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Blizzard, tome 1 : Le Secret des Esthètes
Pierre Gaulon
Mnémos, roman (France), fantasy, 283 pages, janvier 2015, 19€

Il y a dix ans, la Royauté a chu, remplacée par une Fédération, dirigée par l’Inquisiteur, qui pourchasse les mages, responsable selon lui de l’ère glaciaire qui s’est abattue sur le pays.
Dix ans que le vieux mage Blizzard se cache au septentrion, avec le jeune Chasseur. Jusqu’à ce que les soldats viennent les déloger... Couvrant la fuite du jeune homme, Blizzard se laisse capturer. Chasseur erre dans les montagnes enneigées, jusqu’à tomber sur un groupe de rebelles qui se terre dans des grottes magnifiques, taillées par les Esthètes, un peuple d’ingénieurs artistes. Forcés par l’armée qui pénètre leur refuge normalement imprenable, ils rejoignent la capitale, déterminés à tuer l’Inquisiteur, grâce à la dague enchantée de Blizzard, un puissant artefact. En chemin, ils croisent la route d’Iak, un jeune trappeur et son tigre blanc, lui aussi déterminé à se venger de l’Inquisiteur qui a fait raser son village, lui aussi porteur, à son insu, d’un artefact majeur.
Et pendant ce temps-là, aux frontières, les Erzats, mi-hommes mi-bêtes, ennemis d’autrefois, se tiennent prêts pour une nouvelle conquête.



J’avais un a priori, en voyant que Pierre Gaulon vient du thriller. Bizarrement, on ne retrouve même pas les qualités du roman à suspense dans son roman de fantasy. En fait, malgré ma bonne volonté, j’ai surtout trouvé des points d’achoppement.

« Le Secret des Esthètes » souffre d’abord de sa brièveté. 280 pages, découpées en une cinquantaine de chapitres très inégaux. Beaucoup de personnages, et peu de temps pour s’occuper de chacun. Finalement, même traitement superficiel pour tous. Dorio Estamil, malgré ses épaules de méchant, est évacué en moins de deux. L’éponyme Blizzard est quasiment absent de ce premier volume. Même Chasseur, le héros, peine à attirer la sympathie ou seulement l’attachement.

Il se passe beaucoup de choses dans ce premier tome, mon résumé ci-dessous en présentant la moitié. Arrivés en ville, ils apprennent l’organisation d’un grand tournoi dont la victoire leur permettra d’approcher l’Inquisiteur. Si on s’attend à un enchainement de combats, l’Inquisiteur brise immédiatement cet espoir en invoquant des créatures mortelles, les mangeurs de lumière, qui pourchasseront Chasseur et Diggins, un autre mage rebelle, pour les faire fuir chez les Esthètes. La bête sera détruite là-bas, tandis que Diggins semble trahir son camp (on n’y croit qu’à moitié tant c’est gros comme ficelle) en guise de climax final. Tout va très, trop, vite.

Narrativement, on ne sait pas trop où Pierre Gaulon veut en venir. Il ne s’étend guère sur le désert de neige des montagnes initiales, l’aspect guerrier des arènes ne dure pas. Seule la fuite semble être une constante, voulue ou contrainte. Quelques ellipses mettent douloureusement en lumière les faiblesses d’écriture, notamment au niveau des personnages, auxquels on peine à s’attacher, faute de prises sur eux.

Scénaristiquement, même si je sais qu’il est difficile d’être totalement original, les emprunts sont grossiers. Le couple vieux sage qui se sacrifie pour laisser partir le jeune espoir porteur d’une arme magique fait un peu trop penser à Star Wars. Les fameux Esthètes, bâtisseurs souterrains, ingénieurs géniaux, ne sont qu’un assemblage des nains de Tolkien, des gnomes pour le côté technique et des elfes pour leur autarcie et leur refus d’ingérence. Rien de neuf. La trame sous-jacente de trois éléments forgés par les mages pour créer un super-guerrier, capable de vaincre l’inquisiteur, est usée à la corde. Les Erzats (bravo pour le jeu de mots !) rappellent trop clairement les Unis du « Roi sur le Seuil » de Gemmell (à la différence qu’il avait su les rendre douloureusement humains et tragiques en 2 lignes). Quant à l’identité de Chasseur, qui a perdu presque tous les souvenirs de son enfance, qui remontent lentement, je parierai mon clavier qu’il est l’héritier de la couronne ou une banalité du genre. Le pire serait un enfant magiquement modifié (celui qui équilibrera la Forc... :-X) pour vaincre une menace magique comme l’Inquisiteur.

Si encore c’était agréable à lire... Mais Pierre Gaulon a un style erratique et ne s’embarrasse pas de finesse. Si le vocabulaire est riche, la syntaxe et la construction sont basiques, voire pauvres, la ponctuation rare. Une phrase bien tournée, qui en jette un peu et roule en bouche lorsqu’on la lit à haute voix, est vite plombée par la suite, souvent trop chargée, décrivant pesamment une action sans respecter son rythme propre.
Besoin de détails sur un élément de background ? Un personnage va faire l’inventaire de ses souvenirs et nous tirer une petite leçon. Cf Juliette sur les Esthètes p.104-105, ou Diggins sur la magie p. 210. Les descriptions sont rares, alors qu’on arpente un royaume, des montagnes enneigées à la capitale, un trajet qui semble d’ailleurs toujours très bref, pour les rebelles qui retournent ensuite à leurs tunnels ou pour nos héros lorsqu’ils descendent dans la vallée. D’où certaines interrogations logiques sur le fond : le royaume de Genolain est apparemment vaste, mais on le traverse très vite ; Blizzard a pu se cacher dix ans dans des montagnes presque invivables ; le pays est sous une sorte d’hiver magique permanent mais ça n’a pas l’air d’impacter plus que cela l’agriculture ou l’économie...
Encore une fois, le fait que Pierre Gaulon ne s’étende sur quasiment rien laisse « une grande part à l’imaginaire du lecteur », pour le dire poliment. Ses dialogues, lapidaires, souffrent d’une absence récurrente de virgules pour séparer les propositions, notamment les adresses à l’interlocuteur (« Tu as trouvé mon garçon » n’a pas le même sens si vous pensez à mettre une virgule), le genre de truc tout bête qui rend la lecture fatigante pour rien. Saupoudrez pour finir d’une trentaine de coquilles qui sautent aux yeux (sur des majuscules, des guillemets...).

Bref, rien de nouveau sous le soleil, un texte qui aurait mérité un peu plus d’épaisseur et d’attention au fond, qui peine à capter l’attention et à nous attacher à ses personnages. Le seul motif d’avancer est l’espoir que quelque chose va se déclencher. J’y ai cru au moment du tournoi, les mangeurs de lumière ont provoqué un petit frisson, puis tout est retombé.
Attendons la suite. Je crois en Mnémos, qui sait dénicher des pépites, comme Nabil Ouali dernièrement. Laissons à « Blizzard » le temps d’une suite pour révéler son potentiel.


Titre : Le Secret des Esthètes
Série : Blizzard, tome 1
Auteur : Pierre Gaulon
Couverture : Michel Karez / Atelier Octobre Rouge
Éditeur : Mnémos
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 283
Format (en cm) : 23,6 x 15,5 x 2,6
Dépôt légal : janvier 2015
ISBN : 9782354082895
Prix : 19 €



Nicolas Soffray
13 février 2015


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