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Joyland
Stephen King
Le Livre de Poche, n° 34028, traduit de l’anglais (États-Unis), fantastique, 399 pages, février 2016, 7,30€

À quoi pouvaient bien ressembler les parcs d’attraction avant le règne de l’empire Disney et de ses avatars, avant l’avènement et la mondialisation du divertissement aseptisé, standardisé, sécurisé, inoffensif, et pourtant apprécié de tous ? Plus encore que dans les livres d’histoire, la réponse est peut-être à chercher au rayon de la littérature fantastique dont les auteurs, semble-t-il, n’en finissent pas d’être inspirés par ce thème. Freaks, clowns, cirque, magie et spectacles divers apparaissent à la fois comme une mine d’inspiration inépuisable et comme les composantes d’un univers qui n’a sans doute pas fini d’exercer une fascination durable. Que Stephen King, à son tour, consacre à ce monde un roman entier fait donc partie de l’ordre des choses.



La Californie, en 1973. Devin Jones trouve un job d’été à Joyland, un parc d’attractions à l’ancienne. Étudiant amoureux fou de sa petite amie Wendy, qu’il doit rejoindre sur le campus dès la reprise des cours, il trouve à se loger à Heaven’s Bay, à quelques kilomètres du parc, dans la pension d’une vieille dame adorable. De là, il peut gagner chaque matin le parc d’attractions en marchant le long de la plage Rapidement, il se lie avec deux autres étudiants, la rousse Erin et Tom, et l’entente avec les forains est elle aussi parfaite. Le travail est épuisant – surtout lorsque l’on frôle, plusieurs fois par jour, le coup de chaleur sous le lourd déguisement d’Howie le Chien Gentil – mais aussi plaisant, et Devin Jones apprécie pleinement tout ce bonheur qu’il offre sans se ménager aux enfants.

« Il ressemblait à un gars qui vient de subir un lavement de réalité, un lavement qui l’a purgé de toute sa belle insouciance de jeune-étudiant-saisonnier-en-parc-d’attractions-pour-l’été. »

En somme, tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Mais c’est aussi trop beau pour durer. Peu à peu, Devin Jones perd le contact avec Wendy. Il ne veut pas l’admettre, mais il comprend qu’à son corps défendant leur idylle est finie, qu’il existe, sans doute, un autre garçon, et qu’il ne la retrouvera jamais. Dans le même temps, il fait la connaissance au bord de la plage d’un enfant malade, devient son ami, et parvient peu à peu à se faire apprécier de la jeune mère de l’enfant. Mais celui-ci n’est pas seulement en convalescence : condamné, déjà plus mûr qu’un adulte, il attend la mort en essayant de profiter au maximum du temps qui lui reste à vivre. Et il semble plus doué encore que Rozzie Gold, alias madame Fortuna, la diseuse de bonne aventure de Joyland, pour prédire l’avenir. Un avenir qui n’est pas sans relation avec le passé : une jeune femme égorgée bien des années auparavant dans un wagonnet traversant la Maison de l’Horreur, une attraction du parc, et dont l’assassin court toujours. Une jeune fille dont le fantôme hanterait encore les lieux, et que lors d’une visite, à sa grande épouvante, Tom aperçoit à son tour.

« C’était une sorte de conviction viscérale, que s’ils ne commençaient pas à faire certaines dernières choses, la vie continuerait à suivre son cours normalement : les smoothies du matin sur la dune, les soirées cerf-volant sur la plage, tout ça dans l’illusion d’un été sans fin. »

Ce fantôme, cette affaire qui n’a jamais été élucidée se mettent à hanter Devin Jones. Lorsque vient la fin de l’été, il prend une décision étrange : ne pas regagner la faculté l’année même, où, sans Wendy, il ne trouvera que des mauvais souvenirs, et passer l’année entière à Joyland. Une décision qui scellera plus d’un destin.

Nous n’en dirons pas plus sur l’intrigue de « Joyland  » qui, développée sur un format relativement court pour l’auteur (un peu plus de trois cents pages en grand format, un peu moins de quatre cents en édition de poche), apparaît parfaitement harmonieux. Dépourvu de ces parenthèses narratives trop longues qui déséquilibraient plus d’un roman de King, « Joyland  » mélange, avec un juste sens de la mesure, les ingrédients, d’un thriller, d’un conte fantastique et d’un récit d’apprentissage.

Comme dans d’autres œuvres de l’auteur, l’argument fantastique est classique mais modeste, discret, distillé par petites touches, et demeure souvent à l’arrière-plan. Prétexte à la description à la fois d’un monde et de la maturation des trois étudiants gagnant peu à peu l’âge adulte, mais sans pour autant devenir secondaire, cette touche fantastique s’intègre parfaitement au récit.

Certes on sent dans « Joyland  » quelques ficelles, certes on voit arriver le gamin malade comme le « tire-larmes » de l’histoire, certes on pourra deviner les fausses pistes qui ne mèneront pas à l’assassin, ou encore anticiper le dénouement très cinématographique dans la « Carolina Spin », la grande roue, par une nuit d’orage. Il n’empêche : l’art de King est bel et bien présent. C’est ainsi, par exemple, qu’il parvient à merveille à rendre le mélange d’euphorie et d’angoisse avec lequel Devin Jones découvre les attractions en passant d’un poste à l’autre, d’une attraction à l’autre, une sorte de tourbillon et d’ivresse des toutes premières journées. C’est avec sensibilité qu’il dessine les relations complexes entre Devin, l’enfant malade et sa mère. C’est avec un sens du réalisme consommé qu’il fait apparaître et vivre les personnages et qu’il brosse les tableaux des forains, notamment du vieux propriétaire Bradley Easterbook.

Le palais des miroirs, la grande roue (que les forains nomment « le monte-charge », quand ils ne l’appellent pas le « monte-crétins »), les stands de tir, la diseuse de bonne aventure, les autres attractions, le mélange des composantes artificielles, mercantiles, mais aussi très humaines, l’obsession d’arnaquer un peu mais aussi de vendre réellement du bonheur, la tendresse que les forains éprouvent pour les « lapins » ou même les « ploucs » que sont leurs clients, tout ceci se dessine à merveille sous les yeux du lecteur. Autant de qualités qui font de « Joyland  » un roman estimable, même si, dans un registre légèrement différent, il n’atteint pas le niveau de cette référence difficilement égalable qu’est « La foire des Ténèbres « de Ray Bradbury.

Titre : Joyland (Joyland, 2013)
Auteur : Stephen King
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Nadine Gassie et Océane Bies
Couverture : Jade Watts
Éditeur : Le Livre de Poche (édition originale : Albin Michel, 2014)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 34028
Pages : 399
Format (en cm) : 11 x 17,7
Dépôt légal : février 2016
ISBN : 9782253183969
Prix : 7,30 €


Stephen King / Richard Bachman sur la Yozone :

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- « Colorado Kid »
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Hilaire Alrune
15 février 2016


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