Malgré un titre qui peut fleurer un peu le fantastique, « Celle qui sentait venir l’orage » est un roman historique. Mais quelques lambeaux de mystère laissent planer le doute.
Frida vit avec ses parents, isolés du reste de la communauté, dans une maison dans les marais. Le père, misanthrope, fait toujours chèrement payer à ses contemporains le mépris qu’ils éprouvent envers lui. Si bien que lorsqu’une diligence disparaît sans laisser de traces, on le soupçonne. Si son père disparaît parfois des jours pour revenir les poches pleines, ou pouvait se montrer très violent, Frida sait qu’il n’a tué personne. Hélas, la condamnation ne tarde pas, et Frida doit fuir la ville, grimée, pour ne pas être accusée et tuée elle aussi.
La jeune fille a eu une enfance difficile : à la liberté de la vie en famille, loin de tous, où elle peut jouer à la sauvageonne, s’oppose dès l’adolescence l’école religieuse, où elle est brimée par ses camarades bourgeoises et méprisées par les sœurs, qui les premières réprouvent cette vie sauvage qu’elle mène. Frida s’est finalement forgée une carapace d’indifférence, qui lui sauve la vie chaque jour mais sera mal interprétée, à dessein, par le docteur Grüber.
Car Grüber, et son maître à penser Galleazzo, ont un but précis, comme le lecteur s’en rendra compte au fil des conversations surprises par Frida : déterminer un « profil criminel naturel » et prouver qu’il est héréditaire : fille d’assassins, Frida ne peut qu’avoir des gènes de criminelle. Dès lors, comme elle en a la sensation, chacun de ses gestes, de ses mots est interprété via ce prisme, pour renforcer cette hypothèse.
Une fois échappée avec la famille de son père, une bande de filous et de voleurs qui semblent rapidement beaucoup plus sympathiques que les notables et médecins croisés jusqu’alors, et avec l’aide d’un ancien enquêteur militaire, Frida va tout tenter pour réhabiliter ses parents, et démonter une enquête bien fragile, où la corruption et les vieilles rancunes ont remplacé les preuves.
Les thèses eugénistes présentées ici sont on ne peut plus réelles, et on ne peut qu’être soulagés qu’elles aient été rapidement réfutées. Néanmoins cette approche scientifique des causes de la criminalité, niant tout facteur social, peut s’avérer effrayante de nos jours, et en cela, le projet du professeur Galeazzo de faire voter des lois de stérilisation des populations condamnés pour crime, quel qu’il soit, nous fait osciller entre uchronie et thriller scientifique. Ce n’est cependant que de l’Histoire, et un peu de roman.
Yves Grevet signe un magnifique portrait d’une adolescente forte et libre, dans un monde où la liberté des femmes est un doux rêve, où l’emprise des hommes (père, mari, autorités...) est absolue. Dans ce monde masculin, Frida n’est même pas sûre de pouvoir s’appuyer ses les femmes qui l’entourent (Mme Corteze, ou les domestiques, son amie Isabella), elle aussi inféodées au pouvoir masculin, par une fidélité née de la peur ou du pouvoir. Seule sa famille, quand bien même il s’agit de voleurs, sera sa planche de salut. On sent que l’auteur prend plaisir à dénoncer une société de clientélisme, régie par la réputation, l’argent et le pouvoir, où les forts musèlent la presse pour avoir les mains libres et écrasent sans vergogne les faibles... jusqu’à ce que ceux-ci ruent dans les brancards et répliquent par la loi, aussi ardu soit le chemin pour faire valoir leurs droits et la justice, n’hésitant pas à retourner contre les puissants leurs propres armes, comme la corruption.
« Celle qui sentait venir l’orage » se révèle un roman très fort, à la mesure de son héroïne, entière et déterminée, dans une société pas si éloignée de la nôtre qui, au nom du Progrès, n’hésite pas à broyer des existences.
Titre : Celle qui sentait venir l’orage
Auteur : Yves Grevet
Couverture : ShutterShock/ Fresher
Éditeur : Syros
Site Internet : fiche du roman
Pages : 391
Format (en cm) : 22 x 15 x 3
Dépôt légal : mai 2015
ISBN : 9782748516777
Prix : 16,90 €