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Chiennes de vie, chroniques du sud de l’Indiana
Frank Bill
Gallimard, Folio policier, n°717, traduit de l’anglais (États-unis), policier, 335 pages, janvier 2014, 7,90€

L’Indiana, ses fabuleux paysages... oui, mais il y a aussi l’envers du décor.



«  Lessiveuses rouillées, carcasses de gazinières, pneus moisis et desséchés et téléviseurs cassés fleurissaient sur le fond pierreux des vallons . »

Autant les auteurs de « nature writing » célèbrent les splendeurs de l’Indiana, autant Frank Bill, s’il ne les renie pas, s’essaie surtout à révéler l’envers du décor. Cabanes de chasseurs, taudis, tripots, salles de combats clandestins, masures isolées, délabrées, loin de tout. Le décor idéal pour la vente d’une adolescente à des proxénètes ( “Vieilles rancoeurs”), pour l’assassinat en règle, et en série, desdits proxénètes par cette adolescente (“Tout le mal”), pour mettre en scène un pauvre diable obligé d’achever sa femme que son médecin ne parvient pas à euthanasier “La pénitence de Scoot McCutchen”, pour narrer la trahison par sa femme d’un éleveur de chiens chasseurs de ratons laveurs, dont le prix peut atteindre plusieurs centaines de dollars (“Le roman noir d’un chasseur de ratons laveurs”), pour relater la perfidie d’une femme poussant son mari à assassiner son beau-père pour hériter d’un terrain où organiser des combats clandestins (“L’Amour brut”, univers que l’auteur développera dans son roman « Donnybrook » ), pour liquider de minables escrocs à l’assurance (“Infréquentable”), pour séquestrer, droguer et louer une jeune femme (“Un lapin dans le carré de laitues”) ou pour y décliner une énième fois la loi du talion (“La Sagesse de l’Ancien Testament”, qui évoque quelques récits de noirceur et de fureur de Robert Erwin Howard)

Franchement, les gars, vous devriez essayer. Cette came c’est une tuerie ! » Il attendit une réponse des corps disséminés autour de lui, raidis contre les murs, en tenues poudre-et-plomb .

Mais l’enfer, ce n’est pas seulement les autres, ce n’est pas seulement la misère, qu’elle soit mentale ou pécunière, c’est aussi celui des drogues qui montent tout droit du Mexique, et qui offrent à ceux qui sont à bout de ressources l’opportunité, sinon de monter un commerce lucratif, du moins de joindre les deux bouts.
C’est ainsi que dans “Hill Clan Cross ” deux trafiquants interviennent dans un deal qui leur a échappé et assassinent deux jeunes en se demandant s’ils vont aussi liquider les deux autres, qui ne sont pas moins que leurs propres enfants, que dans “Un homme à terre (Junkies)”, Moon, un agent de protection de l’environnement, est obligé de descendre un de ses vieux amis reconverti dans le trafic de meth, que dans “Mauvais trip” l’on suit la quête vengeresse de l’inspecteur Mitchell dont la femme et le fils ont été tués lors d’un cambriolage par un toxico (les cadavres dégringolent à toutes les pages), et que dans “Les crimes du sud de l’Indiana” l’on retrouve le même inspecteur confronté à la Mara Salvatrucha, les importateurs mexicains de drogue, pour une affaire de combats de chiens et de trafic de stupéfiants où l’on s’entretue avec le même enthousiasme. Autant de trips effarants et macabres où héroïne rime avec hémoglobine.

« Tout ce que je suis se trouve dans cette cantine. C’est pour ça que je voulais te la montrer avant de mourir.  »

La seconde guerre mondiale, le Viet-Nam, l’Irak, l’Afghanistan ont laissé des traces profondes, indélébiles, souterraines – du moins jusqu’à ce que les syndromes post-traumatiques des combattants confrontés à des horreurs trop grandes explosent en déferlements psychotiques. Ces blessures d’un pays enferré dans des conflits souvent inutiles, ces êtres détruits que l’Amérique abandonne représentent une des faces sombres de ces chroniques de l’Indiana. Que ce soit dans “Le Vieux Mécano ” où un sale type finit par raconter son histoire sans quémander d’excuse, dans “Pulsion ” où un ancien d’Afghanistan bascule dans la fureur meurtrière, ou à travers d’autres récits dans lesquels interviennent les vétérans, cette face sombre a tendance à se colorer d’un rouge parfaitement sanglant. Des thèmes chers à une Amérique qui, après les conflits de ce début de millénaire, n’en finira sans doute jamais d’exorciser ses démons.

«  La détonation rendit sourd Dieu lui-même. Le recul du calibre 12 fut tel que Jo en eut les os fracturés.  »

Des démons, certes, et surtout, mais pas vraiment de divinité. Si Dieu est mentionné, c’est surtout à l’occasion de phrases profanes. « On aurait pu croire que c’était Dieu lui-même qui l’avait flingué depuis le ciel, cet enfant de salaud. » Peu de spiritualité, on s’en doute, et l’au-delà ne semble guère capable de venir à la rescousse des perdants. Pourtant, plus encore que dans “L’accident ” qui dans sa tonalité parfaitement cauchemardesque finit par prendre des allures fantastiques, l’on retrouve un véritable fantôme et un surnaturel pleinement assumé dans “À la frontière entre le paradis et l’enfer”, où le spectre d’un enfant accidenté guide le policier jusqu’à un chauffard qu’il aurait préféré ne jamais devoir confondre.

Chiennes de vies, chiennes de chroniques

Âpre et rugueux, violent, sanglant, poignant, « Chiennes de vies » porte parfaitement son nom, et répond parfaitement au qualificatif de chroniques. Ni roman – même si quelques personnages réapparaissent dans des récits différents – ni véritablement recueil de nouvelles, plutôt des tranches de vie, et des bien sanglantes. Pas d’intrigues policières au sens classique du terme, mais dix-sept récits noirs – très – dix-sept de ces moments où tout bascule pour prendre une tournure définitive, dix-sept de ces instants où, au terme de trop d’années de contraintes, de rancoeurs, de misère ou de dérive, tout finit dans une explosion de violence.

Voilà donc ce qu’est « Chiennes de vie. » Quelques maigres lueurs d’espoir, comme des flashs qui, par effet de persistance rétinienne, persisteraient une ou deux fractions de seconde, mais surtout une descente dans les profondeurs les plus noires de l’Amérique. Le genre de livre dont le lecteur ne tournera les pages qu’avec le cœur bien accroché, avec à portée de main une serviette grand modèle, pour essuyer le sang et les tripes qui ne manqueront pas de lui sauter au visage.

Sommaire :
Hill Clan Cross
Vieilles rancoeurs
Tout le mal adolescente tueuse
La pénitence de Scoot McCutchen
Un homme à terre (Junkies)
Pulsion
Belle même dans la mort
L’accident
Le Vieux Mécano
Infréquentable
Le roman noir d’un chasseur de ratons laveurs
Mauvais trip
La Sagesse de l’Ancien Testament
À la frontière entre le paradis et l’enfer
Un lapin dans le carré de laitues
L’amour brut
Les crimes du sud de l’Indiana


Titre : Chiennes de vie, chroniques du sud de l’Indiana (Crimes in Southern Indiana, 2011)
Auteur : Frank Bill
Traduction de l’anglais (États-unis) : Isabelle Maillet
Couverture : Justin Ouelette
Éditeur : Gallimard
_ Collection : Policier
Site Internet : page roman (site éditeur)
Numéro : 717
Pages : 335
Format (en cm) :10,7 x 18
Dépôt légal : janvier 2014
ISBN : 978-2070456642
Prix : 7,90 €



Hilaire Alrune
1er mars 2014


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