Jeanne-A Debats nous plonge, sous des dehors de SF et de monde virtuel, dans un très bel hommage à un classique de la littérature jeunesse, « Sa Majesté des Mouches », de William Golding. Le roman sera même présent dans le paquetage de Pixel à son arrivée dans le Virtuel, histoire d’aiguiser la curiosité des plus jeunes. Les plus grands (voire les plus vieux...) sauront déjà à quoi s’attendre.
Donc, après une brève entrée en matière dans la vie de Pixel (rebelle à toutes les écoles privées, délaissé par sa géniale programmeuse de mère) et une chute vertigineuse, nous voici propulsé avec lui dans un univers virtuel censé imiter la réalité, lui permettre de ne pas perdre le temps de sa convalescence en poursuivant ses études, et en fait c’est déjà le chaos et les jeunes malades sont livrés à eux-mêmes. Comme dans le roman de Golding, il y a deux camps : les « sauvages » qui ont abandonné, plus ou moins consciemment, les règles de la civilisation pour revenir à une dure dictature qui garantit leur sécurité en échange de leurs libertés, et les « rebelles », tous ceux qui refusent de plier face à la force et la contrainte. Du premier camp, nous verrons Kay, qui ramène Pixel au village : lèche-bottes, rapporteur, un vrai Schtroumpf à lunettes pour Damon. Dans les rebelles, Solfé, qui s’oppose ouvertement à Damon, et Sam, qui fait de la résistance passive. Il sera un précieux allié pour Pixel, devenant immédiatement son meilleur ami.
L’auteure dresse un violent portrait des dictatures « égalitaristes », Damon ayant instauré une sorte de communisme à la russe, tout est mis en commun, mais une petite élite triée par ses soins se charge de la redistribution. Et lui, en tant que chef, vit bien entendu fastueusement. Tout comme il règne par la peur, autre constante de ces régimes : séparant garçons et filles (sous prétexte de protéger ces dernières) pour mieux les contrôler, exécutant publiquement les récalcitrants via l’Effaceur, un logiciels qui détruit les avatars. Littérature jeunesse oblige, tout cela est raconté assez vite par Sam, néanmoins Jeanne-A Debats n’édulcore pas grand-chose : les gays ont été les premiers « effacés ».
La décision de Pixel est assez rapide : dès qu’il apprend l’existence des postes de commandes, il cherche à y accéder. Comprenant très vite que les capacités de Damon sont assez limitées, il espère résoudre les problèmes du Virtuel, et de fait ramener l’autorité des IA (et donc des « adultes » et de la démocratie). Quand il découvre que rien n’est réparable et que tout va très vite empirer, c’est son côté programmeur qui prend le dessus : il faut accéder à la backdoor du virtuel pour contacter le monde extérieur.
C’est donc une course-poursuite qui s’engage entre Pixel, Sam et Solfé, contre Damon et ses sbires. La solidarité et la justice pour tous contre la conservation du pouvoir à tout prix. Là encore, la dimension universelle du roman est flagrante.
Du fait de sa brièveté, il faudra accepter que nos trois héros ne se trompent pas de piste et partent immédiatement en direction de la bonne solution. Mais les épreuves en chemin, tout comme les liens solides et complexes qui se nouent entre eux, feront oublier cet « heureux hasard ». L’auteure joue parfaitement de l’ambiance apocalyptique d’une Nature bouleversée, et l’équilibre par les petites interventions de Solfié dans le code, qui à petite échelle impacte cette réalité virtuelle. La fusion entre mécaniques du jeu et réalité donnent un mélange haletant, façon survival dont on finit par ne plus percevoir la limite floue : les héros risquent bel et bien leur vie, non pas à cause du jeu qui ne peut pas les tuer (juste les faire souffrir de la faim ou ressentir la douleur), mais du fait de Damon et son Effaceur qui peut mettre en péril leur « réveil », les laissant dans le coma.
La partie la plus délicatement traitée est celle des sentiments amoureux, depuis la révélation des orientations de Sam au chassé-croisé entre Pixel et Solfé, le premier tardant réaliser ses sentiments, la seconde les sachant en partie impossible, comme on le découvrira en fin d’ouvrage.
Changeant l’île déserte de Golding pour un univers de jeu vidéo, plus actuel et en prise avec les jeunes lecteurs d’aujourd’hui, Jeanne-A Debats offre une belle histoire de combat pour la liberté de penser, d’être soi, contre l’oppression sous toutes ses formes.
Titre : Pixel noir
Auteur : Jeanne-A Debats
Couverture : Shuttershock / Sabphoto / Paul O’Connell / hxdyl
Éditeur : Syros
Collection : Soon
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 267
Format (en cm) : 21 x 14 x 2
Dépôt légal : février 2014
ISBN : 9782748513479
Prix : 15,90 €