Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Carter Contre le Diable
Glen David Gold
10-18, n°5012, traduit de l’anglais (États-Unis), 765 pages, octobre 2016, 9,60€

Il se nomme James Joseph Carter, il est né en 1874, il mourra en 1936. Surnommé « Carter the Great », il fut l’un des plus grands magiciens de son époque. Pour recréer son existence sous forme romancée, Glen David Gold s’est plongé dans des biographies, des ouvrages de magie, des archives d’époque : tous les tours présentés sont réels. Réel, William Harding (1865 – 1923), vingt-neuvième président des Etats-Unis, le fut également. Et Philo Farnsworth (1906-1971), physicien et inventeur, tout comme le grand magicien Houdini, appartiennent eux aussi à l’Histoire. Pour le reste, certains détails sont authentiques, d’autres inventés.



Toute débute au soir du 2 aout 1923. Après une représentation formidable au cours de laquelle « Carter le Grand » fait participer William F. Harding, vingt-neuvième président des Etats-Unis ( qui rencontre le diable, s’élève dans les airs, se fait décapiter et démembrer, avant de réapparaître miraculeusement intact), celui-ci, de retour à son domicile, meurt. L’enquête, on s’en doute, n’oublie pas le magicien qui bientôt se défile, prend place sur un navire où nul ne le retrouve jamais. C’est le début d’un véritable mystère, d’une enquête en toile de fond, d’un événement dont tenants et aboutissants ne seront révélés que près de huit cents pages plus tard.

JPEG - 30.3 ko

« La lumière dans la pièce lui parut différente, comme s’il venait de soulever un nouveau voile sur le monde, pour découvrir de nouvelles caches, de nouveaux trompe-l’œil. »

_ Enquête policière, donc, mais aussi roman classique et d’initiation, car après ce chapitre inaugural commence une biographie détaillée, romancée, et toujours prenante, de la vie de celui qui deviendra Carter le Grand C’est au cours du Blizzard de 1897, alors qu’enfant Charles Carter et son frère James sont coincés plusieurs jours durant dans la demeure familiale en l’absence de leurs parents, que Charles va découvrir la magie. Une révélation tout d’abord non sans une once d’humour – nous laisserons le lecteur découvrir par lui-même quelle est la machine par laquelle Carter lève un voile sur le monde – puis sur un mode plus classique, par l’intermédiaire du « Manuel de prestidigitation » du professeur Ottawa Keyes, qui lui semble tout d’abord d’un ennui mortel, et bientôt le fascine.

Roman américain, roman historique, « Carter contre le Diable » est aussi un roman de l’Amérique des années vingt, avec ses mutations – l’essor des techniques, les débuts de la psychanalyse – avec ses succès et ses difficultés. Ses difficultés, parce que si Carter deviendra un « self made man » à l’américaine, ce ne sera pas selon la vision classique de celui qui est immuablement le meilleur. Carter se heurtera à bien des obstacles, en proie au doute durant près d’une décennie avant de rencontrer le succès, un succès qui ne sera jamais absolu et, malgré l’aide constante de son frère James, chargé de l’administration de ses spectacles, le laissera perpétuellement au bord de la ruine. La mort de sa jeune épouse au cours de la mise au point d’un numéro le fera vaciller au bord du gouffre, manquant de peu de le transformer en homme fini avant qu’il ne retrouve sa capacité d’émerveillement.

JPEG - 55.2 ko

« Il espérait prouver ainsi que le spiritisme n’était qu’une vaste supercherie ; pourtant, après chaque représentation, il recevait immanquablement plusieurs lettres qui lui demandaient, avec des accents désespérés, de rappeler d’outre-tombe un être aimé. »

Sans jamais de véritable rupture de ton, sans jamais casser la cohérence de son récit, Glen David Gold parvient à faire alterner le drame, les merveilles, les sentiments et l’humour. C’est ainsi qu’il rend à la perfection les déboires répétés de Carter ou ceux de Jack Griffin, le policier pas très futé, particulièrement malchanceux mais incroyablement tenace en charge de l’enquête sur la mort du président Harding. C’est ainsi qu’avec un étonnant mélange de fraîcheur et de naïveté, un peu à l’ancienne (ce roman des années vingt a été écrit au début des années deux mille), il rend la magie des rapports humains et plus particulièrement des rencontres féminines de Carter. Tout n’est pas absolument crédible, notamment les chapitres mettant en scène sa première épouse, mais le charme des années passées est bel et bien présent.

« Dès le début, son instinct lui avait soufflé que la télévision était un instrument doté d’un réel pouvoir magique. »

Les années passées : tel est le thème véritable de cette biographie romancée. Car les gens de la génération de Carter le comprennent : une bascule étonnamment rapide est en train de se faire entre passé et présent, ou plus précisément entre présent et futur. La technique avance à grands pas : la radio tout d’abord, le cinéma, et le principe de la télévision qui commence à montrer le bout de son nez. Pour attirer les foules, il faut faire sans cesse mieux, sans cesse plus spectaculaire : comme les films hollywoodiens de nos jours, le coût de la mise en scène devient tel qu’il peut rapidement conduire à la ruine. Si les rivalités entre magiciens sont l’un des thèmes et des ressorts de ce gros roman, celle qui fait s’affronter spectacles classiques et modernes ne l’est pas moins. Et c’est ainsi que l’on voit Grover George (1887-1958), autre magicien ayant marqué l’histoire d’une profession aux revenus de plus en plus aléatoires, partir en tournée « dans les Andes et dans des villages reculés où l’on n’avait pas encore vu l’ennemi mortel : le cinéma. »

« Dans ses derniers éclairs de conscience, il comprit que tout ce qu’il avait connu jusqu’ici n’était que faux décors et toiles peintes, et que la réalité ne se définissait pas par un jeu dynamique d’action et de réaction, mais par une inexorable déperdition d’énergie. (…) Il serait tellement plus facile de lâcher prise. Puis il se souvint confusément que c’était là un conseil du Diable. »

Si le roman, malgré son épaisseur, ne lasse jamais, c’est en raison de l’intrication de ses aspects biographique et historiques avec la trame policière qui revient sans cesse en toile de fond. Quel est le secret qui taraudait le président Harding juste avant sa mort, un secret dont on ne sait rien si ce n’est qu’il se demandait s’il ne valait pas mieux l’enterrer à jamais ? Le président Harding a-t-il confié ce secret à Harding avant de mourir, peut-être avant que celui-ci ne le tue ? L’existence de Carter le Grand est de plus en plus dangereuse : Mystérioso, un de ses anciens concurrents, mis à mal par Houdini lui-même, a déjà essayé de mettre Carter hors-jeu et essayera encore. Les services secrets, persuadé qu’il en sait trop, ont décidé de le faire disparaître pour une durée « pas forcément déterminée » - en d’autres termes, sans espoir de retour. Mais est-il possible de faire réellement disparaître un magicien ?

« Un éclair déchira le plateau, plus aveuglant que celui de la saison précédente, accompagné d’une nuée de soufre, et Carter recula en plissant les yeux : le Diable en personne venait de s’inviter sur scène. Ainsi débuta le final du spectacle de Carter le Grand, une cascade d’illusions extraordinaires, trois actes truffées de magie, de chaos et de mystère. »

Tout se résoudra, on s’en doute, au terme d’un final grandiose qui laisse penser que ce roman, suffisamment dense et spectaculaire, pourrait bien faire un jour l’objet d’une adaptation cinématographique ambitieuse. Roman de l’illusion, mais aussi roman du réel, « Carter contre le diable » mérite assurément la lecture. Après avoir été initialement publié aux éditions Michel Lafon, et avant sa reprise chez 10-18, il avait été réédité par les éditions « Super 8 » marquées par une confluence d’inspirations autant cinématographiques que littéraires : un parcours éditorial qui témoigne lui aussi de cette frontière entre genres et époques. Quoiqu’il en soit, « Carter contre le Diable » mérite de prendre place, sur le thème de la magie, mais dans des tonalités toujours différentes, aux côtés du «  Musée Barnum  » de Steven Millhauser, du « Pays du fou rire  » de Jonathan Carroll ou encore du « Prestige  » de Christopher Priest.

Titre : Carter contre le diable (Carter Beats The Devil, 2001)
Auteur : Glen David Gold
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Olivier de Broca
Couverture : CSA Images / Getty Images/ Printtock Collection
Éditeur : 10-18 (édition originale : Super 8, 2014)
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 5012
Pages : 765
Format (en cm) : 11 x 18 x 3,3
Dépôt légal : octobre 2015
ISBN : 9782264066923
Prix : 9,60 €



Hilaire Alrune
17 novembre 2015


JPEG - 26.7 ko



JPEG - 26.6 ko



JPEG - 61.2 ko



JPEG - 37 ko



JPEG - 22.6 ko



JPEG - 28.2 ko



JPEG - 37.1 ko



Chargement...
WebAnalytics