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Dernières nouvelles de Majipoor
Robert Silverberg
ActuSF, nouvelles (USA), planet opera, 448 pages, juin 2014, 20€

Quelles sont les origines de la guerre contre les métamorphes ?
Comment écrit-on l’Histoire ?
Que devient la Légende face à l’archéologie ?
Que trouve-t-on en apprenant la magie ?
Combien coûte un philtre d’amour ?
Peut-on racheter une vie d’échecs ?
Qui écrit l’Histoire ?
Toutes questions qui trouveront réponses ici.



Honte sur moi (et peut-être aussi sur vous) qui n’ai pas lu du cycle de Majipoor plus que la quatrième de couverture des deux volumes du « Château de Lord Valentin » parus il y a fort longtemps chez J’ai Lu. Lire c’est choisir, et beaucoup lire c’est souvent choisir quel tome peut attendre et l’autre pas. Bref, c’est en dévorant, sur ma liseuse, les 450 pages de ce recueil que j’ai infiniment regretté de ne m’y être pas plus tôt intéressé.

Mais ce n’est point grave. Parce que ce recueil ne nécessite pas de connaissance préalable du monde de Majipoor pour être apprécié. Avoir lu le cycle vous fera sans doute, arrivé en terrain connu, tiquer immédiatement en lisant le nom de Stiamot dès “Le Bout du Chemin”, ou vous fera juger superflus les très brefs rappels de la carrière de Valentin dans “Le Septième Sanctuaire”.

Tout ce qui est indispensable pour comprendre Majipoor, son histoire plurimillénaire, sa politique, ses luttes raciales, sa magie, est distillé avec légèreté, le moment venu. Ces 7 textes balayant des millénaires, l’éditeur nous les présente chronologiquement, aussi chacun fait-il écho au(x) précédent(s) et à notre savoir encore neuf.

S’il enchantera certainement les amateurs du cycle, cet ouvrage est donc aussi une formidable porte d’entrée sur cet univers foisonnant tant que sur le talent de Robert Silverberg, qui passe de la grande à la petite Histoire et se plaît parfois à emmêler les deux.

Le Bout du Chemin” revient sur les jours avant que Stiamot devienne Coronal. Venu enquêter sur les Métamorphes, le peuple indigène et opprimé de Majipoor, ce conseiller du Coronal espère œuvrer à la paix et à la réconciliation. Hélas... il passera, comme les fidèles lecteurs le savent, toute sa charge de Coronal à leur faire une guerre sans pitié. On apprend ici pourquoi.

Dans “Le Livre des Changements”, on suit un cadet de Coronal, autant dire rien dans ce système politique où le pouvoir n’est pas héréditaire, qui souhaite, par son talent pour les mots, laisser une trace dans l’Histoire. Parti explorer le désert, quittant la mégapole de la capitale, il tombe entre les mains d’un petit bandit de campagne se rêvant grand seigneur. Là, captif, visité en songes par les pontifes passés et à venir, et enchanté par la magie des lieux, il va écrire une hagiographie complète qui, il ne s’en doute pas, fera autorité dans les siècles et les millénaires à venir. De quoi nous interroger sur nos propres sources historiques...

Avec “La Tombe du Pontife Dvorn”, la petite histoire rencontre la grande. Deux chercheurs entreprennent des fouilles archéologiques sur le supposé tombeau du premier Pontife, sans se soucier des intérêts politiques et économiques qui guident leurs commanditaires. Lorsqu’il leur sera impossible de se voiler la face, leur amitié résistera-t-elle à leur intégrité ou leur ambition ?

L’Apprenti en sorcellerie”, “Heures sombres au Marché de minuit”, et “De la manière de tisser des sorts à Sippulgar”, curieusement trois histoires de magie, sont totalement déconnectées de toute trame politico-historique. La première voit un jeune homme, voulant appendre la magie, lentement tomber amoureux fou de sa glaciale et intouchable professeure - une très belle histoire. La seconde met en scène deux magiciens, tenant une boutique sur le déclin, qui font une affaire fort lucrative -ils en avaient besoin- mais ô combien risquée, en vendant un philtre d’amour que leur client veut employer sur une demoiselle très très en vue. Enfin, la dernière narre le voyage d’un marchand à la recherche de son beau-frère, qui n’a jamais été bon à rien. La petite enquête qu’il mène oscille longtemps entre véritable mystère et ultime arnaque qui a mal tourné...
Nouvelles « d’ambiance », ces trois textes quasi dépourvus de références historiques n’en sont que plus faciles à lire, et presque troublants, car on ignore, lecteur éclairé ou néophyte, où l’auteur nous emmène. Et dans ce cas, si la magie sous-tend les trois, ce sont trois histoires totalement différentes dans leur récit, leur ton et leur forme.

Le recueil se clôt sur “Le Septième Sanctuaire”, où nous retrouvons un Valentin plus âgé, devenu Pontife. Venu enquêter au sujet - fait rare sur Majipoor - d’un meurtre qui pourrait raviver des tensions avec les Métamorphes, il revient dans une antique cité, en ruines, abandonnée et maudite par les métamorphes après que son roi eut sacrifié deux dragons des mers. Si toute la carrière politique de Valentin (et c’est là qu’on appréciera d’avoir lu le cycle) l’a conduit à rapprocher humains et métamorphes, et permettre ces fouilles archéologiques conjointes, ce crime pourrait déclencher une nouvelle guerre...
Si bien évidemment cette nouvelle doit avoir plus de saveur après la lecture des aventures initiales de Valentin, ces dernières sont adroitement résumées en quelques phrases, ses compagnons resitués dans le paysage, aussi ne souffre-t-on pas d’ignorance. Pour le reste, les nouvelles précédentes, principalement “Le Bout du Chemin”, nous auront donné les raison des tensions.
On appréciera d’y trouver un héros vieilli, fort certes de ses aventures passées, humble et puéril à la fois (il a fui le Labyrinthe où il est censé être reclus en tant que Pontife), mais n’hésitant pas à user de son pouvoir, celui de la première puissance de la planète, pour imposer ses décisions quelles qu’elles soient, aussi arbitraires puissent-elles paraître aux autres protagonistes. Si l’enquête s’avère assez laborieuse, les évènements qui accompagnent sa résolution, et la grande révélation qui en découle, feront frémir le lecteur, ouvrant des perspectives inédites, nous laissant rêver que l’histoire de Majipoor n’ait pas de fin.

La nouvelle est une forme d’autant plus appréciable quand elle vient alimenter un cycle qui se mesure en milliers de pages. Et ce magnifique volume, dense et varié, donne la pleine mesure du talent de Robert Silverberg, et la richesse de son univers.


Titre : Dernières nouvelles de Majipoor (nouvelles)
Auteur : Robert Silverberg
Traduction de l’anglais (USA) : Eric Holstein, Florence Dolisi, Jean-Pierre Pugi
Couverture : Jung Shan Chang
Contenu :
- Le Bout du chemin (inédit)
- Le Livre des Changements
- La Tombe du Pontife Dvorn (inédit)
- L’Apprenti en sorcellerie
- Heures sombres au Marché de minuit (inédit)
- De la manière de tisser des sorts à Sippulgar (inédit)
- Le Septième Sanctuaire
Éditeur : ActuSF
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 448
Format (en cm) :
Dépôt légal : juin 2014
ISBN : 9782917689646
Prix : 20 €

- Disponible également en version numérique, PDF ou ePub sans DRM
Prix : 10,99 €



Chronique établie d’après la version numérique.


Nicolas Soffray
1er août 2014


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