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Zoo de Mengele (Le)
Gert Nygǻrdshaug
J’ai Lu, roman traduit du novégien, thriller, 407 pages, mai 2014, 19,90€

L’Amérique du sud et l’Amérique centrale : la richesse, la profusion, la nature exubérante, mais aussi les massacres et les dictatures, l’oppression perpétuelle des populations par les grandes exploitations ou les multinationales. La misère et les révolutions, en règle générale écrasées dans le sang. Dans ce chaudron bouillonnant, qui a déjà donné de grandes œuvres à la littérature, Gert Nygårdshaug vient inscrire un éco-thriller à la fois poétique et violent, optimiste et désespéré.



Mino Aquiles Portuguesa vit dans un village d’Amazonie. Pauvreté, misère, mais aussi splendeurs de la jungle. Les habitants cultivent leur lopin de terre, meurent jeunes, survivent comme ils peuvent. Le père de Mino parvient à nourrir sa famille en chassant les papillons les plus spectaculaires – les fameux Morphos – qu’il envoie ensuite, loin de là, à la capitale du district. Une existence humble et pauvre, et qui pourrait être paisible sans le joug conjugué, et complice, des grands exploitants et de la dictature militaire : assassinats, viols, torture et autres exactions se répètent, loin de tout regard et dans l’impunité la plus totale. Et lorsque les riches et puissants dévastent la forêt pour y exploiter le pétrole, et que les pauvres cultivateurs devenus sans terre réclament leur part, ou, tout au moins, un emploi, on fait venir les hélicoptères et l’armée et on liquide tout le monde, femmes et enfants compris. Pas une fiction, mais une réalité sans cesse répétée.

«  Aujourd’hui, la planète entière est devenue un zoo de Mengele. Sans l’aide de Josef Mengele. Une horrible maison de fous.  »

Seul survivant du massacre, Mino Aquiles Portuguesa se retrouve orphelin, choqué, livré à la jungle. Il est recueilli par un magicien itinérant qui, lui aussi, survit tant bien que mal avec ses tours et ses illusions. Dans cette errance teintée de poésie et de magie – y compris celle d’une plante amérindienne mythique qui permet de résister au feu – l’âpreté de l’existence dans un pays difficile ne s’éteint hélas jamais. Bientôt, l’homme et l’enfant sont obligés de fuir d’un pays à l’autre – des pays sud-américains jamais nommés mais dont on peut avoir une idée par le biais du vocabulaire ou des monnaies utilisées, des pays soumis à des dictatures, des juntes militaires, des multinationales et leurs armées privées, et où exactions, liquidations, tortures, assassinats de masse sont monnaie courante. Le magicien aura droit à un destin immonde, et Mino Aquiles Portuguesa reprendra son errance.

«  Celles ci se résumaient à une lutte sans compromis sous le signe de la révolution, dont les résultats ne se mesureraient pas en termes de position et de pouvoir personnel, mais par la gratitude d’êtres sans voix . »

On le devine : la référence à Josef Mengele, l’un des plus immondes tortionnaires que la Terre ait jamais porté, et qui trouva dans les dictatures sud-américaines un accueil complaisant, n’a ici rien d’anecdotique. Le lecteur attentif notera également que si l’élégante illustration de couverture peut donner l’impression que le contraste ne rend pas pleinement hommage à son auteur, Nicolas Galy, la carte de l’Amérique du sud n’apparaissant sur la partie haute, le dos et la quatrième que si on les regarde de manière approfondie, peut-être est-ce voulu, l’océan de ténèbres dans lequel baignent les splendeurs sud-américaines n’étant visibles que si l’on se penche sur ces pays avec un regard autre que superficiel.
C’est donc avec toute l’acuité du regard d’un enfant, puis d’un adolescent, que se dévoile ce monde et ceux qui sans aucun scrupule le régissent. Les autres épreuves par lesquelles passera Mino Aquiles Portuguesa en feront un tueur, par soif de vengeance, par instinct de survie, mais aussi pour des motifs plus élevés. L’adolescence, la fréquentation des milieux étudiants, la cristallisation progressive vers la tentation révolutionnaire (sont cités au passage les écrits de Guevara et « Le Llano en flammes » de Juan Rulfo, consacré au Mexique, et comment ne pas penser à « La révolte des pendus » de Bernard Traven ?) dans laquelle se mêlent la soif de justice et les préoccupations écologiques qui lui sont étroitement mêlées, la destruction intégrale de « niches écologiques » ou de milieux entiers conduisant non seulement à des extinctions végétales ou animales, mais également humaines.
« Le Zoo de Mengele  » a pour qualité indiscutable de ne faire ni dans l’angélisme, ni dans la caricature. Une forte teinte écologiste, mais aucune trace d’écologisme primaire. Le progrès y est mesuré à l’aune de l’extermination de tribus amérindiennes mais aussi d’autres populations, aux assassinats de masse, à la paupérisation née de la rapacité et de la violence des nantis, une rapacité et une violence qui semblent inextinguibles. Comme trouver justice ? Un acte terroriste faisant exploser un avion de ligne ? Insoutenable, réellement ? Mais la pauvreté concertée, organisée, explique un universitaire (bientôt « liquidé » par le pouvoir en place), c’est l’équivalent, en termes de mortalité, de la population de trois cents avions de ligne par jour.

«  La société humaine, avec ses villes, ses voitures, son bitume et son pétrole n’est qu’un corps sans tête. Une tumeur grandissante, folle et dangereuse.  »

On notera, dans l’aspect « thriller » de ce roman, et particulièrement dans sa dernière partie, une petite pointe de naïveté, les éco-vengeurs se fondant à la perfection dans les pays étrangers et y assassinant pontes et chefs d’entreprise (sans compter la destruction d’un gratte-ciel à l’explosif) avec une facilité et une impunité bien peu vraisemblables. De même, on verra dans le fait que ces actions trouvent dans la population planétaire un écho favorable une nette manifestation d’optimisme : on peut douter qu’avec le grand conditionnement médiatique imposé par les dirigeants un tel écho puisse, dans le monde réel, apparaître aussi clairement. Il n’empêche : cet optimisme est contrebalancé par une fin âpre et douloureuse, ambiguë, que l’on peut voir comme une fin ou au contraire une ouverture.

Un roman toujours d’actualité

Si « Le Zoo de Mengele » a été initialement publié en Norvège en 1989, et si depuis lors les inégalités les plus flagrantes ont commencé à s’atténuer dans quelques pays d’Amérique latine, son discours reste néanmoins parfaitement actuel. Inégalités et destructions ne font que s’aggraver, parfois à une vitesse toujours croissante, dans diverses parties du monde, et la lecture de tels ouvrages, et mettant l’accent sur ce que l’on refuse en général de voir ou de comprendre, pourra être bénéfique à plus d’un adulte ou d’un adolescent.

Récit inclassable qui emprunte à des veines différentes – le roman fleuve, le roman d’aventures, le thriller – « Le Zoo de Mengele », à la fois riche et dense, à la fois âpre et puissant, parfois réaliste et violent, comme le sont souvent les romans sud-américains ou consacrés à ce continent, ne saurait pour autant être limité à ces aspects. On y trouve également de nombreuses notes de poésie, et, à travers les légendes amazoniennes et les manifestations – en apparence inexplicables – de la terre-mère Gaïa en réaction aux actes du groupe Mariposa, une petite touche de fantastique qui n’est pas sans évoquer d’autres grandes œuvres sud-américaines. Une belle publication, donc, et un roman qui, on l’espère, trouvera comme dans son pays d’origine un succès mérité.


Titre : Le Zoo de Mengele (Mengele Zoo,1989)
Auteur : Gert Nygǻrdshaug
Traduction du norvégien : Hélène Hervieu et Magny Teles-Tan
Couverture : Nicolas Galy
Éditeur : J’ai Lu
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 408
Format (en cm) :15 x 21 x 2,7
Dépôt légal : mai 2014
ISBN : 9782290083239
Prix : 19,90 €



Hilaire Alrune
1er septembre 2014


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