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Sherlock Holmes, détective consultant
John Bastardi Daumont
La Martinière, essai / beau livre, 206 pages, mai 2014, 32€

On connaît le succès prodigieux du personnage de Sherlock Holmes, crée en 1887. Depuis ses aventures dues à la plume de Conan Doyle, Holmes n’en finit pas de revenir, de ressusciter, de perdurer, de renaître. D’hommages en pastiches, de parodies en continuations, sans compter les adaptations théâtrales, télévisées, cinématographiques, le détective britannique aura connu mille vies, et en connaîtra sans doute bien d’autres. Mais qui était-il réellement, dans quel contexte scientifique, historique, social vivait-il ? La synthèse qu’en propose John Bastardi Daumont est intéressante à plus d’un titre.



Le contexte historique, certes – l’époque victorienne – mais aussi le contexte londonien – la manière dont les pauvres et les riches coexistent – et surtout le contexte policier – la naissance de Scotland Yard en 1829, qui ne deviendra réellement efficace qu’une cinquantaine d’années plus tard, au moment où Holmes commencera à officier - sont bien évidemment des éléments cruciaux, nécessaires à la compréhension du canon holmésien, et sur lesquels John Bastardi Daumont n’oublie pas de se pencher. Mais il n’oublie pas non plus de rappeler au lecteur quelques éléments qui ne furent pas seulement symboliques, par exemple ce que furent les clubs londoniens ou l’émoi suscité par Jack l’Éventreur.

Mais Holmes, dans tout cela ? À travers le corpus holmésien, Bastardi Daumont enquête tout d’abord sur la jeunesse de Sherlock Holmes, pour essayer de cerner un peu mieux le personnage. Puis se penche sur ses illustres prédécesseurs au royaume de la fiction, le Dupin d’Edgar Poe, le non moins fameux Lecoq d’Émile Gaboriau. Puis s’intéresse également au réel, avec Vidocq tout d’abord, qui à la fois exista et fut repris par les littérateurs, et enfin Joseph Bell, médecin comme Conan Doyle, et l’une des grandes figures ayant inspiré le personnage de Sherlock Holmes.

On ne s’en étonnera pas : la criminalistique tient une part importante dans ce volume, et l’auteur ne manque pas d’expliquer quels ont été les apports du détective de fiction dans le domaine encore balbutiant de l’investigation policière. D’autres thématiques importantes sont abordées, en points à la fois brefs et complets que l’on ne saurait tous citer : par exemple l’amitié et la collaboration entre Holmes et Watson, la galerie de « génies du mal » auxquels a affaire le détective, la froideur holmésienne, ses relations avec le Yard, ou encore le bestiaire holmésien.

Mais John Bastardi Daumont n’oublie pas pour autant l’auteur : en quelques pages passionnantes, il résume la manière dont Conan Doyle et son œuvre ont été à leur corps défendant (mais succès et recettes aidant) vampirisés par Holmes, au détriment des romans historiques que Doyle considérait comme beaucoup plus sérieux. Doyle dépassé par sa créature, et ceci bien au-delà de sa propre existence, comme le démontrent aisément les trois derniers chapitres “Naissance d’une icône”, “Le triomphe du rôle”, et enfin “L’avènement du mythe”.

Si le but de cet ouvrage n’est pas de constituer une véritable “somme” holmésienne, il constitue néanmoins une excellente introduction, et qui plus est une excellente synthèse concernant à la fois l’œuvre, le contexte historique et scientifique, et le succès unique d’un personnage qui n’en finit pas de susciter de nouveaux avatars fictionnels, mais aussi d’être repris sous son nom et dans son essence dans d’autres contextes, plus modernes et contemporains que celui de l’époque victorienne. Et il y a fort à parier que même les érudits et les connaisseurs chevronnés du canon holmésien y trouveront des détails dont ils ignoraient l’existence. Qui sait que le terme « smog » a été forgé par un scientifique nommé Henri Antoine des Vœux ? Qui sait que les noms initialement prévus pour Holmes et Watson étaient Sheridan Hope et Ormond Sacker ? Et qui sait qui fut à l’origine de la fameuse réplique : “Elementary my dear fellow ?

Le limier le plus perspicace trouvera bien peu d’erreurs dans cet ouvrage savant : si l’on excepte une imperfection dans la légende de la photographie de la page 117 (Andrew Scott n’ayant pas donné une image de Holmes, mais de Moriarty) et une double coquille dans la citation de la page 170 (« faîtes » au lieu de « faites », hélas en très gros caractères), on ne trouvera rien à reprocher à cet ouvrage rigoureux, méticuleux, et respectueux du canon holmésien. On pourra regretter, défauts mineurs, que rares soient les pages numérotées, ce qui rend les chapitres difficiles à trouver à partir de la table des matières, et que l’ouvrage ne possède ni index, ni bibliographie, même sommaire, autre que celle des aventures holmésiennes. A contrario, l’ouvrage propose en annexes une série de notes, les références des publications princeps du corpus holmésien, la liste des monographies attribuées par son créateur à Holmes lui-même et celle des récits holmésiens préférés de Conan Doyle.

Ce très beau livre au format 20 x 27, imprimé sur papier de qualité et solidement relié, possède de nombreuses qualités qui en rendent la lecture agréable. Outre un texte particulièrement clair, chaque sujet étant abordé de manière à la fois concise et précise, on y trouvera un bel équilibre entre celui-ci et les illustrations, qui s’harmonisent sans que l’un prenne le pas sur les autres ou vice-versa. Une riche iconographie aux sources diverses, depuis les débuts de Holmes jusqu’à ses déclinaisons modernes : si en effet le volume n’ignore pas les interprétations récentes du tandem d’enquêteurs sous les traits de Robert Downey Jr. et Jude Law et sous la direction de Guy Ritchie, il n’omet aucun de leurs prédécesseurs les plus marquants, que ce soit dans les versions cinématographiques ou télévisuelles, mais fait également la part belle aux documents d’époque : entre autres, des couvertures du Strand, revue de publication originale de maintes aventures de Holmes, des illustrations de Sidney Paget ou des documents d’époque consacrés à l’identification des criminels. Sans compter, bien entendu, des photographies de Baker Street de des représentations des fameuses chutes de Reichenbach, où Conan Doyle “tua” son personnage trop envahissant avant de le ressusciter quelques années plus tard. Un très beau volume, donc, et une belle vie d’ensemble qui devrait intéresser les connaisseurs de l’œuvre holmésienne tout en restant accessible à ceux qui, découvrant le personnage, souhaiteraient en savoir plus à son sujet.


Titre : Sherlock Holmes, détective consultant
Auteur : John Bastardi Daumont
Conception graphique : Eléonore Gerbier
Éditeur : La Martinière
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 206
Format (en cm) : 20 x 27
Dépôt légal : mai 2014
ISBN : 9782732461649
Prix : 32 €



Hilaire Alrune
21 mai 2014


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