Chargement...
YOZONE
Le cyberespace de l'imaginaire




Légendes d’Afrique
Marc Bailly (anthologiste)
Elenya, anthologie de genres divers, 397 pages, janvier 2015, 18€

L’Afrique, c’est beaucoup de peuples, beaucoup de pays, beaucoup de paysages, beaucoup de croyances et de folklores parfois mêlés, souvent distincts. Sur une telle diversité, dix-neuf nouvelles sans thématique commune, relevant pour certaines de la littérature générale, pour d’autres du conte, pour d’autres encore du fantastique, voire de la science-fiction, c’est également, de façon inévitable, une grande hétérogénéité. Le rendu que nous ferons de ce volume sera donc, par essence, subjectif, avec le choix de mettre en avant certains textes qui nous ont semblé se détacher de l’ensemble.



Au Nigéria, dans la bibliothèque de Lagos, le narrateur compulse par ordre alphabétique les ouvrages dédiés aux légendes africaines, mais une lettre manquante recèle une signification toute particulière. Si l’âme de l’Afrique apparaît à travers les contes, celle du narrateur ne finira-t-elle par apparaître à travers cette histoire ? Entre passé et futur, l’« Anima mea » de notre collaborateur Alain Dartevelle, avec sa chute difficilement prévisible, illustre la dualité trouble d’un présent s’intéressant encore au passé mais déjà happé par l’avenir.

Sympathique récit d’inspiration steampunk « Qui se souvient encore de moi » d’Emmanuelle Nuncq met en scène, à l’époque adéquate, une expédition archéologique sur l’île d’Ephèse. Mais il est essentiellement question d’une variété optique d’archéologie puisqu’il s’agit rien moins que de mettre en œuvre une classique machine infernale, la Victorine ou Rétroscope ou encore Commuto-galvani-chrono-rétroscope, qui permet d’obtenir des vues du passé. Contée par la seule femme de l’expédition, bien entendu victime des préjugés sexistes de l’époque, cette histoire fait apparaître à travers les siècles, et même dans le présent, le fantôme d’Arsinoé, sœur de Cléopâtre qui tente désespérément d’échapper à l’oubli.

Pas vraiment de spécificité africaine pour « Sables » de Christophe Collins, mais un bon récit de science-fiction. Concis, efficace, inventif, réussi, « Sables » se permet également de jouer sur les fondements de la fiction et s’offre une allusion à un certain commandant Morane, qui prend toute sa saveur lorsque l’on sait que Christophe Collins est par ailleurs le continuateur de l’œuvre d’un certain Henri Vernes.

Légendes africaines, serpent à la manière d’Ouroboros, et belle odyssée pour la petite Yala, petite fille mutique promise au grand reptile et qui, avec l’aide de sa mère, tente vainement de se dérober à son destin. Une aventure à travers les grands espaces et les mystères de ce monde, et un retour teinté de tristesse : dans « La fille qui fut promise au Dieu-serpent  » de Fabien Clavel, le voyage a changé Yala plus qu’elle ne le croyait, et malgré l’acquisition du langage la communication avec les gens de son village n’est désormais plus possible. Sophie Dabat parvient également à saisir le lecteur avec « Emela-Ntouka », où l’on voit une jeune scientifique à la recherche d’un animal mythique découvrir que le monstre n’est pas si étranger, mais pourtant bien plus étrange, que ce que l’on pouvait croire. Entre découverte, mort, métamorphose, et maternité, une nouvelle dense et pleine d’émotion.

L’Afrique : grands espaces, jungles et déserts, mais aussi profusions urbaines désordonnées – le tableau n’aurait pas été complet sans une pincée d’ambiances kinoises. C’est donc dans le grouillement de la capitale congolaise, avec dérive de l’expatrié, femme fatale et métamorphose pour « La Robe d’écailles », que nous entraîne Brice Tarvel pour une fable assez classique dont on regrette toutefois que le narrateur soit un peu trop naïf. Autre dérive urbaine, dans l’hémisphère nord cette fois-ci, avec ode au jazz et à ses racines africaines avec « Saxo Bird » de Patrick S. Vast, où l’on croise l’âme et le fantôme de Charlie Parker.

Citons également, avec des degrés de réussite divers et avec des écritures souvent purement fonctionnelles, l’essai érotico-mythologique avec la «  Lettre morte » de Serena Gentihomme consacrée aux frasques égyptiennes du dieu Seth, un autre récit égyptien avec « L’Ankh  » de Jacques Mercier, un récit égyptien encore avec la « Rose blanche du Caire », histoire de momie contée par Gudule  ; une fable classique pour « Jahia  » de Céline Guillaume ; un conte préhistorique intégrant un artefact cubique évoquant plus le talisman lovecraftien que le parallépipède d’Arthur C. Clarke avec « Gro-Mak-Gra-Che  » de Boris Darnaudet  ; la magie, hommes-léopards et des dieux anciens du Bénin avec « La résurrection d’Olokûn » de Jérôme Félin ; le passé, le futur et ça part joyeusement dans tous les sens avec « Amazulu est de retour  » de notre collaborateur Gulzar Joby  ; une histoire familiale pour « Les Eléphants de Sankuru » de Rose Berryl  ; une plongée dans les racines des mythes et des empires africains sous influence de Charles R. Saunders chez Kwamé Maherpa avec « Sécheresse et chaos  » ; une pyramide mystérieuse avec « Semences du désert » de Marc van Buggenhout ( nouvelle la plus longue du récit, et celle qui aurait eu le plus à gagner d’un véritable accompagnement éditorial : coquilles, soucis de grammaire, dialogues superficiels et peu crédibles, répétitions omniprésentes), et enfin plongée pour un voyage à la fois initiatique et salvateur pour Jean Milleman dans « Le Monde d’en-dessous  ».

Au total, dix-neuf nouvelles où l’Egypte se voit clairement sur-représentée vis-à-vis des autres pays africains, sans doute en raison de la place particulière qu’elle occupe depuis longtemps dans les littératures de l’imaginaire. En ce qui concerne les pays – réels ou imaginaires – d’Afrique subsaharienne, on a l’impression que nombre d’auteurs ont peiné à rendre leurs ambiances, leur âpreté, leur magie, et que le choix fait par certains d’emprunter le chemin ouvert par leurs contes, leur folklore, les a en quelque sorte empêchés d’en faire des récits à part entière, comme si la distance, à la fois physique et mentale, rendait l’appropriation de certaines thématiques particulièrement ardue. Mais n’est pas Joseph Conrad ou Lucius Shepard qui veut, et on ne saurait reprocher à un petit éditeur de ne pas avoir rassemblé que des récits d’exception. Il n’empêche : thématiques et genres divers, approches variées et auteurs de tous bords font de « Légendes d’Afrique » une anthologie ouverte et riche, composée de textes accessibles à tous et où chacun devrait trouver, ici et là, plusieurs nouvelles à son goût.

Sommaire :

- La rose blanche du Caire (GUDULE)
- Celle-qui-conte (David BRY)
- Gro-Mak-Gra-Che (Boris DARNAUDET)
- Jahia (Céline GUILLAUME)
- L’ânkh (Jacques MERCIER)
- La résurrection d’Olokun (Jérôme FELIN)
- Qui se souvient encore de moi ? (Emmanuelle NUNCQ)
- Saxo Bird (Patrick S. VAST)
- Anima mea (Alain DARTEVELLE)
- Lettre morte (Serena GENTILHOMME)
- Amazulu est de retour (Gulzar JOBY)
- Les éléphants de Sankuru (Rose BERRYL)
- Sécheresse et chaos (Kwamé MAHERPA)
- La robe d’écailles (Brice TARVEL)
- Sables (Christophe COLLINS)
- La fille qui fut promise au Dieu-Serpent (Fabien CLAVEL)
- Semences du désert (Marc VAN BUGGENHOUT)
- Emela-Ntouka (Sophie DABAT)
- La voie du dessous (Jean MILLEMANN)

Titre : Légendes d’Afrique
Anthologiste : Marc Bailly
Couverture : Jimmy Rogon
Éditeur : Elenya
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 397
Format (en cm) :15 x 21 x 3,3
Dépôt légal : janvier 2015
ISBN : 9791092512342
Prix : 18€



Hilaire Alrune
7 avril 2015


JPEG - 19.7 ko



JPEG - 16.3 ko



Chargement...
WebAnalytics