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Dernier apprenti sorcier (Le), tome 1 : Les Rivières de Londres
Ben Aaronovitch
J’Ai Lu, traduit de l’anglais (Grande-bretagne), policier/urban fantasy, 413 pages, 7,60€

Fils d’un jazzman londonien et d’une Africaine de la Sierra Léone, Peter Grant se destine à une carrière de policier. Les choses ne s’annoncent pas au mieux pour lui : il n’est pas suffisamment brillant pour être accepté dans la Criminelle. Mais au moins est-il british jusqu’au bout des ongles : lorsque, chargé de veiller sur les lieux d’un crime, il est interpellé par un fantôme qui lui dit avoir été témoin de l’affaire, il sort calmement son calepin, et, avec méthode, commence par demander son identité au spectre. Une présence d’esprit qui sauvera sa carrière.



Car si Lesley, sa jeune collègue qui lui plaît bien, se moque éperdument de lui lorsqu’il lui confie son histoire, il est bientôt abordé par Nightingale, un policier en civil, qui l’emmène aussitôt faire un tour à la morgue. Là, penché sur un corps décapité, Peter Grant sent, entend, devine, oriente l’enquête. Ce qu’il a perçu, ce sont les vestigiae.

Un fantôme, puis des éléments échappant au commun des mortels : Peter Grant a un don. Nightingale est le dernier sorcier de Londres : Peter sera son apprenti. Il faut le former sans attendre : car si la magie n’a fait que décliner depuis bien longtemps, en raison de la suprématie des sciences et des techniques, elle réapparaît progressivement depuis les années soixante. Et le crime récent, absolument inexplicable, fait craindre le pire.

Peter s’installe donc à la Folie, majestueuse maison géorgienne de cinq étages du côté de Russell square, et selon Nightingale, siège de la magie anglaise depuis 1775. Une demeure qui en fera rêver plus d’un, et qui au fil des chapitres peu à peu révèlera son agencement : chambres, salle pour le petit déjeuner, autre salle pour le dîner, trois bibliothèques, laboratoires, salle de tir de cinquante mètres de long, remise à calèches, anciennes écuries, et sans doute bien d’autres surprises. Mais le plus étrange est peut-être bien cette cuisinière, Molly, qui fait froid dans le dos et dont la nature n’est sans doute pas tout à fait humaine.

« Les différences entre l’homme et les machines s’amenuisent, alors je suppose qu’il est logique qu’elle se mettent à produire leur propre magie. »

Le récit dès lors progresse sur deux fronts. Dans l’enclave de la Folie tout d’abord, où Peter Grant travaille d’arrache-pied à développer ses propres pouvoirs. Et même mieux encore. Car si Nightingale n’a rien d’un scientifique, Grant, lui, est bien décidé à faire avancer les choses : il comprend très bien que si le grand Isaac Newton n’a pas écrit seulement les Principia mathematica, mais a également, avec la Philosophiae Naturalis Principia Artes Magicis, fondé la magie moderne, l’on peut très bien mêler magie et méthode expérimentale. Les scientifiques apprécieront la définition du Newton de force magique (l’énergie nécessaire pour faire léviter une pomme), tout comme ses expériences sur les batteries de téléphones portables, sa manie de faire exploser les caisses enregistreuses à distance, ou la création d’un jappomètre utilisant Toby, un sympathique chien adopté au cours de son enquête. Enquête qui, elle, constitue le second front de ce récit.

« Il me guida au bout du couloir, où une chambre avait été aménagée en unité de soins intensifs mobile, ce que je trouvai un rien inquiétant dans une morgue. »

Un second front sur lequel ça meurt beaucoup, et de façon à la fois impossible et spectaculaire. Mais peu importent les désagréments : Grant est prêt à tout pour sillonner Londres dans la vieille Jag MK II de Nightingale. D’autant plus qu’il a moins besoin dans son enquête du fameux Blackstone’s Police Investigators Manual and Handbook que des Légendes de la vallée de la Tamise écrites en 1897 par Horace Pitman, car il doit dans le même temps démêler un conflit entre dieux et déesses des rivières de Londres – dont la déesse certes mineure, mais néanmoins ébouriffante et sensuelle qu’est la jeune Beverley. L’occasion de découvrir que même Newton n’a pas su tout prédire, que ce soit en matière de science ou de magie, comme par exemple un décolleté dont la profondeur apparaît à Peter Grant physiquement impossible.
Entre humour parfaitement british et scènes terrifiantes, on ne s’ennuie guère au long de ces quatre cents pages où l’on rencontre, entre autres, un gastro-entérologue spécialisé en cryptopathologie, le fantôme de Joseph William Bazalgette, ingénieur qui créa les égouts de Londres, l’acteur depuis longtemps défunt Charles Macklin, une déesse fluviale qui n’est autre qu’Anna Maria de Burgh Coppinger, maîtresse de John Montagu et compagne de Henri Ireland, spécialiste réputé de Shakespeare, et où l’on ne s’étonne guère de voir mentionné un individu tel que Henry Fielding, écrivain, magistrat et fondateur des Bow Street Runners, considérés comme la première force de police officielle de Londres (le lecteur curieux découvrira qu’il émit un mandat d’arrêt pour « meurtre de la langue anglaise » contre le dramaturge Colly Cibber). Et quel rapport entre ces crimes étranges, cette magie répétée, et une pièce bouffonne ayant sa source dans la comedia dell’arte du dix-septième siècle et transmise par Giovanni Piccini à John Payne Collier ?

Un récit stimulant

Comme beaucoup de récits mêlant personnages réels et fictifs et s’appuyant sur l’Histoire – on pense notamment au courant steampunk – un roman comme « Les Rivières de Londres » en sus d’être une distraction intelligente, constitue, pour le lecteur un curieux, un excellent point de départ pour aller plus loin, tant en ce qui concerne l’histoire de Londres que les biographies de personnages remarquables.

Les lecteurs les plus pointilleux pourront faire à cette plaisante aventure quelques reproches de détail. Le premier est que le narrateur accepte un peu trop facilement, sans à peine s’en étonner, presque comme si cela allait de soi, l’idée qu’il existe sous la face cartésienne du décor un univers de magie. Le second est cette courte scène de liquidation de vampires qui apparaît déconnectée de l’intrigue. On s’étonne de trouver le terme d’« expérience empirique » qui nous semble relever du pléonasme. On voit à deux reprises (p. 222 et 223) le nom de John Polidori transformé en Polidari, ce qui est tout de même dommage pour un des fondateurs du mythe littéraire du vampire (encore lui). Enfin, et surtout, ce qui manque le plus à l’ouvrage, ce sont deux cartes de Londres : une de la ville contemporaine, une de celle d’avant la réorganisation de son réseau hydrique, qui permettraient au lecteur de profiter complètement des aspects historiques et culturels de cette fantastique histoire.

On le devine : ce dernier reproche est en fait un hommage à la richesse de ce roman qui sans lourdeur aucune nous en apprend plus, et différemment, au sujet de cette « capitale de l’imaginaire » que bien des guides touristiques plébiscités. Car la véritable héroïne de cette histoire, tout autant et peut-être même plus encore que Beverley ou Lesley, c’est bel et bien la ville de Londres elle-même. Une ville dans laquelle se mêlent étroitement présent et passé, réel et fiction, et à travers laquelle l’auteur nous aura à la fois mené en bateau et fait naviguer au gré de sa fantaisie.


Titre : Les Rivières de Londres (Rivers of London, 2010)
Série : Le Dernier Apprenti sorcier I
Auteur : Ben Aaronovitch
Traduction de l’anglais (Grande-bretagne) : Benoit Domis
Couverture : Flamidon
Éditeur : J’Ai Lu
Collection : science-fiction
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 413
Format (en cm) : 11 x 18
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 972-2-290-04041-6
Prix : 7,60 €



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Hilaire Alrune
9 mars 2014


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