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Sadako
Kôji Suzuki
Fleuve Noir, traduit du japonais, fantastique / science-fiction, 372 pages, avril 2014, 15,90€

Qui a oublié cette épouvantable histoire qui a terrifié la planète entière à la fin du précédent millénaire ? La fameuse bande vidéo qui tue tous ceux qui l’ont regardée, exactement une semaine après le visionnage ? Qui a oublié Sadako, cette fille sans visage, les cheveux noirs pendant devant la face, qui, avec une lenteur atroce, s’extirpe comme un animal du poste de télévision ? C’était, en 1998, « Ring » du cinéaste Hideo Nakata, d’après « Ring » le roman, de Koji Suzuki, qui sera publié au Fleuve quelques années plus tard, avant que le même éditeur ne publie ses autres romans horrifiques, « La Boucle », « Double hélice » « Dark Water », et « Ring zéro », dont les trois derniers feront également l’objet d’adaptations cinématographiques. Avec « Sadako », Kôji Suzuki nous propose une nouvelle bascule dans la terreur.



«  Et c’était justement ça qu’elle était en train de voir, des images projetées sur un écran, à partir d’une machine qui faisait un drôle de cliquetis presque nostalgique.  »

Une pointe de nostalgie, un retour aux sources, mais aussi des terreurs nouvelles. Takanori travaille dans l’audiovisuel. Son patron, Yoneda, lui confie une clef USB contenant une séquence vidéo dont une cliente aimerait savoir si elle est truquée ou réelle. Une scène de suicide par pendaison filmée par le pendu lui-même. Une vidéo amateur, mais terrifiante. Et qui semble impossible. D’autant plus que la vidéo se modifie à chaque vision, révèle le visage de Kashiwada, un assassin récemment exécuté par pendaison. Qui peu à peu disparaît de la vidéo, comme s’il était retourné dans le monde réel.

Et bientôt les bizarreries s’accumulent. Yoneda se met à jouer au tarot et tire une figure de pendu. Takanori se met à avoir des visions bizarres, à mi-chemin de la prescience et de l’hallucination, qui confirment les éléments topographiques qu’il parvient à tirer de la séquence, localisant de manière précise l’endroit où elle a été tournée. Akané Muryama, son amie, est enceinte. Elle voit de temps à autre sa mère défunte, mais de plus en plus souvent, semble-t-il, et a l’impression d’être suivie par un individu mystérieux – un individu qui habiterait dans l’appartement identifié par Takanori. Et elle reconnaît sur la vidéo l’homme qui autrefois l’a enlevée dans l’intention de la tuer, après avoir tué quatre autres jeunes filles.

«  Des phénomènes en apparence sans aucun rapport les uns avec les autres s’assemblaient et se collaient comme des mouches à un papier collant suspendu au plafond.  »

Avec Kôji Suzuki, on s’en doute, rien n’est vraiment simple, et les faux-semblants s’accumulent. Lorsqu’un GPS hanté conduit le couple en des endroits inattendus – notamment un puits isolé – on se sent basculer dans cette ambiance si particulière qu’était celle de « Ring », et l’on ne se trompe pas : bientôt apparaissent les lieux du roman éponyme, et l’on apprend que la vidéo de la pendaison a été confiée à Yoneda par une voyante autrefois pressentie pour jouer dans « Ring » (le film), qui dans la réalité de ce nouveau roman n’a jamais été tourné. Aidé par Tsuyoshi Kihara, qui a écrit livre sur Kashiwada et, inexplicablement, a acquis la certitude du fait qu’il était innocent des crimes qu’on lui avait attribués, Takanori fait d’étranges découvertes. Notamment que « Ring », qui vient s’inscrire dans la longue tradition des livres maudits, devient bientôt visible dans la séance vidéo fatidique.
Dès lors « Sadako », auquel l’on pouvait reprocher, dans sa première partie, un caractère didactique bien trop appuyé (le personnage principal se remémorant, et résumant sans cesse les évènements et explications comme si le lecteur n’avait pas lu les chapitres précédents) bascule dans l’autoréférence et la complexité : une trame nouvelle qui, en faisant passer les fictions précédentes de l’auteur pour réelles, crée une intéressante mise en abîme et accroche l’intérêt du lecteur. Et les surprises ne manquent pas, Takanori découvrant qu’il a été lui-même déclaré mort auprès de l’état-civil pendant plus de deux ans.
L’élaboration de l’intrigue – son montage, pourrait-on dire de manière plus appropriée – repose donc sur plusieurs histoires, et notamment sur une grande partie de l’œuvre de l’auteur. Auteur qui rebat sans cesse les cartes et finit par faire fusionner une multitude d’éléments en apparence disparates, comme s’il souhaitait élaborer une synthèse finale de la saga « Ring ». Mais qui ouvre aussi, avec l’apparition d’un personnage prétendant être passé dans une dimension supérieure, des horizons nouveaux.

«  Le monde qui nous était familier a une fois perdu la raison et s’est anéanti. Le monde actuel est un autre monde.  »

Dans les toutes dernières pages de « Ring » (le livre) Asakawa comprenait, en posant les yeux sur un livre de sciences, la nature épidémique, réplicative, comme virale, de la malédiction portée par la vidéocassette. Mais il s’agissait alors d’une simple analogie qui permettait au protagoniste de saisir le mode de fonctionnement de la hantise et introduisait un dilemme particulièrement dramatique : mourir et laisser ses proches mourir, ou les sauver en déclenchant la contamination exponentielle de la population.

Dans ses suites, « Double hélice » et « La Boucle », ainsi que dans les nouvelles rassemblant des éléments survenus avant « Ring » (regroupées dans le recueil « Ring zéro »), Koji Suzuki reprenait cette hypothèse pour lui donner corps, non plus de manière symbolique, mais avec une approche cette fois-ci de nature scientifique : il existe un véritable virus que le visionnage de la séquence permet de créer dans l’organisme humain. Il y a donc une bascule d’un fantastique classique à un fantastique « impur », mâtiné d’éléments scientifiques intégrés aux prémices avec plus ou moins de bonheur, qui font également de « Sadako » un techno-thriller, ou plus précisément de techno-bio-thriller.

Reste que les ébauches d’explication physiopathologiques sont ici bien modestes et assez peu convaincantes. Et que les renaissances multiples de Sadako sont du même acabit. En définitive, plus de terreur, plus d’effroi, ou au contraire un peu moins ? La réponse, on s’en doute, dépendra du lecteur. Les puristes du fantastique classique regretteront cette bascule de la hantise et de la malédiction dans l’univers cartésien, d’autres y verront peut-être une plus grande horreur encore. Quoiqu’il en soit, l’univers créé par Kôji Suzuki intrigue, et la publication de « Sadako » donnera certainement aux lecteurs ou cinéphiles qui ne connaissaient que « Ring » l’envie d’aller se plonger dans les autres volumes de la série.


Titre : Sadako (Sadako, 2012)
Auteur : Kôji Suzuki
Traduction du japonais : Yukari Maeda et Patrick Honoré
Couverture : Maciej Toporowicz / David & Myrtille / Arcangel Images / dpcom
Éditeur : Fleuve noir
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 372
Format (en cm) : 13 x 18,5
Dépôt légal : avril 2014
ISBN : 9782265098299
Prix : 15,90 €



Hilaire Alrune
9 avril 2014


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