Hideo est employé dans une aciérie. La vie autour des hauts-fourneaux est des plus rudes, mais le jeune homme s’y est habitué. Son voisin, Tominaga, travaille dans la même usine et pour arrondir les fins de mois, il accepte régulièrement les quarts nocturnes. Ayant un petit garçon, il demande alors à Hideo de bien vouloir le surveiller en attendant son retour. Tominaga surnomme Hideo l’intello, car ce dernier garde toujours un livre sur lui. C’est ainsi qu’Hideo est devenu la nounou de Yuta, lui lisant ce qu’il avait en poche. Les soirs se suivent et Tominaga est toujours volontaire. Tout une semaine, il passe ses nuits à l’aciérie, ne revenant que tôt le matin pour libérer Hideo. Mais un jour, Tominaga ne rentre pas. Inquiet, Hideo cherche partout où son ami aurait bien pu aller après le travail. Difficile d’imaginer ce père aimant abandonner son fils. Mais très vite, Hideo semble comprendre la terrible vérité en apprenant que la dernière fois que quelqu’un l’a vu, Tominaga partait surveiller la coulée d’acier liquide.
C’est après le 11 mars 2011, date du terrible séisme qui secoua le Japon et une partie du Pacifique, que Takashi Murakami accepta de travailler sur le thème de la famille pour le magazine Big Comic Superior. Il s’était fait connaitre avec “Le Chien gardien d’étoiles”, retraçant la triste destinée d’un homme et de son chien. Avec “L’Oiseau bleu”, le mangaka s’attaque à un sujet particulièrement difficile : la perte d’un être cher. Le mangaka va décliner son sujet sous trois angles, trois histoires tragiques à travers lesquelles Takashi Murakami cherchera toujours à trouver un élément d’espoir, aussi fin et désespéré soit cet espoir.
La première histoire évoque la terrible perte qu’est celle d’un enfant. Mais Takashi Murakami n’arrêtera pas là le calvaire de son héroïne. La pauvre Yuki va devoir également faire face aux épreuves qu’impose un proche dans le coma puis dans un éveil végétatif. Ce sera un banal accident de la route qui détruira la vie de Yuki : elle y perdra son fils de cinq ans et verra son mari tomber dans le coma. La jeune femme va devoir dans un premier temps accepter la perte de son enfant. Takashi Murakami nous décrit, sans faire dans le larmoyant, le parcours d’une femme courage, qui devra par elle-même trouver la force de reprendre gout à la vie, sans pouvoir se raccrocher à qui que ce soit, ses parents étant décédés et son beau-père souffrant d’Alzheimer. Yuki sera à deux doigts de baisser les bras quand Naoki se réveille. Mais cette fois, la jeune femme va découvrir le chemin de croix des familles de personnes en éveil végétatif. Ces patients n’ont plus vraiment besoin de suivis médicaux et les hôpitaux se débarrassent d’eux comme d’un patate chaude bloquant un lit. L’épreuve que subit la jeune femme est retranscrite avec finesse et beaucoup de retenu par le mangaka qui souhaite ouvrir les yeux de tous sur les sacrifices que demandent de tels malades. Yuki est l’épouse exemplaire, dévouée, qui craquera inévitablement à certains moments mais qui ne perdra jamais espoir.
La deuxième histoire nous ramène dans le passé, celui d’Hideo, le beau-père de Yuki. Ce personnage est en fait le fil rouge de ce one-shot. Dans ce récit, ce sera la perte d’un père qui sera évoquée. Pour Hideo, ce sera la perte d’un ami, une perte d’autant plus terrible que le corps de ce dernier ne sera jamais retrouvé. Derrière cette mort, c’est également l’histoire du petit Yuta, qui deviendra orphelin. Le mangaka nous raconte la disparition de cet homme à travers le témoignage de Hideo. En second plan et pourtant bien présent, c’est un enfant courage qui nous est présenté, le petit Yuta qui doit faire face seul à la perte de son unique parent.
La dernière histoire sort réellement de l’ordinaire. Elle nous évoque la maladie d’Alzheimer à travers un malade : Hideo. Le lecteur voit la maladie se développer peu à peu chez le personnage, qui subit d’abord de petites pertes de mémoires et bientôt, ce dernier ne reconnaîtra plus ses proches. Le mangaka nous montre aussi le courage de son épouse qui l’accompagnera jusqu’à la fin. La description de l’énorme complexité qu’est la surveillance d’un malade souffrant d’Alzheimer est parfaitement décrite par Takashi Murakami. Le mangaka ne cache rien de cette réalité, montrant la pression que cela met sur les épaules des conjoints qui doivent être toujours vigilants, une pression qui finit par être impossible à assumer seul. Ici, ce sera le médecin d’Hideo qui servira de soupape de sécurité pour son épouse, une nouvelle fois une femme courage. Malheureusement, la maladie d’Alzheimer est sans pitié et il n’y aura pas de miracle, le mangaka jouant plutôt sur des effets de style pour montrer la déclinaison inéluctable d’Hideo qui sera accélérée par la perte de son petit fils adoré et le coma de son fils. Un choc dont le vieil homme ne se remettra pas.
Réaliste dans le premier sens du terme, “L’Oiseau bleu” s’avère un manga très dur car abordant des sujets difficiles mais malheureusement extrêmement concrets et pouvant toucher n’importe qui. Le talent de Takashi Murakami se situe dans sa capacité à évoquer d’une belle façon ces sujets, sans tomber dans le misérabilisme ni dans l’héroïsme exagéré. Ce ne sont que des personnes comme vous et moi, peut-être plus fortes moralement que beaucoup d’autres mais qui sont en fait les héros du quotidien, héros invisibles dont le courage est trop souvent ignoré.
L’Oiseau Bleu
Auteur : Takashi Murakami
Traducteur : Thibaud Desbief
Éditeur français : Ki-oon
Format : 170 x 240, noir et blanc - sens de lecture original
Pagination : 224 pages
Date de parution : 12 novembre 2015
Numéro ISBN : 978-2-35592-885-7
Prix : 15 €
AOI TORI -WAKURABA- © 2014 Takashi MURAKAMI / SHOGAKUKAN
© Edition Ki-oon - Tous droits réservés