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Pandémia
Franck Thilliez
Fleuve, Fleuve Noir, thriller (France), 644 pages, juin 2015, 21,90€

Après « Fractures », « Le Syndrome E », « Gataca », « Atomka », « Angor », revoilà Lucie Hannebelle et Franck Sharko pour une nouvelle enquête. Il semblerait bien que l’Homme en Noir, le génie du mal qui semble leur avoir échappé lors d’une précédente aventure, ait décidé de reprendre du service, et de préparer de bien désagréables surprises.



Une enquête de plus pour Franck Sharko : un quidam promenant son chien est assassiné de manière étrange, sadique presque. Le policier est persuadé que le promeneur a vu, par hasard, quelque chose qu’il n’aurait pas dû voir. Il fait draguer l’étang voisin : hideuse surprise. Son enquête le mène rapidement vers d’autres lieux, d’autres victimes.

« On y découpait du cadavre à tour de bras, des noyés retrouvés au fond de la Seine, des perdus, des accidentés, des « pourris » qu’on ramassait parfois après des semaines, morts seuls chez eux sans que personne ne s’en aperçoive. »

Difficile, de nos jours, de trouver un trouver un thriller sans une ou deux scènes d’autopsie. Avec, par la force des choses, les visites répétées de Franck Sharko à l’Institut médico-légal, quai de la Rapée, en bordure de Seine (et non pas de scène comme le propose une coquille facétieuse), le lecteur sera servi. Il faut dire que les cadavres ne manquent pas dans cette histoire. Mais ces lieux sinistres font face à des lieux plus sinistres encore.

« Ils s’enfoncèrent plus encore dans les profondeurs. Les murs se resserraient, le plafond devenait écrasant. L’eau clapotait, tandis que sa lampe fouillait l’obscurité la plus totale. »

C’est en effet à quelques pas de là que Franck Sharko s’enfonce une première fois dans les égouts, seul endroit où ont pu disparaître deux clochards, enlevés par un mystérieux individu avec des griffes à la place des mains, avec un masque d’oiseau – un des ces anciens masques de peste que l’on utilisait en des époques reculées – qui va lui donner bien du fil à retordre. « Ce corbeau, c’est l’oiseau de la mort, mec. Si t’as retrouvé les squelettes, c’est parce qu’il les a bouffés, il les a picorés, c’te taré. », lui explique un habitant des lieux. Les égouts, Franck Sharko y retournera, avant de s’aventurer dans d’autres endroits sordides : une gare souterraine désaffectée, des entrepôts abandonnés, une casse géante. Dans chacun de ces lieux, il fera des découvertes horribles. Un “topos” en majorité ténébreux, souterrain, auquel fait écho un autre monde souterrain, celui du Darknet, une sorte d’internet parallèle voué au mal où l’on retrouve, entre autres horreurs, un “Hidden Wiki” comme super-outil du crime.

« Ça tombe bien que vous soyez là. Parce qu’on dirait que c’est l’hécatombe, ici. »

Dans le même temps, des cygnes sont retrouvés morts dans la réserve de Marquenterre. Amandine Guérin et Johan Dutreille, deux microbiologistes, sont aussitôt sur les dents : le spectre de la grippe aviaire n’est pas loin. Sur un vaste couloir de migration, d’autres oiseaux sont bientôt retrouvés morts. Sur une autre réserve aussi : morts, contaminés, disposés en cercles. Cela ne peut pas être naturel. Bientôt, le nouveau virus frappe les humains, et tout laisse croire qu’il a été répandu à dessein dans une administration française. On l’aura deviné : l’enquête de Franck Sharko et celle des scientifiques vont bientôt se rejoindre.

« Elle voyait tous ces gens qui entraient et sortaient, se dispersaient dans les méandres de la capitale, se touchaient, respiraient, échangeaient leurs microbes. »

Si le rôle de Lucie Hennebelle, la compagne de Sharko, est ici passablement réduit, c’est parce que la structure de « Pandémia » est assez proche de celle d’« Angor ». Dans « Angor », les enquêtes parallèles de Franck Sharko et de Camille, une autre investigatrice, finissaient par fusionner. Ici, ce sont les enquêtes parallèles de Sharko et d’Amandine, la jeune microbiologiste, qui sont au premier plan. À travers les chapitres consacrés à Amandine, l’auteur fait comprendre au lecteur les difficultés des investigations épidémiologiques, la quasi-impossibilité de faire échec à la diffusion d’un virus. Disons-le d’emblée : là où « Pandémia » est remarquable, c’est dans son honnêteté vis-à-vis du réel. Bien loin d’essayer de duper le lecteur avec des termes scientifiques, Thilliez explique très simplement le mécanisme de “creuset” génétique des virus grippaux qui se recombinent entre l’homme, l’oiseau et le porc (et dénonce au passage l’industrialisation du vivant, ces élevages gigantesques, au dépit des réglementations, dans des pays où il est facile de contraindre les autorités locales au silence : « Voilà ce que vous avez dans votre assiette, Lieutenant. Des antibiotiques, des OGM, des hormones de croissance et des produits chimiques. » ) Avec la même honnêteté scrupuleuse, il explique qui sont les différents acteurs de terrain : les médecins généralistes du réseau GROG, le Centre National de Référence, l’Institut Pasteur, l’Institut de Veille Sanitaire (ici rebaptisé IVE), et quelles sont les différentes phases d’alerte mises en place par l’Organisation Mondiale de la Santé. Du réel, donc, et pas de sensationnalisme gratuit, pas non plus de ces descriptions cliniques fantaisistes que l’on pouvait lire dans le « Virus » de Richard Preston. Mais, en refusant la facilité, en se privant d’effets classiques du thriller, Franck Thilliez n’en est pas moins efficace. D’autant plus que le plan bioterroriste ourdi par la crapule de service va bien au-delà de la simple diffusion d’un virus grippal. Nous n’en dirons pas plus, le lecteur frémira le moment venu.

Si l’on excepte une fin spectaculaire (l’assaut sur un complexe privé) un tantinet forcée et qui cède quelque peu aux rituels quasiment cinématographiques du genre, « Pandémia » apparaît donc comme un thriller à la fois effrayant et sobre, didactique presque, démontant les ressorts et les difficultés auxquelles tous (des microbiologistes aux investigateurs, en passant par les politiques et les journalistes) seront confrontés lors de la prochaine émergence d’un virus grippal inconnu à potentiel de contamination interhumaine, à commencer par la nécessité de contenir le virus tout en préservant les activités humaines pour ne pas ajouter de catastrophe dans la catastrophe. En inscrivant cette thématique dans les plans de cette congrégation du mal que l’on devinait à travers les derniers chapitres d’ « Angor » , Franck Thilliez développe un thriller à base scientifique réaliste, mais aussi nerveux, tendu, efficace, portée par une structure segmentée en cent dix-sept chapitres brefs qui font avaler les plus de six cents pages quasiment d’affilée.


Titre : Pandémia
Auteur : Franck Thilliez
Couverture : Axel Mahé
Éditeur : Fleuve
Collection : Fleuve Noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 644
Format (en cm) : 14 x 22,5 x 4
Dépôt légal : juin 2015
ISBN : 9782265099036
Prix : 21,90 €



Franck Thilliez sur la Yozone :

- « Angor »
- « Atomka »
- « Puzzle »
- « Vertige »
- « La mémoire fantôme »
- « L’anneau de Moebius »
- « L’encre et le sang »
- un entretien avec Frank Thilliez


Hilaire Alrune
29 juin 2015


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