrage classique de genre – les anges, les monstres ou les enlèvements par des extra-terrestres – est ici si banal que cela n’apparaît qu’en toile de fond, comme une sorte de décor, de routine. L’étrangeté est ici plus singulière. Il y a, par exemple, cet homme avec une veste de cuir fauve et une mallette en daim qui n’en finit pas de se dérober, de se défiler, de s’enfuir. Il y a ce restaurant où l’on sert des tartes invisibles. Il y a cette police qui du jour au lendemain lse volatilise, pour réapparaître sous forme d’une paradoxalement ostensible « police secrète » avec sarbacanes et logos bien visibles. À Night Vale, des lumières inexplicables circulent et changent de couleur dès que l’on essaye de les décrire, comme pour faire mentir ceux qui voudraient en parler. La radio y diffuse des « points de circulation » complètement délirants. On y trouve un Parc d’Attractions du Maïs Imaginaire et l’on peut s’y abonner à une gazette imaginaire – mais en la payant réellement. Mais faut-il s’en étonner, alors que la brochure de l’Office du Tourisme proclame elle-même que Night Vale est “Une ville regorgeant de maux occultes et de personnes malveillantes cachant bien leur jeu” ?

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« Un vendeur de voitures d’occasion sautait de toit en toit en poussant des cris de joie animale. »

L’étrangeté de « Bienvenue à Night Vale » est d’autant plus notable que le ton est froid, neutre, presque clinique, et que l’écriture y est, sans doute volontairement, sobre et dépouillée. On est donc dans la relation factuelle, ce qui augmente l’impression surréaliste, ou de décalage, et démarque « Bienvenue à Night Vale » de récits ouvertement hallucinés comme, par exemple, « John meurt à la fin » de David Wong. De fait, il apparaît difficile de trouver un auteur ou un roman comparable, même si l’on peut par moments penser, et notamment par le terrifiant chapitre dans la bibliothèque municipale vue comme un lieu froid et hostile ( “diverses salles de lecture destinées à la lecture, des salles de réunion, de communion et de saignée, une autre forme de communion” ) à l’humour imagé d’un Jasper Fforde.

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« La science-fiction subissait bien moins la censure que les autres ouvrages parce qu’elle avait plutôt tendance à traiter d’un quotidien que tout le monde connaissait déjà. »

Si « Bienvenue à Night Vale » peut apparaître dans sa première partie gratuitement saugrenu, si le lecteur peut être un moment amené à se demander si Joseph Fink et Jeffrey Cranor ne se sont pas laissés aller à quelque improvisation alcoolisée ou cannabique, le roman prend véritablement forme dans sa seconde moitié où les éléments disparates trouvent cohérence et finissent par dessiner une autre ville, King City, une ville dont il ne faut pas parler et à laquelle les routes refusent de mener. Qui peut être est un reflet de Night Vale, chacune de ces deux villes étant pareillement étrange pour l’autre, et qui pourrait se situer dans un temps différent. C’est donc dans une quête étrange – tous les documents relatifs à cette ville étant dans une section interdite de la bibliothèque municipale – que se lancent Diane et Jackie. Une quête difficile dans un monde où les téléphones mettent le feu aux cheveux ou déclenchent des hémorragies lorsque l’on appelle des gens que l’on ne devrait pas appeler, et où des flamants roses provoquent de bien étranges dérives temporelles.

«  Bienvenue à Night Vale » est donc une curiosité, l’équivalent romanesque de ces ovnis qui à Night Vale n’ont rien que de très habituel. Un univers qui possède sa petite musique propre, une bizarrerie très « zarbi » qui s’éloigne ouvertement des schémas répétitifs et des poncifs du genre. Et qui donne envie d’en savoir plus sur l’univers étrangement décalé de Night Vale, ce que l’on pourra faire en en écoutant les podcasts originaux en anglais ou leur déclinaison en français dans un village français

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Titre : Bienvenue à Night Vale (Welcome to Night Vale, 2015)
Auteurs : Joseph Fink et Jeffrey Cranor
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Claire Kreutzberger
Couverture : Rob Wilson
Éditeur : Bragelonne
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 379
Format (en cm) : 14 x 21,5
Dépôt légal : mars 2016
ISBN : 9782352949350
Prix : 17,90 €



Hilaire Alrune
17 avril 2016


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