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Eutopia
Jean-Marie Defossez
Seuil jeunesse, roman (France), science-fiction, 222 pages, octobre 2014, 14€

Orian vit à Eutopia, la ville-dôme qui abrite les 1300 derniers humains de la Terre polluée et détruite. Il vient de se faire transférer dans un nouveau corps, jeune, un processus qui lui assure que quasi-immortalité. Mais depuis cette « renaissance », Orian doute. De leur monde de vie, une fête perpétuelle, tandis qu’à l’extérieur des hommesGM, des créatures humanoïdes génétiquement modifiées pour survivre aux conditions difficiles, fournissent la ville en bléGM, une céréale qu’Eutopia brûle pour produire son énergie.
Lorsqu’une femmeGM s’introduit dans Eutopia et tombe sur lui, littéralement, il refuse de la livrer aux robots C-HERES de sécurité. Avec Tiris, sa future compagne désignée, il décide de fuir la cité avec Wouane, vers la colonie agricole d’Oldiork. Là, il va découvrir le prix du confort des Eutopiens, et décide de changer les choses : il va rentrer à Eutopia plaider la cause des hommesGM, qu’il considère comme des humains, voire plus humains que lui.
Et de découvrir l’amère vérité qui se cache derrière tout cela.



J’avoue avoir été un peu déstabilisé face au roman de Jean-Marie Defossez. « Eutopia » peut être lu dès 10-12 ans, car les sujets sont abordés sans fard, appuyés de notes sur le monde d’aujourd’hui, et la candeur d’Orian, tout en idéalisme, et la franchise de Wouane ne laissent guère de place à l’hésitation ou la nuance. Cette « absence de subtilité » et de circonvolutions, qui fait que le message passe sans filtre, sans contradiction, n’était pas un mal, même s’il risque d’ennuyer un peu le lecteur plus âgé qui espérera plus de subtilité, et qui devra pour cela attendra la scène finale et sa grande révélation. Bon, si vous avez vu « Matrix », c’est du même ordre, un petit twist qui remet les choses en perspective.

Sur le fond, « Eutopia » nous décrit un monde dévasté, où une poignée de milliardaires survit dans le luxe et le confort tandis qu’au-dehors, la population maintenue dans la misère, gavée de médicaments pour supporter l’atmosphère délétère et soumise à diverses mutations pour endurcir les corps et adoucir les esprits, trime pour leur assurer ce confort. Jean-Marie Defossez s’appuie, hélas, sur des réalités actuelles qu’il amplifie à peine : les céréales OGM stériles qui empêchent les agriculteurs de planter les fruits de leur récolte et les obligent à racheter des semences chaque année (et les bons produits qui vont avec), la précarité alimentaire (tu travailles, tu manges, tu travailles pas, et ben...) et sanitaire (avec son VaXin, une injection qui protège pour un an, sans laquelle on meure : excellent moyen de pression pour contrôler la population, sa croissance, etc.). Oldiork, une New York dévastée, pillée de son précieux métal à l’exception de la Statue de la Liberté, vénérée comme une déesse, est une cité-dortoir entourée de champs, où quelques robots et ordinateurs s’assurent que les hommesGM travaillent, dispensant outils, alimentation et médicaments aux actifs, ne s’inquiétant pas des autres. Les hommesGM ne sont de toute façon que des numéros, des RIB.
Le grand méchant, aujourd’hui et dans le futur d’« Eutopia », c’est l’argent. Les banques, le capitalisme, les grands groupes, qui ont acheté la Terre, l’ont pressurée et, quand elle s’est appauvrie, n’ont ni freiné ni fait machine arrière, au contraire : ils ont juste creusé le fossé entre les très riches, qui pouvaient continuer à « consommer », et les autres (qui peuvent crever). Chez Jean-Marie Defossez, avec Orian et l’espoir qu’apportent ses idées à Oldirok, c’est la solidarité, toujours présente chez les hommesGM, qui renaît à grande échelle.

J’ai dit au début qu’il y avait peu de contradiction dans cette histoire. Tout ne coule pas tout à fait de source : le personnage de Tiris, la compagne attribuée à Orian, est là pour incarner le refus du changement et l’incompréhension de vouloir établir l’égalité. Elle a toujours vécu dans le luxe, et certains de ses arguments feraient presque mouche, vus de son côté : est-il vraiment utile de mettre fin à la vie paradisiaque de 1300 privilégiés pour adoucir celle de millions d’hommesGM ? N’est-ce pas prendre beaucoup à peu pour redonner finalement très peu à beaucoup ? Orian pense que le jeu en vaut la chandelle. Ce n’est pas qu’une question d’argent ou d’égalité, mais de respect de l’Autre.

« Eutopia » fourmille de petits détails très révélateurs, et propices à la réflexion chez les plus jeunes. Par exemple, Orian est grand et athlétique, Tiris a un corps de déesse, et Wouane, sale, couverte d’écailles sur les joues et de chitine sur le torse. Et pourtant, très vite, Orian se sent attiré par la jeune femmeGM, qui pense, se rebelle, ne baisse pas les bras, et n’est pas qu’une poupée vide, bien que Tiris, toute formatée qu’elle soit, fasse montre de quelques qualités.
On s’en doute, la rivalité entre les deux femmes sera un moteur des événements : Tiris devra changer pour conserver l’amour d’Orian, pour réellement créer ce lien entre eux, qui semblait pourtant aller de soi à Eutopia. Elle devra faire siennes ses idées, ses choix. Orian, quant à lui, devra aussi faire son choix entre les deux femmes (pas question de bigamie !). Heureusement, l’intrigue vient à sa rescousse.

Le twist final est un moment de grande tension, mais on regrette presque que les choses s’arrêtent là, car comme dans les contes de fées, dans la reconstruction d’une société harmonieuse, c’est le « Et après » qui est difficile à gérer. Surtout à l’échelle planétaire.

Un très bon roman pour forger les jeunes esprits, qui sont notre avenir.


Titre : Eutopia
Auteur : Jean-Marie Defossez
Couverture : Raphael Gauthey
Éditeur : Seuil
Collection : Jeunesse
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 222
Format (en cm) : 20,5 x 14 x 2
Dépôt légal : octobre 2014
ISBN : 9791023503159
Prix : 14 €



Nicolas Soffray
30 janvier 2015


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