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Havrefer, tome 1, Le Héraut de la Tempête
Richard Ford
Bragelonne, Fantasy, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), 472 pages, mars 2015, 22€

Havrefer, capitale des royaumes unifiés teutons. Une cité où la magnificence du palais et du temple d’Arlor et Vorena côtoie la crasse et la misère des quartiers pauvres.
Le Royaume est en guerre : le seigneur Elharim Amon Tugha a uni les tribus barbares du nord et déferle sur les Etats libres. Le roi mène la défense, laissant la charge de la ville à sa fille, Janessa, et son tuteur. La benjamine doit se résigner à devenir reine tôt au tard, suite au décès de ses aînés lors de l’épidémie de chancre exquis qui décima un tiers de la population quelques années plus tôt.
Un émissaire secret de Tugha arrive à Havrefer. Sa mission : porter un message, d’alliance ou de menace, à certains pouvoirs locaux. Saper un peu plus la ville.
Pendant ce temps, la vie suit son cours, plus ou moins marquée par les événements politiques.



Et c’est là le grand reproche que je ferais à ce très bon bouquin. Car si « Le Héraut de la Tempête » se dévore, avec son écriture nerveuse et son rythme soutenu, c’est un agrégat très artificiel de plusieurs histoires qui, malheureusement, ne se croisent pour ainsi dire jamais, tant les groupes sociaux concernés sont imperméables :

- la trame « principale » et peut-être la plus liée, même si c’est infime, aux autres, est celle de Nobul. Ancien mercenaire devenu forgeron, veuf à cause du chancre exquis, voilà que son fils est tué par accident. Faisant table rase du passé, il brûle sa maison, change de nom et s’engage chez les Manteaux Verts, la pitoyable milice urbaine, oscillant entre l’espoir d’être tué rapidement et celui de faire quelque chose de bien. En tant qu’homme de terrain, c’est par lui que nous verrons les conséquences urbaines des événements politiques (comme l’afflux de réfugiés). Il découvrira en fin de bouquin que le jeune incapable qu’il traîne à ses côtés est celui qui a tué son fils. Le personnage, initialement présenté sous un jour très négatif par son fils (qu’il bat), est très fort, et aurait suffi à lui seul au roman. Un homme brisé, avec quelques lambeaux d’honneur, de refus d’abandonner. Un homme.

- On pourrait penser que la politique aurait une place majeure. A suivre Janessa et ses premiers pas en politique, on réalise que non. Elle oscille entre l’illusion de pouvoir choisir (notamment un mari, même si il est clair qu’un prétendant a la faveur de son père) et la leçon, rapide et cruelle, que chaque choix a des conséquences. Mais l’intérêt vient de ses escapades loin de ses futures responsabilités, où elle fuit incognito en ville retrouver son amour platonique. Le jeune homme, Rivière, on le découvre par son point de vue, est très amoureux, et ce sentiment est la soupape de son humanité, car il a été formé comme un redoutable assassin par son père. Et bien sûr, le voilà un jour engagé pour tuer la future reine. Le choc est brutal lorsqu’ils découvrent l’un l’autre leur véritable identité... Double ligne narrative très prenante, avec la lente perte de naïveté de Janessa d’une part et la mentalité mystique de l’assassin de l’autre, pour finir sur un choix douloureux pour les amants.

- Du côté de l’école de magie, on suit le dur apprentissage de Waylian, qui peine à comprendre ce qu’on lui inculque et se désespère d’autant plus que sa tutrice, Gelredida, dite La Sorcière rouge, s’ingénie à l’affubler de surnoms humiliants dans des langues disparues et dont il doit trouver le sens pour éviter d’autres corvées. Suivant Gelredida sur des scènes de crimes affreux aux murs barbouillés de sigils effrayants, il va contribuer à sauver le monde et en apprendre beaucoup plus sur la malégie en quelques jours. Ici encore, le renoncement initial de Waylian, sous les brimades multiples et face à son incompétence estimée, est bien transmis, et sa projection brutale au contact des hautes sphères, avec des enjeux qui le dépassent, révèle avant même que Gelredida ne l’avoue qu’il a des qualités. Plus qu’on le croit...

- Viennent enfin les « vilains » : Merrick Ryder, noble déchu, endetté, se retrouve à faire le sale boulot de la Guilde pour éponger son ardoise et conserver sa vie et ses parties génitales : servir d’intermédiaire avec un trafiquant d’esclaves, et s’assurer que ni la garde des Manteaux Verts ni la capitainerie ne posera problème. Alcoolique notoire, il voudrait être quelqu’un de bien, mais la voie de la vertu est une pente raide. Pour « l’aider » dans sa mission, il se voit adjoindre Kaira. Kaira est en fait l’ancienne première Bouclière de Vorena, en gros une templière, et elle vient d’être déchue pour avoir cassé les doigts un peu trop baladeurs du Haut Abbé. En réalité, elle a pour mission d’utiliser Ryder pour remonter à la tête de la Guilde et la décapiter. C’est l’occasion pour la jeune femme, guerrière exceptionnelle, de se frotter à la réalité, bien loin de la vie au temple... Au contact l’un de l’autre, Ryder va enfin se relever de la fange, et Kaira réaliser comment elle doit appliquer sa foi.

- L’autre voleuse, c’est Loque, une jeune ado. Elle était là quand Markus, le fils de Nobul, est mort, et se sent un peu coupable, aussi cherche-t-elle à entrer dans la Guilde et acquérir ainsi un statut, une protection, d’autre autre chose qu’une tire-laine crève-la-faim dans les rues. Elle rejoint un dangereux trio, pour un coup qui foire, et par un heureux concours de circonstances et un brin d’audace, parvient à tirer son épingle du jeu dans les dernières pages.

Voilà ce que nous raconte Richard Ford dans « Havrefer » : 5 histoires, en gros 7-8 personnages majeurs. Et aucun lien entre eux, ou presque, que des proximités fortuites. Aucune intrication. Aucune conséquences des actes de l’un sur les plans des autres. Je n’appelle pas ça « un roman ».

Pire encore, la vision très étroite des personnages sur les événements qui les concernent réduit encore le faible impact des bouleversements géo-politiques : la Guilde ne semble pas plus occupée, les funérailles royales ne chamboulent pas la cité au-delà du récit de la cérémonie, comme si une fois finie, on rentre à la maison et on reprend le train-train quotidien. Les héros sont tellement investis dans leurs différentes missions qu’une grande partie des préoccupations de la population passe à l’as. Seul Ryder envisage de fuir, mais il n’avait pas besoin de la menace de guerre pour cela, c’est une habitude chez lui.

Bref, « Havrefer » est un très bon bouquin de fantasy, mené tambour battant, qu’on a du mal à lâcher malgré des situations et des associations qui n’ont rien d’originales, mais pour probablement la première fois, il saute aux yeux que l’auteur a écrit 5 novellas d’une centaine de pages, en a imbriqué les chapitres les uns dans les autres, et les a vaguement reliées par une trame de fond, ce « Héraut de la Tempête » qui apparaît en tout et pour tout dans 4 scènes (son arrivée, son rendez-vous à la Guilde, son rendez-vous avec les Mages, son départ) et quelques éléments politiques (le choix de Janessa d’accueillir les réfugiés impacte Nobul, mais l’enlèvement de pauvres par les esclavagistes n’est qu’accéléré par cette manne providentielle, ils auraient pu ratisser les bas-fonds tout autant).

« Havrefer » est donc comme une série télévisée : de très bons épisodes, où les clichés scénaristiques sont pardonnés car transcendés par le rythme et la qualité d’écriture, dégustables séparément, et encore meilleurs par la vision globale qu’ils offrent de l’univers. Ce n’est pas un feuilleton, dont chaque morceau est nécessaire à la compréhension d’une intrigue qui dépasse les bornes de la seule histoire racontée .
A vous de juger si c’est une qualité ou un défaut.
J’espère quant à moi que tout cela n’est qu’une immense introduction, et que cet aspect sera gommé dans le volume suivant, « The Shattered Crown ». L’auteur a suffisamment de talent pour nous captiver sans recourir à ce bête procédé d’entrelacement dont abusent les page-turners, et qui, avec cinq lignes narratives, finit par nous éloigner de certains personnages, malgré la brièveté des chapitres (ici 50 pour 470 pages).

En conclusion, de la très bonne fantasy bien classique, très bien écrite, mais trop formatée sur le fond comme la forme. Des histoires parallèles artificiellement mélangées plutôt qu’un roman construit et structuré comme un tout.
C’est bon, prenant, très agréable à lire, finalement très classique, toutes les qualités d’un best-seller anglo-saxon.


Titre : Le Héraut de la Tempête (Herald of the storm, 2013)
Série : Havrefer, tome 1 (Steelhaven, 1/3)
Auteur : Richard Ford
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Olivier Debernard
Couverture : Benjamin Carré
Éditeur : Bragelonne
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 470
Format (en cm) : 24 x 15 x 3,8
Dépôt légal : mars 2015
ISBN : 9782352948308
Prix : 22 €


Une dizaine de coquilles relevées, dont la plus grave est un mot manquant page 460 (« la chambre de la. »)


Nicolas Soffray
15 avril 2015


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