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Justiciers, histoires vraies
Bruno Fuligni
Sonatine & Perrin, roman (France), cours d’histoire criminelle, 300 pages, octobre 2015, 22€

Le jeune Antoine rejoint Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, dans la banlieue lyonnaise, et son École Nationale Supérieure de la Police. Comme une poignée d’aspirants commissaires, il a fait l’impasse sur le sport pour lui préférer un cours de criminalistique, enseignée par un vieux professeur, Joannon. Au travers de vingt cours magistraux, depuis l’Antiquité mais surtout à compter de la Renaissance, il revient sur vingt affaires qui dissèquent les criminels et leur psychologie.
En parallèle, un crime est commis dans l’École : une jeune homme, extérieur à l’établissement, a été atrocement découpé en morceaux...



Le cours dispensé par Joannon fait la part belle aux travaux de Lacassagne et Locard. Loin des thèses génétiques de l’école de Milan (dont on parlait récemment dans « Celle qui sentait venir l’orage », d’Yves Grevet) qu’ils cherchent à démonter, ils insistent sur le rôle de l’environnement social dans la naissance des criminels.
Après un cours introductif sur la Grèce Antique, histoire de séparer les criminels entre les érostratiques (qui veulent gagner la renommée, au-delà de leur mort) et les autres, les discrets, on saute au XVIe siècle (histoire d’avoir de la documentation) pour 19 cas qui défrayèrent la chronique en leur temps ou, au contraire, passèrent à la trappe avant d’être exhumés par de tatillons enquêtes plus tard.

« Justiciers » passerait presque pour un recueil d’articles, tant on se rapproche de la réalité. Et du coup, le roman en pâtit. S’il faut reconnaître à Bruno Fuligni un monumental travail de recherche, le rendu est bancal. La narration autour du groupe d’aspirants commissaires est famélique, au point que le crime qui survient passe presque à la trappe. Il faudra que les soupçons se resserrent pour qu’on y trouve plus qu’un habillage digne du fil rouge sentimental qui relie les épisodes des « Experts ».

Les cours magistraux de Joannon, quant à eux, commencent comme une conversation avant de basculer sur le ton du monologue.
Si les chapitres sont ainsi très agréables à lire, et les cours assez peu professoraux, la mise en forme du texte, réduite à son minimum, entretient un flou parfois gênant quant au(x) destinataire(s) de ces mots. Occasionnellement Joannon s’adresse à un étudiants, sans que typologiquement rien, pas même un saut de ligne, ne vienne interrompre son récit.
(Je tiens ici à préciser que j’ai lu les épreuves du roman, par ailleurs très riches en coquilles, et non la version finale, que je n’ai depuis pas eu l’occasion de compulser en librairie.)

Et pourtant... C’est peut-être ce flou qui rend le livre captivant. Des histoires vraies historiques, donc un peu plus intéressantes que celles de Pierre Bellemare, mais racontées sur le même ton, celui de l’oralité, qui doit retenir l’attention et non pas noyer sous les détails superflus. Avec une curiosité (peut-être morbide) on se délecte de ces (ses ?) affaires, les unes après les autres. Le récit-cadre, qui avance lentement, nous pousse aussi en avant, titillant notre avidité, notre empressement à savoir le fin mot de tout cela. La dernière affaire est bien évidemment l’occasion de boucler la boucle, entre criminels de génie qui passeront à la postérité et enquêteurs tentés par une justice plus expéditive, un piège contre lequel le groupe aura été mis en garde le semestre durant.

Ma lecture achevée, je ne sais que penser. J’aurai dévoré ce bouquin, notamment grâce à ce découpage en cours / épisodes / nouvelles, qui nécessite beaucoup moins d’attention qu’un roman. L’aspect historique des histoires, qui m’avait attiré, donne entière satisfaction, et pour quiconque ne se contentera de la très bonne synthèse que Joannon/Fuligni fait de chaque cas, une bibliographie est là pour approfondir. Le récit-cadre, certes un peu léger, remplit son office. L’analyse psychologique de chaque cas, tout aussi lisible de l’enquête, pousse à s’interroger sur la part de criminel et de justicier en soi. Car tout est affaire de passions, assouvies ou non.

Vous allez dire que je suis tatillon, mais c’est finalement la composition rédactionnelle qui m’ennuie, cette absence de transition entre le récit-cadre et les cours magistraux, de guillemets un rien formels (parce que ça sert quand même à cela, savoir qui parle, ce qui relève de l’incise...). Bref, ce qui passerait très bien par l’image, comme une série TV, fait un peu brouillon au niveau du texte.
Et pourtant, je l’ai dévoré. Une grosse part de curiosité, de page-turning, et une pointe d’envie d’en finir vite ?

La coédition Sonatine, au catalogue d’excellents romans noirs, et Perrin, chez qui l’Histoire a ses marques, se comprend d’autant mieux à la lecture de cet objet littéraire hybride, qui titille donc la narration télévisuelle et réussit plutôt bien à concilier Histoire et polar.


Titre : Justiciers
Auteur : Bruno Fuligni
Couverture : ?
Éditeur : coédition Sonatine & Perrin
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 300
Format (en cm) : 22 x 14 x2
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 9782355843662
Prix : 22 €



Nicolas Soffray
15 janvier 2016


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