Dernière Lame (La)
Estelle Faye
Le Pré aux clercs, Pandore, roman (France), fantasy, 451 pages, novembre 2012, 16€
Le monde est menacé de submersion. Les eaux montent, comme pour laver la Terre de l’Humanité. Sans rien qui puisse l’enrayer. A moins que... Un savant croit qu’il est possible d’enrayer le phénomène. Mais tout s’enchaîne malheureusement : son enquêteur, qui détient l’information primordiale, tarde à rentrer, et le savant est tué par la foule en colère pour une broutille. Sa fille, jeune et frivole, échappe de peu au pogrom pour tomber, épuisée, entre les griffes de l’Église des Cendres. Elle se réveille, amnésique, pour devenir Marie des Cendres, une guerrière implacable au visage masqué. Toujours en première ligne, elle repousse les monstres sortis des mers. Puis sa hiérarchie l’envoie, avec sa troupe, dans les terres, convertir les peuples au culte apocalyptique des Cendres. Rien ne l’arrête, aucun remords, tant elle est convaincue de son combat. Puis vient Vorastburg, une cité à faire tomber, par la ruse. Une cité où officie, proche du pouvoir, Joad, un autre amnésique, aux prothèses mécaniques, qui va refuser l’omniprésence des Cendres. Sans savoir à quel raz-de-marée il s’oppose. Les deux champions s’observent, s’affrontent malgré leurs ressemblances, échoueront malgré la force de leur conviction, contre un ennemi plus fort. Tout deux disparaîtront du jeu, avant d’y revenir, par choix, ou contraint, pour le dernier acte de la fin du monde.
« La Dernière Lame » est un des très nombreux bijoux de la regrettée collection Pandore. Dès les premiers chapitres, on est frappé par la profusion d’images et d’univers qui naissent sous la plume d’Estelle Faye. Car nous allons voyager, sur une bonne partie des terres qui émergent encore du globe. Inspirations asiatiques et vénitiennes pour commencer, avant d’en venir à une pure dark fantasy médiévale qui nous emmèneront en terres celtes puis germaniques. Et de repartir finalement vers l’Orient.
Cela peut sembler beaucoup, en si peu de pages. C’est le cas. Rencontrée à Lyon lors d’une dédicace à la librairie Trollune il y peu, Estelle Faye ne cache pas que son histoire était initialement prévue pour trois volumes, et qu’elle l’a adaptée à la contrainte d’un volume seul pour Pandore. Cela a des avantages, et des inconvénients.
Découpé en trois grandes parties, « La Dernière Lame » peut en effet sembler à l’étroit dans ses 450 pages. Le double n’eut sans doute pas été désagréable, pour l’auteure ou le lecteur. Mais cet exercice de la brièveté oblige à des ellipses, pour une concentration sur les scènes majeures, et n’est souvent pas dommageable au récit, au contraire, il lui donne une intensité de presque tous les instants, un rythme quasi cardiaque, tantôt lent, souvent rapide, tandis que Marie mène ses batailles, l’arme à la main ou de manière plus sournoise, entièrement dévolue à sa cause.
Mais « La Dernière Lame » n’est pas qu’épique. C’est avant tout un formidable plaidoyer pour la liberté, individuelle et collective, et contre l’obscurantisme religieux, contre ses fois sans échappatoire qui asservissent le corps comme l’esprit. Marie est une esclave inconsciente, mais les souvenirs qui remontent parfois mettent son esprit et sa détermination à l’épreuve. Face à elle, Joad incarne l’aliénation du Bien, comme tout médecin attaché à sauver ses patients à tout prix. Si ses prothèses incarnent le mystère de son passé, au même titre que le masque de Marie, ils sont aussi liés par leur absence de passé, qui les rongent chacun à leur façon.
La narration passe de l’un à l’autre, orientant subtilement notre point de vue sur la situation. Au point de nous faire réaliser que nous aurions suivi Marie presque aveuglément jusqu’au bout s’il n’y avait pas eu l’écueil de Vorastburg. Joad refuse de laisser cette marée sombre tout recouvrir sur son passage, refusant la survie au prix demandé. C’est sa voix, celle du refus, que nous suivrons donc, tandis que la politique éloigne Marie du pouvoir. Car comme toute championne, elle fait des envieux, qui unis surpassent sa puissance, sur des champs de bataille dont elle ignore tout : les coulisses du pouvoir. Écartée et recluse dans un couvent tandis que Joad prend la fuite vers l’Orient, la troisième partie s’ouvre comme un renoncement au combat, elle annonce en réalité un ultime et fatal sursaut des forces en puissance, cette dernière lame qui ravagera tout. Le Destin semble être à l’œuvre, les pions sont en place...
Un jour, peut-être, Estelle Faye réécrira cette histoire, en lui donnant toute l’ampleur qu’elle désirait. Mais elle n’a pas à rougir de cette version, menée tambour battant, dont les blancs sont des terrains de jeu à notre imagination que la richesse de son texte n’a aucun mal à nourrir d’abondance. Comme un bon film, « La Dernière Lame » nous conte une histoire complexe, qui ne nous dit et ne nous montre que le strict nécessaire, sans s’étendre inutilement sur ce qui ne sert pas l’intrigue ou notre compréhension des personnages. Mais c’est un roman, on peut s’arrêter, prendre le temps de regarder, page après page, chaque détail, et le savourer.
Titre : La Dernière Lame Auteur : Estelle Faye Couverture : Benjamin Carré Éditeur : Le Pré aux clercs Collection : Pandore Site Internet : page roman (site éditeur) Pages : 451 Format (en cm) : 22,5 x 14 x 3,5 Dépôt légal : novembre2012 ISBN : 9782842284862 Prix : 16 €
Nicolas Soffray
14 janvier 2015
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