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Été de l’infini (L’)
Christopher Priest
Le Bélial’, Kvasar, nouvelles, essai et entretiens traduits de l’anglais (Grande-Bretagne), science-fiction, 492 pages, septembre 2015, 25€

Christopher Priest est un auteur assez discret. La bibliographie exemplaire d’Alain Sprauel nous montre qu’il a écrit bien peu de nouvelles, même pas une cinquantaine en une quarantaine d’années, et qu’il a quinze romans à son actif. Pourtant, son nom représente pour les lecteurs un gage d’exigence. Lire Christopher Priest se révèle toujours une expérience enrichissante.
« L’été de l’infini » s’avère bien plus qu’un simple recueil, il s’apparente à un best of balayant la carrière de l’auteur à travers douze nouvelles, un entretien fleuve dont les deux parties sont distantes de dix années et d’un essai sur son expérience autour de l’adaptation au cinéma de son roman « Le prestige ». Pour être complet, Xavier Mauméjean signe une préface érudite sur l’écrivain, mais il est dommage qu’il en dévoile beaucoup sur chaque texte.



L’Angleterre, la fin de l’ère victorienne, la seconde guerre mondiale, le temps, la magie, autant de thèmes omniprésents tout au long des nouvelles au sommaire, dont quatre sont inédites.
“Le baron” et “Les effets du deuil” appartiennent au monde de la magie, de la prestidigitation. Si la première est assez basique et n’apporte pas grand-chose, la seconde est bien plus intéressante et lorgne du côté du fantastique. Une veuve vivant dans une demeure à l’allure abandonnée est toujours à la recherche de parformances !
D’ailleurs, “La tête et la main” relève aussi du monde du spectacle. Pour l’occasion, il s’agit d’un final grandiose qui montre cette soif inextinguible de se produire en public, d’aller toujours plus loin pour captiver les gens. Cette nouvelle dégage toujours la même impression de malaise face aux extrémités atteintes. Du grand art !
“La femme dénudée” prend la direction opposée. Cette mise en avant n’est pas désirée, mais imposée pour les femmes ayant commis l’adultère. Dès qu’elles sortent de chez elles, elles sont obligées de se promener nues pour exposer à la face du monde leur condition. Là également règne un certain malaise, d’autant que l’auteur sait très bien l’exposer avec toute l’humiliation qui va de pair.

Christopher Priest aime aussi mettre à mal la temporalité, il se plaît à jouer avec, à ouvrir les portes du temps, ce qui fait toujours tourner les méninges et offre bien des développements. Souvent l’Angleterre, le début du 20e siècle et le blitz se retrouvent au centre de ces nouvelles.
“L’été de l’infini” en est un exemple parfait. Alors qu’en 1903, Thomas allait déclarer sa flamme à Charlotte au bord d’une petite rivière proche de Londres, la scène a été figée dans le temps. Il est sorti de son état peu avant la seconde guerre mondiale et, depuis, il attend que sa belle en sorte également. Sur fond de blitz, d’avion se crashant, les lecteurs partagent son histoire, ainsi que la compréhension du phénomène. Magistral !
“Haruspice” que « Bifrost » a publié dans son numéro 41 sous le titre “Haruspex” se déroule peu avant la deuxième guerre. Monsieur Owsley officie dans son manoir, plus précisément dans un petit réduit dans lequel il combat des monstruosités qui veulent atteindre la surface. La méthode est des plus infâmes ! Un avion de la Luftwaffe, une incongruité alors que la paix règne toujours, est sur le point de s’écraser dans sa propriété. Il est figé dans une bulle temporelle, plus ou moins éloignée de l’issue fatale suivant les progrès de l’haruspice dans sa mission. Dans le cockpit, quelqu’un lui fait signe... L’écrivain nous époustoufle par sa maîtrise du récit, ainsi que par son ambition loin de se limiter à un seul champ. Lovecraft se rappelle à nous, la causalité est malmenée, le temps est distordu...
L’entame de “Errant solitaire et pâle” est trompeur. Le lecteur imagine une sortie en train pour un pique-nique autour de 1900, avant de saisir sa méprise à la présentation des trois ponts enjambant le Canal du Flux. Pendant longtemps, la joie des enfants de la famille pour cette journée nous fait passer à côté de la surprise, d’autant que cette joie est communicative. Quand Mykle exécute un geste inconsidéré et aux conséquences inattendues, le récit prend un tour très enlevé. Commence alors un jeu de saute-mouton avec le temps, motivé par une jeune fille dont Mykle s’entiche. Ce dernier point n’a pas fini d’alimenter notre curiosité, car qu’est-ce qui l’a vraiment entraîné ? Cette nouvelle aux allures rétro-futuristes s’avère un régal par son inventivité.

Dans “Le monde du temps réel”, titre ambigu, une équipe scientifique vit dans un observatoire dans l’espace. Les rapports de la planète mère sont rares et très espacés dans le temps, aussi les rumeurs vont-elles bon train. Un non scientifique est justement chargé d’enquêter sur le comportement de tout un chacun et sur l’évolution du groupe. Christopher Priest cherche ici à nous faire perdre nos repères. La fin est symptomatique avec le personnage principal qui ne sait qui croire : l’intuition du groupe ou ce qu’on lui a dit au départ de la mission ? Quelle est la réalité ?
“Transplantation” joue un peu dans le même registre, avec un homme dans une ville en déliquescence. La réalité s’avère changeante, plurielle aussi, suivant le côté où l’on se place.
Marcus voit sa fin, la perspective de sa mort proche le ramène à de lointains souvenirs longtemps oubliés. Hasard, providence... ? Par sa construction, “Finale” fait passer au second plan les événements tragiques du présent au profit du passé.

“Rien de l’éclat du soleil” diffère des autres nouvelles, car elle se situe dans un registre de science-fiction classique avec un groupe de soldats isolés sur une planète et essayant d’échapper à l’ennemi extra-terrestre. Les motivations des autres leur sont inconnues, par trop étrangères. Même si elle sort du lot par sa thématique rappelant « Étoiles, garde-à-vous ! », l’écrivain y apporte sa touche personnelle.
“La cage de chrome” couvre juste deux pages et ne laisse de loin pas la même impression que les textes plus longs. La short story n’est pas pour Priest à qui il faut bien plus de pages pour s’exprimer.

À l’occasion du dossier Christopher Priest du numéro 41 de « Bifrost » en 2005, Thomas Day l’avait interviewé. On retrouve ici cet entretien fleuve, dont on distingue des parties reprises dans son essai “Magie, histoire d’un film”, où il relate son expérience de l’adaptation du roman « Le prestige » au cinéma par les frères Nolan. Si la demande de droits a été rapide, le reste a été une longue attente remplie de doutes, de questionnements sans recevoir de réponses, avant de voir le résultat sur grand écran bien des années plus tard. Le plus intéressant figure justement dans ce long cheminement. Quand l’écrivain décrypte le film, l’intérêt retombe, mais l’ensemble est bienvenu dans ce recueil, surtout qu’il est suivi d’un second entretien réalisé spécialement pour la présente parution, soit dix ans après le premier.
Bizarrement, le ton n’est pas le même. Christopher Priest semble transformé par l’expérience : moins avenant, moins accessible, comme s’il y avait un avant et un après sortie du film « Prestige ». C’est l’impression que j’ai ressentie à la lecture. Étonnant !

Ce best of Christopher Priest nous montre toute la dimension de l’auteur, l’exigence qu’il poursuit dans ses récits. La plupart des nouvelles présentées s’avèrent des modèles du genre, elles restent ancrées dans nos mémoires et rattachées à un écrivain fidèle à certains thèmes qui le hantent, le passé de son pays n’étant pas des moindres. Les entretiens et l’essai forcément très personnel nous permettent de découvrir l’homme qui se cache derrière un simple nom en couverture.
« L’été de l’Infini » est complet, ce livre dépasse de loin le cadre du simple recueil de textes, il fouille l’imaginaire priestien pour nous en révéler toute la richesse. La suite logique est bien sûr de se plonger dans ses romans, anciens comme plus récents.
« L’été de l’infini », un excellent moyen de devenir un lecteur convaincu de Christopher Priest.


Titre : L’été de l’infini
Auteur : Christopher Priest
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Michelle Charrier et Pierre-Paul Durastanti
Couverture : Aurélien Police
Éditeur : Le Bélial’
Collection : Kvasar
Directeur de collection : Olivier Girard
Site Internet : Roman (site éditeur)
Pages : 492
Format (en cm) : 15 x 22
Dépôt légal : septembre 2015
ISBN : 978-2-84344-137-0
Prix : 25 €



Pour écrire à l’auteur de cet article :
[email protected]


François Schnebelen
21 octobre 2015


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