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Blood Song, tome 1 : La Voix du Sang
Anthony Ryan
Bragelonne, roman traduit de l’anglais (USA), fantasy, 672 pages, juin 2014, 25€

Vaelin al Sorna, général, Epée du Royaume, fils d’un ancien Seigneur de guerre, frère du Sixième Ordre, favori du roi Janus, est captif de l’Empire qui va l’envoyer à la mort dans un duel d’honneur. A bord du bateau qui le conduit à son trépas programmé, l’historien impérial, passées ses réticences initiales, commence à parler avec cet homme qui, au nom de son roi, a envahi l’Empire, tué son prince héritier et tenu son armée en échec. Curieux, il veut connaître sa version de l’histoire. Il ne va pas être déçu.



Vaelin raconte donc son histoire. Il nous la raconte, et lors des interludes qui nous ramènent sur le bateau, on réalise qu’il ne dit pas tout à son interlocuteur. Omissions, élisions, chacun s’arrange avec la vérité.
J’ai commencé à vous en parler ici.
Fils du Seigneur de guerre de l’époque, le général en chef des armées royales, Vaelin était destiné au métier des armes. C’est donc avec surprise que, peu après la mort de sa mère, il est abandonné par son père à la porte du Sixième Ordre, la branche guerrière de la Foi, indépendante du pouvoir royal. Pourquoi ? Des années durant, il s’interrogera. Pour empêcher Janus, le roi dit fou, de le prendre sous sa coupe, comme son père ? Un père qui, rapidement, abandonne sa fonction, un acte à la limite de la trahison.

Devenu apprenti du Sixième Ordre, il fait l’apprentissage rude des armes. Sous la tutelle de différents frères maîtres, avec ses camarades de dortoir vite devenus de bons et fidèles compagnons, il apprend le combat, la survie, la forge, la stratégie. L’Ordre est une force auxiliaire du royaume, indépendante de la couronne, mais une troupe d’élite, garante de la foi. Le Sixième Ordre accompagne souvent le Quatrième, chargé de la traque des hérétiques. Mais c’est du Cinquième, l’ordre guérisseur, que Vaelin se rapprochera davantage, y découvrant certains secrets concernant sa famille.

Les deux premières parties concernent les années d’apprentissage de Vaelin. Chaque domaine est sanctionné, en fin d’année, par une Épreuve. La première, une course d’orientation nocturne, manque être fatale à Vaelin, qui doit sa vie à un loup gigantesque qui se débarrasse d’assassins visiblement envoyés aux trousses du fils du Seigneur de guerre. Comme le pressentaient ses maîtres, il n’est à l’abri que dans les murs de l’Ordre. Le renoncement de son père calmera le jeu, et lors de l’Épreuve de survie, quelques années plus tard, il ne sera pas menacé. Il découvrira par contre d’autres aspects du monde extérieur, notamment la traque des hérétiques.
Cette première moitié, en gros, est assez « scolaire », ne serait-ce que par son cadencement, ses apprentissage, et un rythme presque régulier d’épreuves, prévues ou non, qui forgent son caractère. Je n’évoquerai aucune ressemblance supplémentaire avec un certain petit sorcier balafré, pour préférer un rapprochement avec « l’Assassin Royal » de Robin Hobb. On retrouve les thématiques du déracinement, d’un nouveau foyer, d’un avenir qu’on n’a pas choisi et d’épreuves qui lentement fissurent l’image idéalisée d’un monde extérieur jusque-là inconnu. Si « La Voix du Sang » va peu à peu se tourner vers des conflits plus violents, l’écriture reste au plus près des sentiments de ces ados, de leurs liens.

Tout est très dense : chacun a un passé, des secrets. Qu’on ne les encourage pas à partager, sous prétexte qu’ils sont désormais égaux dans l’Ordre. J’ai quelque peu tiqué sur le fait que malgré cette égalité annoncé, si Anthony Ryan utilise les prénoms de ses héros dans sa narration, les maîtres les interpellent par leur patronyme, rappelant sans cesse que Vaelin est « al Sorna », donc le fils du Seigneur de guerre, tout comme un autre est fils du Premier Ministre. Tant pis pour l’égalité avec les roturiers.

Avec la fin de leur apprentissage vient le début des complots. Ils ont déjà été témoin de la traque des hérétiques, un mystérieux groupe a tenté de décapiter les Ordres, et on les envoie dans un duché rebelle remettre au pas les dissidents. Vaelin et ses compagnons découvrent les jeux de pouvoir et de manipulation du roi Janus et de sa fille. Vaelin, voulant tenir une promesse, est à la botte du roi, qui a pour lui de plus grands projets qu’il n’en eu pour son père, qui a été jusqu’à incendier des ville au nom de Janus.

C’est notamment ainsi que Vaelin part pour le sud, défier un Empire qui les laissait en paix, pour des raisons parfaitement triviales. Beaucoup de sang coulera pour rien, ou si peu. Vaelin, excellent stratège, va y parachever sa légende, et y dompter son Don, cette force mystérieuse en lui que dans les royaumes on appelle la Ténèbre, ou l’hérésie.

On aura mis quelque temps à découvrir le sens de cette Voie du Sang. Mais elle sous-tend tout le récit, comme l’Art et le Vif sous-tendent la saga de l’Assassin Royal. Derrière les batailles de « La Voix du Sang », fort bien narrées, et ses multiples complots, Anthony Ryan parle de foi, de liberté de pensée et d’expression, de différence, dans un monde où ses personnages semblent avoir un destin tout tracé. Du courage de faire les bons choix, de celui d’assumer les autres. Voilà toute la peine de son héros, assassin malgré lui, boucher émérite mais sans conviction, traître contraint à ses proches.

C’est dense, c’est complexe, il faudra attendre les dernières pages pour obtenir les ultimes réponses. C’est violent, cruel, comme on s’y attend. Mais c’est aussi beau, rayonnant, au fil des minuscules instants de joie, ces lueurs d’espoir, ces rares lumières dans les ténèbres d’un monde médiéval verrouillé et terrifiant.

Comble du bonheur, le livre sait s’achever sur la fin d’une époque, ne nous laissant pas haletant en attendant la suite (même si on le sera).

Il est difficile de s’y retrouver dans la fantasy d’aujourd’hui. Tous pondent des pavés bourrés de complots, de batailles et d’amours impossibles. Anthony Ryan le fait très bien, se hissant sans conteste au-dessus de la masse. Espérons que la sombre et sobre couverture de Didier Graffet le poussera entre les mains des lecteurs français.

Le second volume, « Tower Lord », étant paru en VO au mois de mai, espérons l’avoir pour bientôt...


Titre : La Voix du Sang (Blood Song, 2013)
Série : Blood Song, tome 1 (A Raven’s Shadow, 1)
Auteur : Anthony Ryan
Traduction de l’anglais (USA) : Maxime le Dain
Couverture : Didier Graffet
Éditeur : Bragelonne
Collection : Fantasy
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 672
Format (en cm) : 24 x 15,5 x 5
Dépôt légal : juin 2014
ISBN : 9782352947509
Prix : 25 €



Nicolas Soffray
25 juillet 2014


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