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Récits du demi-loup, tome 1 : Véridienne
Chloé Chevalier
Les Moutons électriques, la Bibliothèque Voltaïque, récit médiéval, 376 pages, août 2015, 19,90€

Sous une belle couverture à rabats, et avec ici et là d’élégants blasons dessinés par Melchior Ascaride, se profile le royaume du Demi-Loup. Un royaume dont les rois et princes ne sont pas tout à fait flamboyants, et où les princesses et suivantes font peu à peu l’apprentissage du monde.



Avertissons d’emblé le lecteur : s’il se déroule dans un monde d’allure médiévale, « Véridienne  » ne relève en aucun cas de la fantasy. Pas d’éléments magiques, fabuleux ou surréalistes, éléments sine qua non de la fantasy selon Terry Windling, pas une once de fantastique, d’irrationnel ou d’élément de magie comme le veut la définition que l’éditeur du présent ouvrage donne lui-même de ladite fantasy dans sa « Cartographie du merveilleux ». Le terme apparaît ici comme une étiquette commerciale permettant aux libraires de classer de tels volumes sans trop avoir à réfléchir, une sorte de fourre-tout dans lequel on a tendance à faire basculer tout ce qui, en s’affranchissant d’un contexte historique précis, peut avoir des vieux murs ou une épée. On ne peut que regretter de telles assimilations, parfois dommageables – ainsi de l’excellent « Mordred » de Justine Niogret, qui méritait mieux qu’une étiquette de genre.

Quels sont donc les éléments formant la trame de « Véridienne » ? Le royaume du Demi-Loup (le lecteur apprendra avec effroi l’une des origines possibles de ce nom) comprend de nombreuses terres dont, à l’Est, les Eponas, peuplé par les Chats, soldats de valeur, et au-delà un empire inconnu dont la frontière est régulièrement le siège d’escarmouches entre les deux royaumes. Aldemar, roi du Demi-Loup, envoie son fils Aldemor combattre sur cette frontière. Il y disparaît avec son armée, à jamais semble-t-il. Le frère du roi, Caldamir, administre les Eponas, où les choses ne se passent pas tout à fait comme elles le devraient. À Véridienne, siège d’un pouvoir en déliquescence, on suit surtout Malvane, fille du roi, Calvina, fille de Caldamir, leurs suivantes Cathelle, Nersès, et Lufthilde. Les aventures de ces enfants et jeunes filles constituent, sur le plan quantitatif, l’essentiel du roman.

Coucheries, jalousies, rumeurs, chamailleries médisances, persiflages, essais de vêtements, amitiés, trahisons : amusé, le lecteur pourra constater que la cour d’un roi d’un moyen-âge parallèle n’a pas grand chose à envier à celle d’un lycée contemporain. Quant à ceux qui chercheraient du bruit et de la fureur, ils n’en trouveront gère dans « Véridienne » : si les guerres sont bel et bien présentes, elles ne le sont que sous formes d’échos, éloignées sur les confins, les marges, et les hommes n’apparaissent pas non plus sous des abords excessivement flatteurs. Pas d’individus héroïques : un roi fatigué jusqu’à l’indifférence, un commandement confié à un jeune prince incompétent, un guerrier valeureux mais trop ambitieux pour ne pas trahir. On s’enfuit, on est assiégé dans les marécages, on use de perfidies immondes pour vaincre l’adversaire. En définitive, nulle gloire pour quiconque au royaume de Véridienne.

Un royaume que l’on peine parfois à définir, et dont la géographie demeure imprécise. On traverse quelques territoires dans les premiers chapitres, à la recherche des suivantes, puis le chemin de Eponas, puis, après le retour d’Aldemor, à la recherche d’un ami, d’autres fragments d’un royaume qui ne se dessine jamais vraiment. Sans doute une carte, ou une description globale, auraient-elles donné plus de corps à cet empire qui reste perpétuellement flou. Autre défaut, ce manque de densité qui tend à devenir une véritable marque de fabrique de ce qui se promeut sous le label « fantasy ». Le fait que « Véridienne » soit le premier tome d’une trilogie ne justifie rien : sans doute vaudrait-il mieux pour le genre et ses dérivés de s’enorgueillir de romans denses et touffus plutôt que de triptyques avec des tomes dits “d’exposition” qui, comme c’est ici le cas, n’atteignent pas entièrement leur but.

Pour autant, il ne faut pas méconnaître les qualités de « Véridienne ». Les portraits psychologiques y ont une justesse particulière, les dialogues sonnent juste également. Ce royaume qui ne tient plus que par des fils usés, par de vieilles habitudes, émeut. La recherche des suivantes, prises ici au sens propre – des nouveau-nés venus au monde au lendemain de la naissance des princesses et des princes – est une véritable trouvaille. Les convulsions et déshérences politiques ne manquent pas d’intérêt, notamment la manière dont Caldamir, en cherchant à éviter la scission avec le territoire des Eponas, la rend au contraire inévitable.

Mais la qualité la plus flagrante reste la construction. Chloé Chevalier a choisi une narration polyphonique et qui ne respecte pas strictement la chronologie. Les narrateurs changent sans arrêt – narration classique, lettre, journal intime, peu importe – parfois subitement (au lecteur de deviner), sans que le roman ne perde pour autant de sa fluidité. Et ces sauts chronologiques, en revenant sur des épisodes à peine effleurés, ou qui soulevaient maintes questions, ravivent l’intérêt du lecteur. Le retour inattendu d’Aldemor, sa relation différée, fragmentée, sont particulièrement bienvenus. Un pari de narration complexe qui n’était pas gagné d’avance, mais qui est ici relevé haut la main.

Autre qualité, la manière dont est gérée la fin qui, on l’aura compris, est aussi une introduction. Dans la toute dernière partie, « Véridienne » reprend la densité qui lui faisait défaut. Il y a dans cette fin de ce roman, écrit par une main féminine pour un lectorat surtout féminin, un véritable talent pour rebattre les cartes, aboutir à des bouleversements inattendus, et terminer en donnant envie de lire la suite. On voit se profiler bien des choses, et quelques phrases ici et là suggèrent d’indicibles secrets. Mais il faudra attendre les suites pour en savoir plus – reste à espérer que ces suites tiendront leurs promesses.



Titre : Véridienne
Série : Récits du demi-loup, tome I
Auteur : Chloé Chevalier
Couverture : Melchior Ascaride
Blasons intérieurs : Melchior Ascaride
Collection : La Bibliothèque Voltaïque
Éditeur : Les Moutons électriques
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 376
Format (en cm) : 17 x 21 x 3
Dépôt légal : août 2015
ISBN : 9782361832186
Prix : 19,90 €



Hilaire Alrune
29 octobre 2015


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