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Guerre de 14 n’a pas eu lieu (La)
Alain Grousset
Flammarion, roman (France), uchronie, 166 pages, août 2014, 13€

L’attentat contre l’archiduc Franz Ferdinand a échoué. Plutôt qu’un conflit ouvert, les grandes puissances européennes, notamment la France et l’Allemagne, se sont repliées sur elles-mêmes, suspicieuses, en s’entourant de fortifications. Cent ans plus tard, la Ligne Maginot court du nord au sud, sur 500 km, et fait face à son reflet allemand, la Ligne Siegfried. La population française, tournée vers cet effort permanent de défense, souffre de pénuries et accuse un grand retard technologique, qu’elle ignore faute de contacts avec les autres pays.
Constance, une Alsacienne de Nancy, est une jeune femme dérangeante : elle s’insurge contre le rôle inférieur auquel on cantonne les femmes, dépendantes de leur père ou de leur mari. Elle est libre et rebelle.
Son ascendance alsacienne, son intelligence et sa maitrise de l’allemand vont la conduire à être recrutée par les services secrets français, qui ont besoin d’une espionne à envoyer de l’autre côté du Mur. Car l’Allemagne vient de mettre au point une arme terrifiante, qui peut mettre en danger le statu quo actuel. Il faut donc que la France récupère les plans de cette bombe...



Pour les plus jeunes qui n’ont pas lu « Le Maître du Haut Château » de Philip K. Dick (ne le faites pas avant quelques années, c’est un bouquin affreusement compliqué) où c’est l’Allemagne et le Japon qui ont gagné la 2e Guerre mondiale, Alain Grousset part un peu du même principe : dans « La Guerre de 14 n’a pas eu lieu », eh bien... tout est dans le titre.
Alors si ce roman jeunesse est une aventure, avec une héroïne qui devient espionne et part récupérer les plans de la bombe atomique, tout comme son illustre aîné américain c’est surtout un moyen, en arrière-plan, de dépeindre la société de cette variante de notre XXe siècle. Et de se dire, pour un peu, que la guerre a du bon.

Surtout pour les femmes. De leur rôle suite à la Première Guerre (faire vivre leur famille sans homme à la maison), et durant la Seconde (remplacer les hommes dans l’industrie), elles ont gagné, à la sueur de leur front, leur indépendance, le droit de vote, la reconnaissance de leur égalité. Toutes choses absentes du 2014 d’Alain Grousset. Constance, malgré sa réussite des concours de l’administration, sait qu’elle n’aura pas de poste, puisque les hommes sont prioritaires. Voyager seule, lire le journal en public, travailler pour vivre (!), et bien sûr ne pas être mariée, son quotidien est une offense aux dames bien pensantes.

Son entrée aux services secrets va nous faire découvrir un certain envers du décor. La population est maintenue dans une certaine misère et accuse un retard technologique comparé à notre 2014 : files d’attente devant les magasins (comme durant l’Occupation allemande), pénuries régulières, voitures rares et au charbon, TGV qui fonctionne à la vapeur et zeppelins... Toute la recherche et l’économie nationale sont concentrées par l’armée, détournées au profit de la Défense. Les services secrets ont à disposition des micro-ordinateurs, des puces GPS subdermiques... et même un satellite et des drones. Le roman prendrait presque des couleurs de steampunk avec ce mélange d’époques. La magnifique illustration de Miguel Coimbra achève de donner le ton.

Du coup, l’aventure ressemble à une histoire d’espionnage durant la Seconde Guerre mondiale, dans une Allemagne secouée par quelques mouvements de révolte anti-Mur.

Roman jeunesse oblige, je serai indulgent : il y a tellement de choses à faire tenir dans ces 160 pages, qu’une rallonge de 50 n’eut pas été de trop. Alain Grousset martèle un peu son message, tant sur l’émancipation des femmes avec une Constance rebelle et têtue, que sur cette guerre froide qui persiste depuis un siècle. Vers la fin, tout s’enchaîne presque trop vite, et pour le mieux du monde, dans un happy end un peu facile. L’épilogue, rempli de bons sentiments, est même de trop.

Malgré cela (et une grosse poignée de coquilles qui me piquent toujours les yeux en jeunesse), cette uchronie est très plaisante à dévorer, et on apprécie particulièrement qu’Alain Grousset, par un savant mélange des grands éléments de notre XXe siècle, nous brosse ici une alternative convaincante tant historique que sociale. Les grands lecteurs comme moi peuvent bien chercher la petite bête et la trouver (comme le salon « VIP », alors qu’on a coupé les ponts avec l’Angleterre), mais les ados trouveront là de quoi réfléchir à notre société actuelle, son évolution, et l’état actuel du monde.
(Je rappelle au passage que la Corée du Nord vit renfermée, qu’Israël s’entoure aussi de murs, et que l’égalité hommes-femmes n’est pas une évidence dans les faits et surtout dans les mentalités sur une grande partie du globe...)


Titre : La Guerre de 14 n’a pas eu lieu
Auteur : Alain Grousset
Couverture : Miguel Coimbra
Éditeur : Flammarion
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 166
Format (en cm) : 21 x 1,5 x 1,6
Dépôt légal : août 2014
ISBN : 9782081331358
Prix : 13 €



Nicolas Soffray
14 septembre 2014


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