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Obsession (L’)
James Renner
Pocket, thriller, n° 15997, traduit de l’anglais (États-Unis), thriller / science-fiction, 573 pages, mars 2015, 8,40€

David Ness : un journaliste qui a eu la mirifique idée de se pencher sur une histoire déjà résolue : le meurtre de petites filles dont l’assassin, qui a toujours clamé son innocence, a été finalement exécuté. Ness trouve un second coupable, et parvient, notamment à l’aide d’une astuce qui n’est pas dépourvue de caractère prémonitoire (on pense à l’affaire Robert Durst qui défraya la chronique début 2015) à le faire impliquer. Le livre qu’il tire de cette enquête a fait sa gloire et sa fortune – mais l’a aussi, pense-t-il, empêché de distinguer les signes annonciateurs du suicide de son épouse, juste après son accouchement.



« Quatre millions de dollars, c’est quatre millions de raisons de le tuer. »

Seule manière pour David de sortir de l’infernale dépression qui s’ensuit : repartir dans une nouvelle enquête, sombrer dans une nouvelle obsession. Son éditeur l’oriente ainsi sur l’affaire du meurtre de Primrose Lane : un vieil homme, que l’on n’avait jamais vu sans ses moufles, même en plein été, est retrouvé assassiné chez lui. Ses doigts ont été passés au mixer. Les éléments de l’enquête montrent que la balle de revolver qui l’a blessé n’avait touché aucun organe vital, et que, manifestement, il s’est lui-même, avant de mourir, amputé de ses doigts. Un homme dont l’identité officielle s’effondre brutalement, puisqu’elle a été manifestement volée à un individu mort plusieurs décennies plus tôt, et, surtout, qui laisse une belle fortune dont beaucoup voudraient hériter.

« Le plus bizarre, pour David, fut de voir les clichés d’autopsie de Katy Keenan – une femme qu’il savait saine et sauve. »

Mais bientôt, tout se complique au-delà du raisonnable. David lui-même est accusé du meurtre de Primrose Lane. Et les seules empreintes digitales que l’on retrouve chez l’homme aux moufles sont celles de David lui-même, ainsi que de sa défunte épouse. Comment cela peut-il être possible ? Libéré sous caution, David poursuit son enquête, qui bientôt dévie sur des événements ressemblant étrangement à ceux qui l’ont obsédé des années auparavant : chez l’homme de Primrose Lane ont en effet été retrouvés des carnets retraçant l’existence de Katy Keenan, une petite fille rousse ressemblant étrangement à la sœur de son épouse, enlevée pendant son enfance et jamais retrouvée.

C’est donc à une étrange mécanique de précision que nous invite James Renner dans ces deux premières parties du roman. Certes, tout n’y est pas parfait – les plus exigeants pourront faire des reproches de détail – ainsi, au cours du chapitre consacré à la croisière, de la reprise, comme en un calque inversé, d’une scène qui semble tout droit tirée du « Novecento » d’Alessandro Barricco, et l’on notera que si le tableau psychologique d’Elizabeth O’Donnell est particulièrement convaincant, celui de la dépression de David l’est moins, tout particulièrement dans la description détaillée des effets de son sevrage (il est bien peu vraisemblable qu’un traitement exposant à de tels effets par son arrêt brutal obtienne un jour une autorisation de mise sur le marché) et de sa prise en compte lors du procès : manière d’en rajouter pour dépasser les cinq cents pages, ce qui n’était sans doute pas nécessaire. Malgré ces détails, on est incontestablement dans un roman abouti : dense, prenant, cohérent, sans réels temps morts, et avec une nuée de détails qui peu à peu viennent s’engrener dans ces mécaniques extrêmement précises qui font les très bons thrillers.

« Le temps était la seule chose qui l’empêchait d’être témoin du crime. Un ingrédient unique, mais d’une importance vitale. »

Et si quelques points de détail – ces détails qui font tout – grippent encore, c’est pour introduire l’explication finale qui fera basculer ce qui jusqu’alors était un pur thriller dans le registre de la science-fiction. Rien de très étonnant si l’on sait que « L’Obsession  » a été initialement publié aux éditions Super 8, dirigées par Fabrice Colin et dévolues aux romans multigenres. Le lecteur est donc confronté à une thématique nouvelle, que nous ne révélerons pas ici mais qui n’est pas sans évoquer l’excellent « Sept jours pour expier » de Walter John Williams, publié en 1993 dans la collection « Présences » de chez Denoël. Et force est de reconnaître que cette bascule avait tout pour réussir, car elle est particulièrement bien amenée par l’auteur et conçue non pas pour générer une rupture, mais bel et bien pour renforcer la cohérence de l’intrigue.

Hélas, cette troisième partie ne parvient pas entièrement à concrétiser l’essai. La faute à des maladresses qui étonnent : alors que l’auteur a soigneusement poussé ses pions, il ruine une partie de son effet par des incohérences de taille. Par exemple, la manière dont le héros dérobe, en toute improvisation, une découverte capitale de la taille d’une cabine téléphonique et s’enfuit avec elle hors d’un complexe scientifique apparaît totalement invraisemblable. On n’en dira pas moins de ce personnage qui, avec une balle dans le genou, va prendre sa douche et mange tranquillement comme si de rien n’était. Et que dire des réactions de David et de Katy Keenan, qui ne s’étonnent pas le moins du monde quand ils découvrent l’effarante, la bouleversante vérité du concept scientifique à la base de leurs étranges rencontres ? Que penser de cette scène où les enquêteurs vont visiter en prison un serial-killer confondu des premiers meurtres, car lui seul serait capable de deviner qui est l’assassin recherché, si ce n’est qu’elle n’est autre que la reprise bâclée de la fameuse scène du « Silence des agneaux » devenue depuis un poncif mille fois décliné, et qu’elle arrive ici au mépris de tout intérêt, de toute nécessité, de toute pertinence ?

On le voit : après l’excellence des deux premiers tiers, le roman tend à décevoir. Pourtant, il faut passer sur ses imperfections et lui reconnaître de réelles qualités. Malgré les près de six cents pages, le rythme ne faiblit pas et le lecteur ne décroche pas de cette intrigue qui fait alterner les chapitres concernant l’enquête en cours et l’enquête passée, et qui peu à peu suggère des éléments communs. Un sens de la narration, une grande justesse psychologique et des rebondissements véritablement inattendus contribuent à faire de « L’Obsession  » un thriller difficile à lâcher.

Il ne faut donc pas s’étonner de ce que « L’Obsession  », si l’on en croit les rumeurs, soit en cours d’adaptation par l’industrie hollywoodienne, avec Bradley Cooper dans le rôle principal. Il y a indiscutablement matière à faire un film prenant. Mais il y a également matière à de nouveaux développements. En effet, si la fin tend à verser dans le Happy end ou à ce qui peut lui ressembler le plus compte tenu de sa thématique générale, il semble que tout ne soit pas entièrement résolu. Car quelques questions restent en suspens, et l’un des protagonistes, le fameux « Beezle », à la fois discret et d’une importance de tout premier plan, et dont nous ne révélerons pas la nature telle qu’elle est décrite, apporte à ce thriller d’anticipation une note de pur fantastique qui semble bien être la porte ouverte à une suite possible. On ne serait guère étonné que le prochain roman de James Renner reprenne des personnages de « L’Obsession  », ou trouve tout au moins quelque point d’intersection avec son intrigue. Si tel devait être le cas, nul doute que les lecteurs de « L’Obsession  » seraient prêts pour une nouvelle aventure.


Titre : L’Obsession (The Man from Primrose Lane, 2012)
Auteur : James Renner
Traduction de l’anglais (États-Unis) : Caroline Nicolas
Couverture : Charles Orr / Getty Images
Éditeur : Pocket (édition originale : Editions Super 8, 2014)
Collection : Thrillers
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 15997
Pages : 573
Format (en cm) : 10,7 x 17,7 x 2,7
Dépôt légal : mars 2015
ISBN : 9782266250559
Prix : 8,40€



Hilaire Alrune
3 mai 2015


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