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Le cyberespace de l'imaginaire




Printemps
Rod Rees
J’ai Lu, Nouveaux Millénaires, roman traduit de l’anglais (Grande-Bretagne), Science-Fiction / fantastique,538 pages, octobre 2013, 21€

Un monde virtuel surpeuplé – trente millions d’habitants, les « Dupes », pour un territoire circulaire limité à cinquante kilomètres de diamètre – a été conçu pour servir de simulation à l’armée américaine. Le but : reconstituer les conditions des guerres asymétriques dans lesquelles s’est enlisée l’armée américaine au début du XXIe siècle pour apprendre à ses soldats à s’y adapter. Pour pimenter cette simulation, des personnalités profondément délétères y ont été injectées : Béria, Heydrich et autres grands psychopathes de l’Histoire. Quand des soldats se retrouvent incapables de sortir de cette simulation, on commence à s’inquiéter ; quand c’est la fille du président des États-Unis elle-même, c’est un vent de panique. Reste à trouver la bonne personne pour aller l’en extraire. Rien à voir, malgré les apparences, avec la trame d’un long-métrage comme le « New York 1997 » de John Carpenter. Le premier volume du cycle, « Hiver », allait beaucoup plus loin. Le second volume, « Printemps », nous réserve encore d’autre surprises.



Rod Rees fidèle à lui-même

Il est difficile d’aborder ce second volume du « Demi-Monde » sans rappeler quelques éléments du premier. Dans « Hiver », Ella Thomas, une jeune fille particulièrement débrouillarde, est envoyée dans la simulation pour récupérer la fille du président. Outre une action débridée, le roman recelait quelques surprises effrayantes : l’avatar de l’infâme Rheinardt Heydrich (planificateur de l’Holocauste dans l’Histoire réelle) non seulement semblait n’être pas dupe du caractère simulé de ce monde, mais aussi parvenait à faire transiter dans le monde réel une de ses émanations en la faisant passer pour la fille du président des États-Unis elle-même. Le roman s’achevait sur cette fin étonnante, qui permettait à l’auteur de redistribuer les cartes en réorientant son intrigue hors des voies classiques.

Avec « Printemps  », on pourrait schématiquement dire que Rod Rees poursuit dans la même veine, avec un habile mélange de péripéties classiques et d’authentiques surprises. L’aspect cyber est toujours là en toile de fond, et le recours à de multiples personnages historiques, façon steampunk, apporte une touche à la fois sympathique et intellectuellement stimulante. L’on rencontre ainsi Beria et Heydrich, toujours, quelques autres célébrités regrettables comme Donatien Alphonse François, Marquis de Sade, Maximilien Robespierre ou Joseph Mengele mais aussi des personnages un peu plus recommandables comme Michel de Nostredame, Joséphine Baker, ou Nikolaï Kondratieff, un économiste russe du monde réel. Et ceux qui s’amuseront à voir Machiavel et Torquemada s’affronter durant la prise de la Bastille ou Godefroi de Bouillon en découdre avec des vampyres, apprécieront plus encore les citations apocryphes du Père Friedrich Nietzsche, du Colonel Fawcett, de Percy Bysse Shelley ou de Giacomo Casanova.

Mélange de drame, d’action, d’humour, et de philosophie – avec notamment la noosphère de Teilhard de Chardin ou les questionnements sur le libre-arbitre et l’évocation du fameux Démon de Laplace, (notion scientifique particulièrement bien exploitée, dans les registre des littératures de l’imaginaire, par Frédéric Delmeulle dans son Cycle de l’Entropie) – sur fond de références historiques et littéraires, « Printemps » assume donc, à quelques détails près, sa vocation de distraction intelligente.

Quelques erreurs de parcours

Dans le premier volume, « Hiver », nous avions relevé quelques faiblesses, notamment les coïncidences romanesques, qui, au vu de la densité et de la qualité de l’ouvrage, apparaissaient toutefois secondaires. Même constat ici, avec une « ficelle » particulièrement grossière, et bien peu crédible, lorsque Bandstable et Sivert, en s’introduisant dans le fief de la Doge, y découvrent par hasard des invitations non utilisées pour le Conseil des Dix. Autre défaut, hélas bien plus criant, la rencontre entre Septimus Bole et le président des États-Unis, avec un dialogue qui sonne faux d’un bout à l’autre et des éléments scénaristiques totalement au-delà de l’invraisemblable. Un chapitre qui donne l’impression d’avoir subitement basculé dans un feuilleton télé de dernière catégorie, comme si l’auteur avait sous-traité la séquence à un tâcheron sous-doué. On ne peut que regretter ces quelques pages, lesquelles nous semblent venir entacher un ouvrage qui, malgré le mélange des thématiques et la diversité des personnages issus d’époques différentes, parvenait jusqu’alors à conserver une certaine cohérence.

Un univers plaisant

Il n’empêche : malgré ces défauts, « Printemps » constitue un roman riche intéressant. Les aspects héroïques et épiques du premier volume (les combats de Varsovie) s’effacent ici peu à peu au profit d’intrigues florentines (ou, pourrait-on dire, vénitiennes, puisqu’une partie de l’intrigue se passe à Venise) qui répondent bien à l’orientation générale plus ambiguë du récit, traduction du refus de l’auteur de se laisser embourber dans les ornières du déjà-vu. On pourrait comparer la méthode de Rod Rees à celle dont fait usage Charles Stross à travers la Geste des Princes-Marchands : à chaque fois qu’il semble sur le point d’orienter sa narration vers une voie classique de la fiction, il lui imprime au contraire une direction nouvelle. Direction nouvelle qui se traduit ici par un doute sur la dichotomie romanesque des personnages (l’opposition classique entre traîtres et héros soumis à une valse-hésitation permanente, le messie qui n’est pas le messie, et puis finalement si, peut-être), mais aussi par une orientation différente du monde réel (l’année 2008 s’y révélant plus uchronique que ce que l’on avait pu initialement en comprendre, des éléments de nature fantastique semblant peu à peu y apparaître, et la création du Demi-Monde y répondant peut-être à d’autres buts que ses objectifs officiels.) Nous n’en révélerons pas plus pour ne pas gâcher le plaisir du lecteur, mais Rod Rees, après avoir confirmé ses intentions de faire du neuf en liquidant dans les derniers chapitres, hâtivement peut-être, certains de ses personnages, termine son roman avec suffisamment de pistes et de questions pour donner au lecteur l’envie d’aller plus loin. La seconde moitié du cycle du Demi-Monde, « Été » et « Automne », devrait être publiée par J’ai Lu en cours d’année 2014. Affaire à suivre, donc, pour de nouveaux volets qui apparaissent prometteurs.


Titre : Printemps (The Demi-Monde : Spring, 2012)
Auteur : Rod Rees
Traduction de l’anglais (Grande-Bretagne) : Florence Dolisi
Couverture : Nigel Robinson / Two Associates / Quercus
Éditeur : J’ai Lu
Collection : Nouveaux Millénaires
Site Internet : page roman (site éditeur)
Pages : 538
Format (en cm) : 12,5 x 19,4
Dépôt légal : octobre 2013
ISBN : 9782290041024
Prix : 21 €



Hilaire Alrune
20 janvier 2014


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