“Terreurs nocturnes” de Frédéric Czilinder répond dès l’entame à nos attentes. Des parents qui se réveillent en pleine nuit car leur bébé pleure, rien de plus normal, jusqu’à ce que le père s’empare d’une arme pour se rendre chez leur progéniture. D’emblée le lecteur est déstabilisé, se demandant ce qui l’attend et il n’est pas au bout de ses surprises. L’auteur apporte aussi une explication au phénomène, ce qui bonifie l’ensemble. Très bon démarrage !
Stéphane Croenne a imaginé un prédateur à l’homme. Il n’est pas facile de situer “Petit moment de faiblesse”, de saisir le contexte (futur ? lointain passé ?...) mais il distille un certain malaise, car dans la chaîne alimentaire, l’homme a pris la place des animaux. Aucune intelligence ne lui est prêtée. Un retournement de situation bien vu et qui prouve que sans grands effets, l’étrangeté peut suggérer l’épouvante.
Luce Basseterre nous présente sa version de “La maison fantôme”. Un chantier maudit, de nombreuses disparitions, un architecte fou... Il manque l’idée choc, le petit quelque chose qui marque l’esprit et qui nous rappelle le fil de l’histoire rien qu’à la lecture du titre.
“Royal Circus” pour Alexandra Jacquet qui mène son récit sur deux fronts : un homme seul que sa femme a quitté et une représentation spéciale d’un cirque. Bien sûr, les deux ont un lien qui nous est révélé à la fin. Malheureusement, c’est là que l’ensemble ne fonctionne pas. Que le couple ait oublié peut encore passer, mais ils ne sont pas les uniques parents dans ce cas. Et quid de l’école d’un coup déserte, et autres services sociaux ?
Philippe Goaz nous gratifie d’une belle nouvelle. Il insuffle à “Centenaires” une douce folie avec ces Poilus de la Grande Guerre sortant de terre pour se rendre en permission à Paris. Il évite avec brio l’erreur d’en faire des ennemis à abattre à tout prix ; ici, on se souvient de leur sacrifice et on cherche à épargner tout le monde. Sujet traité avec originalité, intelligence, ainsi qu’un humour bienvenu. Très belle surprise !
“L’émissaire du chaos” est affligé d’une étrange malédiction. C’est l’hécatombe autour de lui, il a beau faire, le sort s’acharne. Effrayant destin que nous révèle Sylvain Boïdo. Comment réagir quand on comprend ce qu’il se passe, comment se détourner de ses semblables ? Le lecteur espère avec le personnage, mais la réalité s’avère terrible. Bien maîtrisé et prenant tout du long.
Marc a invité son amante Adeline au cinéma. Il remarque un drôle de phénomène quand les gens se rendent aux toilettes avant “La séance”. L’idée est simple mais efficace, d’autant que Daniel Morellon use du bon ton avec Marc, un homme désabusé qui nous fait partager ses réflexions.
Thomas Baronheid fait aussi dans la simplicité avec son concept de base : un jouet d’enfant qui exerce un drôle d’effet sur ceux qui posent les questions. Si dans le cas précédent, l’auteur a su trouver l’angle pour nous séduire, tel n’est ici pas le cas. Le couple qui se déchire au sujet de “La boule magique” peine à nous atteindre. Dommage !
Antoine Secondi se plaît à jouer avec la réalité. Dans “En réalités, je vous le dis...” elle est plurielle. Kurtz croit que cette nuance peut le décharger de ses responsabilités dans un meurtre, qu’il peut échapper à son sort dans un univers virtuel, mais attention au retour de manivelle ! C’est subtil, bien sûr dickien, car le tissu du réel est malmené.
“Le chemin de croix” nous immerge dans les arts et plus particulièrement dans la peinture avec une toile de Francesco Baldosa qui fascine Gabrio. Cet artiste en est littéralement obsédé, elle l’inspire et sa carrière prend son essor. Cyril Carau réussit parfaitement à rendre son texte crédible, à faire vrai. Le sujet s’avère fascinant et très bien maîtrisé.
À la retraite forcée, Cornaline dirigeait auparavant un laboratoire dans la recherche sur les embryons. Son traitement anti vieillesse a cessé et ses joies sont rares. Le cadre SF prend nettement le pas sur le thème de cette anthologie. De plus, ce qui arrive à Cornaline semble gratuit, les raisons évoquées m’ont laissé pensif. “Ectogénèse” d’Élodie Beaussart ne m’a guère convaincu.
“Cuistot Max” œuvre dans la parodie. Les émissions culinaires sont mises sur le grill. Un petit génie de la cuisine est détecté puis exploité. Barnett Chevin se moque de cette mode sur laquelle de nombreuses chaînes télévisées surfent. Il dénonce cette surenchère avec humour, le dérapage s’effectue tout en douceur. Bien sûr, toutes ressemblances avec des personnes réelles seraient purement fortuites ! Un bon moment de lecture !
“L’enfer du chocolat mou” s’avère aussi une belle réussite. Rien que le titre recèle son lot de mystère. Il s’agit d’un marais surnommé ainsi par deux jeunes filles qui aimaient y jouer. Devenues adultes, les deux se sont perdues de vue jusqu’à ce que celle restée sur place demande à l’autre de la retrouver. Julie Subirana ne cesse d’enfoncer les lecteurs dans la vase de cet enfer. Il est vorace, ne se contente pas des seules chaussures, il lui faut tout ! La nouvelle est prenante et maîtrisée tout du long. Bravo !
Thomas Spok s’intéresse à une page d’Histoire, car il met en scène l’empereur Auguste et Virgile sur son lit de mort. C’est érudit et il inscrit “Les voix de Rome” dans les failles historiques. Court et dense.
“La solitude du malade imaginaire” souffre un peu du même défaut que “Ectogénèse”. J’avoue ne pas tout avoir compris. L’astuce de l’implant rétinien ayant laissé passer une attaque d’un biohacker sur le cerveau d’un employé m’a échappé pour ne pas dire largué du récit. Denis Roditi aurait très bien pu se contenter du burn out pour argumenter la suite, mais il mélange un peu tout. Rester plus simple en conservant un contexte actuel aurait permis plus d’efficacité, plus d’empathie avec chacun de nous. Au lieu de ça, il nous garde à distance.
“Paul et moi” illustre la relation conflictuelle entre un homme et son beau-père. Le début s’avère sanglant, dans le genre « Massacre à la tronçonneuse », le beau-père en fait les frais, mais son gendre a ses raisons. Plutôt bonnes d’ailleurs ! Intrigant n’est-ce pas ? Alexandre Ratel signe là un récit de zombies, ils font partie du décor et, en-dehors de ce désagrément, la population vit normalement, subissant même des interventions de police quand la vitesse limitée est dépassée. L’auteur s’enflamme un peu, mais l’ensemble tient la route et le résultat est sympathique.
“Les nouvelles ne sont pas bonnes” joue aussi dans le registre des zombies, mais la menace est bien plus sérieuse. Les survivants sont rares. Avant de mourir, un homme veut retrouver la maison où il a grandi, mais le chemin pour s’y rendre est long et la menace rôde partout. William Lucas nous plonge dans une société dévastée et réussit avec brio à rendre les apparences trompeuses. Une première publication prometteuse !
Frédéric Livyns clôture cette anthologie en beauté. “Derrière les murs” permet la rencontre entre un groupe de collégiens voilà longtemps disparus et un couple de jeunes gens pratiquant l’exploration urbaine et visitant de nuit le bâtiment scolaire autrefois ravagé par un incendie.
Ce texte séduit par les deux ambiances proposées : les trois amis qui d’un coup luttent contre l’inconnu et la femme qui voit d’un mauvais œil les lubies de son compagnon. L’atmosphère lourde est contrebalancée par la fraîcheur enfantine. La touche de fantastique est mince, mais autorise une belle conclusion.
En bon anthologiste, Yves-Daniel Crouzet a débuté et fini par des textes forts. Il a su noyer les nouvelles, à mon sens, plus faibles, au milieu des autres en les ordonnant intelligemment.
Les inspirations sont nombreuses et certaines se recoupent avec plus ou moins de bonheur : les zombies, les maisons hantées, la science-fiction... L’ensemble s’avère d’un bon niveau et laisse peut-être plus un sentiment d’homogénéité que le premier volet. L’exploration de l’étrange, peut-être plus que l’épouvante, est au rendez-vous. Quelques auteurs nous ont assené de belles claques, ce que l’on attend toujours lors de telles lectures.
Dans son introduction, Yves-Daniel Crouzet se demande s’il y aura un numéro 3. Après lecture de « Moisson d’épouvante 2 », on ne peut que l’espérer, mais les voies de l’épouvante sont impénétrables...
Titre : Moisson d’épouvante 2
Anthologiste : Yves-Daniel Crouzet
Couverture : © Martin Hanford
Éditeur : Dreampress.com
Site Internet : Anthologie (site éditeur)
Pages : 270
Format (en cm) : 14,8 x 20,8
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 978-2-84958-016-5
Prix : 15 €
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